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4,07

sur 1479 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le temps a fait son oeuvre!
J'avais lu Fictions quand j'étais étudiante et il faut bien le dire, j'étais bien passée à côté. Je reconnaissais, en partie aux dires de ma prof, qu'il s'agissait d'un auteur important, mais je n'étais pas arrivée à rentrer dans les nouvelles de Borges, les jugeant trop érudites et obscures.

Plus ou moins 20 ans plus tard, je reprends enfin le livre, plein d'annotations de l'époque; j'ai trouvé la bonne focale du premier coup, la bonne distance pour apprécier l'humour qui se cache derrière cette érudition feinte et bref, j'ai adoré! Est-ce la maturité? le sérieux mis à mal par un gain d'expérience? Dans mon cas, sans doute!

Le recueil fait en tout et pour tout 180 pages, c'est peu et pourtant, il m'a fallu un mois pour le finir. Pour apprécier chaque nouvelle, pour ne pas en commencer une autre les yeux hagards, sans saisir le contexte de ce nouveau récit qui succède celui qui m'a été révélé juste avant.
Maintenant que j'ai fini, je tiens à dire que j'ai été soufflée par l'univers que chaque nouvelle (trois pages en moyenne) faisait naître en quelques mots: le passé, le présent et le futur, le monde, l'espace, l'infini, la vie et la mort, l'éternité toute cela apparaît dans une mise en abyme vertigineuse.
Borges est fasciné par le thème du labyrinthe parfait qui engloberait le Tout dans une sorte de répétition à l'infini, dans une infinité de variantes. Tout cela laisse le lecteur abasourdi et comme immobile dans l'oeil du cyclone, attendant la chute ultime.
Mais Fictions est aussi empreint d'une forte poésie mélancolique qui rend chaque nouvelle intemporelle. Après cette relecture, je comprends enfin pourquoi Borges est cité parmi les auteurs les plus importants du XXième siècle car comme Proust, mais une dizaine de milliers de pages en moins, il parvient à immobiliser le Temps dans ses mots.
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C'est avec ce petit livre que j'ai fait ma première rencontre avec Borges. J'ai commencé par son livre le plus connu (classé parmi les 100 meilleurs livres de tous les temps).

J'y ai trouvé tout l'art de l'écrivain argentin. Sa ruse littéraire en essayant de se faire passer pour un simple novice de la littérature et de nous décrire comme réel, un imaginaire; son savoir encyclopédique qui nous donne l'impression que Borges a tout lu, son imagination féconde nourrie de ses lectures abondantes de tout ce qui lui tombe entre les mains (Littérature occidentale, orientale ...), ses métaphores et son symbolisme ouverts à toutes les interprétations, sa manière originale à nous pousser à réfléchir, à imaginer, à examiner, à chercher pour découvrir, à nous ouvrir de nouvelles voies.

J'y ai trouvé également, l'homme labyrinthique qu'est Borges, qui mène le lecteur là où il n'aurait jamais pu entrer! Pour lire ce tout petit livre, il faut une référence riche, il faut s'adapter au style de Borges, à toutes ces informations historiques (plutôt mythologique), scientifiques (mathématiques). En plus, Borges est l'homme au miroir, un monde a son double. Et cela à l'infini; le monde bibliothèque, l'homme et son double rêvé, le réel et l'imaginaire, le destin et le hasard...Borges est aussi l'homme bibliothèque, son livre est un mélange savant de tous les écrits universels mais aussi des encyclopédies qu'il a consultées.

Les pièces (car on ne peut les nommer ou classer) que regroupe ce recueil sont variées et originales (au niveau de la forme et du fond). Borges qui prône la relecture, nous présente une oeuvre à relire à l'infini. Car ces pièces sont comme du verre pulvérisé qui montre à chaque fois un reflet différent; des perles chatoyantes.
Si Kafka a voulu (entre autre) représenter le monde en le transformant en rêve (ou cauchemar), Borges a voulu recréer le monde qu'il ne verra plus, à cause de sa cécité.

