Fictions /
Jorge Luis Borges
Ce recueil de 17 nouvelles est pour certaines d'entre elles d'une relative difficulté de compréhension et demande un temps évident de réflexion aidé de commentaires d'exégètes pour en apprécier toute la saveur après décryptage. En effet,
J. L. Borges, se livre dans bien des chapitres à des jeux de l'esprit et à un exercice de style ingénieux dans cette production foisonnante de l'imaginaire.
Borges, immense érudit qui nous donne sans cesse l'impression qu'il a tout lu, nous invente des mondes souvent labyrinthiques et polyphoniques où l'on en vient à douter du réel tant il se confond avec l'imaginaire. Par ailleurs, le style dense et particulier de
Borges demande une période d'adaptation. Et il faut savoir d'entrée que la lecture de «
Fictions » va être une épreuve dont il faudra sortir vainqueur ! Avis aux amateurs !
On remarquera que certaines des nouvelles sont totalement absconses tandis que d'autres sont parfaitement limpides et facile à lire. On passe de l'ésotérisme au policier mais toujours dans le bizarre. Et puis souvent on se perd dans des phrases qu'il faut relire et relire tout en n'étant pas persuadé qu'elles soient essentielles à, la compréhension de l'histoire, notamment dans « Trois versions de Judas » où
Borges écrit : « En Asie mineure ou à Alexandrie, au second siècle de notre foi, quand Basilide proclamait que le cosmos était une improvisation téméraire ou mal intentionnée d'anges déficients, Nils Runeberg aurait dirigé avec une singulière passion intellectuelle un des petits couvents gnostiques.
Dante lui aurait destiné, peut-être, un sépulcre de feu; son nom grossirait les catalogues des hérésiarques mineurs, entre Satornile et Carpocrate; quelque fragment de ses prédications, agrémenté d'injures, resterait dans l'apocryphe Liber adversus omnes haeres ou aurait péri quand l'incendie d'une bibliothèque monastique dévora le dernier exemplaire du Syntagma."
« le présent est indéfini, le futur n'a de réalité qu'en tant qu'espoir présent, le passé n'a de réalité qu'en tant que souvenir présent. » Cette phrase extraite de « Tlön Uqbar Orbis Tertius » est en quelque sorte un leitmotiv dans cette oeuvre.
Dans « Les ruines circulaires » le style de
Borges étonne : « Nul ne le vit débarquer dans la nuit unanime… Il sentit le froid de la peur et chercha dans la muraille dilapidée une niche sépulcrale et se couvrit de feuilles inconnues…Vers le sud, le ciel avait la couleur rose de la gencive des léopards ; puis il vit les grandes fumées qui rouillèrent le métal des nuits… »
La « Loterie de Babylone » est une surprenante et intéressante nouvelle où l'on découvre que les acheteurs de rectangles numérotés de loterie ont la double chance de gagner une certaine somme ou de payer une amende parfois considérable. On méprisait celui qui ne jouait pas, mais aussi le perdant qui payait l'amende. D'où tout le monde se mit à jouer et cela devint comme obligatoire. Un acte citoyen en somme. Puis les amendes disparurent et furent remplacées par des jours de prisons car les gens ne payaient pas les amendes. Et puis arrivèrent d'autres sanctions pour ceux qui perdaient, plus graves pouvant aller à la mutilation et la mort. Une nouvelle qui fait froid dans le dos quand on comprend que la vie ne dépend plus que du hasard ! En définitive,
Borges bâtit un monde où hasard et nécessité se combinent pour expliquer la mainmise du pouvoir sur nos pauvres existences.
Dans «
La Bibliothèque de Babel » il est supposé que la Bibliothèque contient l'ensemble des livres existants…ou non ! et « la Bibliothèque est une sphère dont le centre véritable est un hexagone quelconque, et dont la circonférence est inaccessible. » Cette nouvelle est l'une des plus riches mettant en lumière notre position de maillon dans une chaine sans fin.
Dans «
le Jardin aux sentiers qui bifurquent », « le temps bifurque perpétuellement vers d'innombrables futurs. »
Dans « Funes ou la mémoire » : « J'ai à moi seul plus de souvenirs que n'en peuvent avoir eu tous les hommes depuis que le monde est monde. » Ce qu'il avait pensé une seule fois ne pouvait plus s'effacer de sa mémoire. » Étonnante nouvelle !
Dans « Thème du traître et du héros » : « Que l'histoire eût copié l'histoire, c'est déjà suffisamment prodigieux ; que l'histoire copie la littérature, c'est inconcevable… » Excellent !
Dans « le miracle secret », j'ai bien aimé l'histoire de Hladik condamné à mort et qui imagine les différentes possibilités qui peuvent survenir lors de son exécution.
En conclusion, un recueil à lire mais en prenant son temps si l'on veut tout comprendre ou presque. C'est quand même très particulier, il est bon de le savoir.
Il existe pour les amateurs un ouvrage d'exégèse sur «
Fictions » écrit par
Jean Yves Pouilloux publié chez Folio.