Nastie92,
Pierre Mazeaud,
Michel Guérin et même
Dino Buzzati sont enthousiasmés par ce livre et par
Walter Bonatti.
Moi, un peu moins. Mazeaud écrit : « Que
Walter Bonatti soit l'un des plus grands alpinistes de la lignée des Comici, Cassin, des Preuss, Heckmair, comme des Allain et Terray, personne n'en disconviendra. Mais pour moi, il est assurément le plus pur de tous. Ses réussites exceptionnelles, la joie et la fierté qu'il en retire ne sont rien aux côtés de ses échecs et de la douleur qu'ils ont entraînée, blessure qui ne cicatrisera jamais ». Et je suis complètement d'accord.
L'ennui, c'est que cette blessure, aggravée par les polémiques (certaines compréhensibles, d'autres créées par des incompétents et probablement par des malhonnêtes) aigrissent ce grand alpiniste et son livre.
J'ai vraiment aimé les descriptions des ascensions, qu'elles se soient terminées dans le bonheur ou la tragédie. Quelques pages de magnifiques descriptions m'ont également touché. Bonatti ne parle pas de sa vie (mais ce n'est pas son premier livre), mais ce qu'il dit de ces montagnes choisies et de la façon dont il les a vécues suffit à mon bonheur.
J'ai ensuite été perturbé par l'explication du renoncement de Bonatti à l'alpinisme de haute difficulté, à l'âge de 35ans. Il n'était pas tenu de justifier son choix, mais l'amertume de son explication m'a fait mal (pardon, Bonatti, bien moins qu'à vous, bien sûr) : « Je vis depuis des années dans une ambiance accablante, qui touche aux limites du supportable. Il n'y a pas autour de moi cette atmosphère amicale qui engendre la sérénité. L'autodéfense énervante à laquelle j'en suis réduit m'use et me démoralise. Je déteste jouer les victimes, mais c'est la vérité. En conclusion, ce n'est pas la montagne qui m'a déçu et lassé, mais l'opacité, la bêtise et l'étroitesse de vue d'un certain « clan » avec lequel j'ai toutefois essayé de maintenir des rapports au moins formels. Aujourd'hui cependant je ne suis plus disposé à le faire. »
Je suis gêné par ce sujet, et par ce qui est dit : pas de noms, peu de faits précis, et même si Bonatti était un pur, il a été lié à des drames, et à une certaine forme de compétition, à beaucoup de publicité. Il était un homme public, et c'était aussi son choix ; il critique le sponsoring, mais a aussi bénéficié du soutien des media.
Un autre aspect qui m'a gêné est sa défense, polémique, de son style d'escalade. Oui, il a voulu aller jusqu'au bout des moyens traditionnels, jusque dans l'escalade artificielle, et je comprends qu'ils soit choqué que l'arrivée en montagne du tamponnoir puis du perforateur fausse complètement les comparaisons. Faut-il pourtant rejeter tout ce qui n'est pas sa méthode ? La règle du jeu est arbitraire et évolutive, ses prédécesseurs ont refusé les pitons d'assurance, les crampons à pointes avant, la progression en s'aidant des pitons etc. Personnellement, une voie protégée en perçant des trous, mais gravie sans aucun point d'aide ne me choque pas plus que les lancers de corde de Bonatti. A condition bien sûr de ne pas comparer les exploits des générations différentes. Mais pourrait-on les comparer quand de toute façon la connaissance du terrain, l'amélioration des moyens de communication et de secours, et le matériel ont fait disparaître la prise de risque et l'aventure de nos aînés (sauf peut-être sur quelques parois au bout du monde (voyez ce film incroyable : Meru)).
Lisez pourtant ce livre (si possible dans la magnifique collection rouge des éditions Guérin, en grand format avec les photos ajoutées et quelques compléments), les premiers chapitres sont enthousiasmants, et il y a ensuite des pages tragiques, bien écrites et parfois même humoristiques, que je vous recommande chaudement. Faites confiance à la critique de Nastie, elle dit l'essentiel.