J'ai beaucoup aimé les "histoires" de cet homme dormant pour rêver quelqu'un qui est lui-même rêvé par un autre, de cet auteur de Don Quichotte et le changement du lecteur, de ce monde bizarre d'Uqbar, de cette bibliothèque universelle, de ce condamné à mort qui pense à toutes les possibilités qui peuvent lui arriver lors de son exécution (chose que moi aussi je fais), de cet écrivain fictif à l'oeuvre fictive qui est décrit comme réel à l'oeuvre singulière, et de cette recherche d'Almotasim...

Une fois lu, je me suis dit: je lirai Borges toujours, je n'étais plus le même; de nouveaux horizons étaient ouverts!
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« Jorge Luis Borges est l'un des dix, peut-être des cinq auteurs modernes qu'il est essentiel d'avoir lus. Après l'avoir approché, nous ne sommes plus les mêmes. Notre vision des êtres et des choses a changé. Nous sommes plus intelligents » Claude Mauriac.

Borges or not Borges, c'est la question que l'on se pose en ouvrant son recueil de nouvelles, surtout après la lecture de la première nouvelle « Tlön uqbar orbis tertius ». Jorge est un créateur de monde. Il aime nous embarquer dans sa réalité qu'il veut nous faire nôtre. Pour lui à la manière d'un Berkeley, il nous montre que les choses n'existent que par nos idées. Comme pour le philosophe précité, seuls les esprits ont une réalité substantielle, les objets dits « matériels » sont réduits à une somme de qualités perçues. Il n'est pas possible qu'ils aient une existence quelconque en dehors des esprits ou des choses pensantes qui les perçoivent. A partir de ce postulat, Borges nous prend par la main et nous demande de penser autrement pour réussir à recréer avec lui un monde débordant de fictions borgésiennes…

Et on voyage loin avec l'ami Jorge. D'abord au travers de ses miroirs à réflexions multiples, puis dans ses labyrinthes immenses, enfin avec son temps qui dure une année dans quelques secondes. Chez Borges la succession du rêve et de l'éveil a pour effet de fusionner les deux états au point de ne plus réussir à les différencier. On se perd dans ses récits, on s'y noie. On pense perdre la notion de vérité dans son monde irréel mais bien vite on s'aperçoit que Jorge nous entraîne dans sa propre dimension qui est bien plus vraie que notre banale matérialité. A y regarder de plus près sa réalité virtuelle se transforme en une réalité augmentée. Cet auteur entretient aussi une certaine confusion entre les personnages et les personnes existantes. Ce flou artistique nous empêche de démêler le vrai du faux. Ses vraies fausses citations deviennent florilèges ainsi que ses fausses vraies oeuvres.

Quand on lit du Borges on doit accepter l'idée que les mots peuvent changer de sens. Son fantastique se situe également au niveau de sa prose. Une écriture agréable mais exigeante qui en quelques mots bien choisit sait nous décrire son univers. Son oeuvre peut ravir les intellectuels par l'érudition qui y règne. On se sent obligé de sortir de temps en temps le dictionnaire pour comprendre le sens de certains mots. Des mots qui possèdent plusieurs significations à la fois comme la plupart d'ailleurs de ses histoires. On finit par se demander si c'est l'auteur ou le lecteur qui a écrit le texte. le génie de Borges consiste à donner à ses nouvelles la même puissance que des romans. Borges fait usage également de termes scientifiques car Il est à la fois mathématicien et écrivain. La science-fiction et fantastique sont chez lui enchevêtrés.

Une découverte originale et transgressive qui en étonnera plus d'un. Un exercice intellectuel qui se situe au bord de l'effort neuronal. C'est grâce à sa culture et à ses connaissances que Borges parvient à nous transcender et à nous rendre plus intelligents. La boucle est bouclée, le cercle peut se fermer.

« Je n'écris ni pour les élites, ni pour les masses, j'écris pour moi, pour mes amis, et pour adoucir le cours du temps ».

