J'évoquais, voilà quelques jours, un phénomène curieux de liens : après avoir vu une série évoquant des diamants de sang, voilà qu'avec Marchands de mort subite, je retrouvais une thématique proche, avec des minerais de sang. Et bien voilà que cela se reproduit, même si c'est un peu plus à distance : après avoir vu déjà apparaître
Wilhelm Furtwängler dans le Stradivarius de Goebbels, en début d'année, le voilà cette fois-ci au centre de ce livre. Et, toujours au rang des liens entre livres, il faut peut-être citer L'offrande grecque, de Philipp Kerr.
En effet, l'une des questions soulevées par ce livre est clairement celle de la responsabilité de Furtwängler, accusé par les américains, notamment, mais, plus largement par les alliés, de ne pas avoir quitté l'Allemagne pendant la guerre, et donc d'avoir implicitement mis son talent au service des nazis. Pourtant, on voit nettement, dans l'histoire que nous raconte
Xavier-Marie Bonnot, qu'il n'existe aucun "bon choix", quand
L Histoire vous joue le tour de cochon de vous placer dans une telle situation. Fuir, c'est laisser la place libre, et donc faire preuve de lâcheté ; rester, et survivre, c'est pactiser.
Ainsi, comme Bernie Gunther,
Wilhelm Furtwängler apparait comme un de ces allemands qui ont été broyés par l'histoire de leur pays. Quitter l'Allemagne, on le voit d'ailleurs au travers des personnages de Christa et de Rodolphe, ce n'est pas non plus l'assurance de vivre bien. Et rester, c'est prendre le risque d'effleurements qui pourraient un jour être considérés comme coupables.
Également très intéressante, l'attitude des américains après la défaite du Reich. La citation qui figure au début de cet article, je l'ai choisie parce qu'en lisant ce passage, j'ai eu l'impression de lire quelque chose que les nazis auraient pu écrire des juifs : "dressage", "tricherie", "ils sont toujours là et ils réfléchissent à demain"... je trouve cela glaçant. Et quand on lit (pages 245 à 260) la façon dont le général Robert McClure, et le major Steve Arnold, s'arrogent le droit de juger sans tenir compte des avis et des témoignages - par exemple, la lettre de
Yehudi Menuhin, venant défendre le Maître -, alors même que les mêmes américains n'inquiètent pas
Herbert von Karajan, qui, lui, avait pourtant demandé et obtenu sa carte du NSDAP... et, surtout, qu'ils sont en train de faire leurs "courses" parmi les scientifiques nazis. Ainsi, l'opération Paperclip a consisté à exfiltrer et embaucher près de 1500 scientifiques allemands ayant contribué à la mise en place du complexe-militaro-industriel nazi. Realpolitik, peut-être... mais surtout pas très propre !
Et puis, évidemment, on suit ce jeune Rodolphe. Il a 8 ans quand les nazis prennent le pouvoir, il est impressionné par les uniformes, l'ordre, le décorum. Il n'a jamais connu son père, et sa mère refuse de lui dire de qui il s'agit, si elle le sait seulement - certaines périodes de sa vie sentimentale ont été agitées -. Elle le laisse souvent, lorsqu'elle part donner un concert, à la garde d'Eva, une jeune allemande fraîche et séduisante, dont il tombe amoureux, et à qui il jure de l'épouser, plus tard. Décidée à quitter l'Allemagne, elle part finalement pour Paris, mais les nazis, ne supportant pas qu'elle ne se plie pas à leurs exigences, lui trouvent un grand-père juif. Finalement arrêtée, elle est envoyée à Drancy, puis à Birkenau, d'où elle revient brisée.
Je me rends compte que cette chronique n'est pas très organisée, voire même carrément décousue. Mais, en y réfléchissant, il me semble que c'est peut-être normal. Ce roman est parcouru de sentiments, de sensations, et d'une quête - chaque personnage a la sienne. L'auteur parvient, par les mots, à faire vivre la musique et la tentative des chefs d'orchestre de faire revivre le génie des grands compositeurs, par une vibration, par un silence, par un temps suspendu. Et, cela, comment le raconter ?
Ce livre est un très beau livre. Il donne envie d'aller écouter la 9e symphonie de Beethoven, et Tristan et Isolde, sous la direction de Furtwängler... Il me semble que c'est précisément le signe que
Xavier-Marie Bonnot a réussi son pari... Et vous, serez-vous sensibles à la plume de Bonnot, à la baguette de Furtwängler, à la détresse de Rodolphe ?
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