« Ce qui importe, ce n'est pas de lire, mais de relire »

Merci à mes amis –es pour cette (re)lecture commune.
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Existe-t-il des récits de fictions avec autant de portée philosophique quelque part dans l'ensemble de la littérature? Chez Lessing, chez Novalis, chez Kafka, chez Hesse, chez Kierkegaard, peut-être? En tout cas, on nage dans ces eaux là, en excellente compagnie!
Les récits surgissent à partir de toutes sortes d'horizons (mystique, fantastique, érudition, faits divers, etc.) pour s'étaler, avec autorité et confiance devant l'esprit fasciné du lecteur que je suis et les idées comme les perspectives employées m'ont entraîné à toutes sortes de profondeurs spirituelles et philosophiques tout en me divertissant avec beaucoup d'efficacité.
La Bibliothèque de Babel et Pierre Ménard, auteur de Don Quichotte se démarquent particulièrement pour moi parmi les nouvelles en présence dans Fictions. Les deux nouvelles présentent des caricatures ironiques symbolisant l'absurdité et la vanité absolue de la quête du savoir effrénée dans laquelle notre civilisation semble actuellement irréductiblement lancée.
J'ai aussi beaucoup apprécié la lutte pour la liberté qu'expriment plusieurs nouvelles dont Tlön, Orbis Tertius et surtout La Loterie à Babylone.
Combien de fois, je suis tombé sur une évocation de nouvelles issues de ce recueil? Je ne saurais dire! Probablement au moins aussi souvent que sur des évocations de Fables d'Ésope ou des Contes d'Andersen!
Un lecteur a besoin de savoir certaines informations précises, histoire de saisir le sens de ce qui est exprimé et l'impression qui doit s'en dégager et c'est au mot près que Borges lui livre toujours la juste mesure. Il est évidemment possible que le message ne passe pas chez certains, mais toutes les chances auront été mises à sa disposition afin de garder son attention et son intérêt à leurs niveaux maximums.
Oui, pour moi, Borges écrit exactement ce qu'il veut, avec une élégance sans compromis.
Ce sont carrément devenues des incontournables dans l'histoire de la pensée occidentale et il aura eu la chance de le savoir de son vivant. Quel merveilleux recueil de nouvelles philosophiques!
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Je me souviens du soir où je suis entré dans cette librairie de seconde main à la recherche de Fictions, de Jorge Luis Borges.
Le libraire m'a proposé cette version de la Pléiade ou figurait le titre tant recherché. C'est vraiment une très bonne occasion, m'a-t-il dit, je vous le fais à 40 Euros. J'ai ouvert l'exemplaire, fasciné. Regardez, a-t-il ajouté, ici l'ancien propriétaire a souligné des paragraphes au crayon gris qu'il a jugé importants. Cela vous guidera dans une lecture qui n'est pas facile. Il regagna son comptoir, tandis qu'un autre client que je n'avais pas encore remarqué dans la boutique s'approcha de moi. Silhouette sombre, austère, presque inquiétante... Seul détail particulier qui contrastait avec la pénombre du soir, il portait une cravate d'un jaune criant. C'est ainsi qu'il m'est apparu me dominant de toute sa personne... Il a raison, a-t-il confié, cette lecture sera exigeante. Mais je vous encourage à ne rien lâcher, soyez patient et persévérant. Ce livre est essentiel dans la littérature universelle, vous avez une chance inouïe. Mes yeux ébahis ont vagabondé du livre à cet homme. Il a tenté de me rassurer en sortant de la poche intérieure de son imperméable une carte de visite. Tenez, je suis à votre disposition, n'hésitez pas à m'appeler si ce texte vous résiste ou si vous souhaitez prolonger cet échange, ce sera avec plaisir. L'homme esquissa un sourire discret, un peu froid et crispé. Tandis que je scrutais la carte de visite, je ne m'aperçus pas qu'il avait déjà disparu du décor.
Le libraire était en train de fermer la boutique et m'incita à rejoindre le comptoir pour régler mon achat.
Plus tard, chez moi, j'ai regardé de près la carte de visite où figurait un numéro de téléphone sous un seul nom énigmatique : Monsieur Cervantès.
J'ai appelé mon amie, ma meilleure amie, celle que je surnommais affectueusement Jimmie Criquette, car elle était ma bonne conscience. Je lui ai dit que j'avais trouvé enfin le fameux livre tant convoité. Elle m'a juste dit : Prends soin de toi, Berni.
Dès le soir même, habité par un désir effréné, j'entrai dans la lecture de la première nouvelle, - Tlön, Uqar, Orbis Tertius, avec un sentiment de jubilation. Auparavant, mes doigts venaient de balayer rapidement les pages du recueil comme un survol rapide, une reconnaissance du territoire avant de m'y engouffrer. Ces paragraphes soulignés, entourés au crayon gris, devant lesquels figurait un petit signe dans la marge, - ici un triangle ou un rond, là un petit carré, n'en finissaient pas de m'intriguer... Malgré mon enthousiasme, le texte me résista totalement.
Plusieurs jours s'écoulèrent. Je passais des nuits blanches à lire, relire certains des premiers récits, sortes de faux comptes-rendus sur de faux livres qui me demeuraient totalement hermétiques, puis à découvrir d'autres nouvelles plus faciles d'accès, je découvrais leurs méandres, leurs chemins qui bifurquaient dans les pages et dans mon esprit, leurs apparences de fragments bizarres, de fractales vertigineuses où je me perdais, où je m'épuisais à toute force. J'avais l'impression que le texte servait de métaphores à quelque chose qui m'échappait totalement.
Jimmie Criquette m'avait donné rendez-vous au bar le miracle secret, un endroit sympa où nous aimions nous retrouver. Tu as l'air épuisé, m'a-t-elle dit, tu es sûr que cette lecture te convient ? Oui, je veux comprendre, ai-je répondu. Tu as l'air d'avoir maigri, remarque cela te va bien. Il est vrai que ce n'est pas une lecture facile, ai-je fini par avouer. En plus, il n'y a aucun personnage féminin. Elle a pris un ton ironique. Alors là mon pauvre, tu dois souffrir le martyr. Tu vas y laisser ta santé. Puis elle a ajouté d'un air dépité : Et notre amitié aussi. On ne se voit plus... Je veux comprendre ce que veut me dire ce livre, ai-je répondu. Tu connais le droit de ne pas finir un livre ? a-t-elle dit. C'est Daniel Pennac qui le dit. Oui et il dit aussi : le droit de relire, ai-je rétorqué. Enfin, j'ai ajouté comme argument ultime : tu comprends, je suis engagé dans une lecture commune avec d'autres lecteurs de Babelio, je ne peux pas abandonner...
J'ai alors appelé le soir-même Monsieur Cervantès. Il m'a invité à le rejoindre aussitôt chez lui, m'a donné le code d'accès du digicode pour entrer dans l'immeuble : dhcmrlchtdj. Il portait encore cette étrange cravate jaune. Il m'a fait entrer dans son appartement où il y avait si peu de lumière, m'invitant à m'asseoir dans le salon où il était en train de jouer une partie d'échecs, seul. Dans les échecs, il y a une infinité de combinaisons, m'a-t-il confié. le hasard tient à si peu de choses entre nos pauvres mains... C'est un peu comme les destins des personnages de ce livre qui se fracassent contre un temps insaisissable. Mais, au fait, parlons un peu de ce livre justement, qu'en avez-vous ressenti ?
Il m'a laissé parler, délivrer mes premières impressions. Je l'ai senti tout de suite agacé, comme vexé presque. Vous vous attendiez à quoi ? À découvrir une bonne histoire, une de plus, vite lue, vite oubliée ? Vous savez, le plaisir de lecture ne tient pas toujours à cette joie de se raconter une bonne histoire, ni celui du plaisir littéraire de la phrase ciselée qui sonne bien à l'oreille... Mais, c'est peut-être le vertige qui compte le plus, comment il est créé et comment il nous parvient. Vous avez une approche trop cérébrale de Borges et de ce livre, Fictions. Tant que vous n'aurez pas rencontré, connu, éprouvé ce vertige de manière physique, il vous sera difficile voire impossible d'entrer dans ce livre et de l'aimer.
Il s'est levé, s'est approché de moi, essayant d'esquisser un sourire, avant de me raccompagner jusqu'à la porte de son appartement. Souhaiteriez-vous vivre une expérience à la manière de Borges ? Je vous en offre une dès demain, qui pourrait être inouïe, peut-être inoubliable pour vous. Nous l'appellerons : vertige. Munissez-vous de votre exemplaire de la Pléiade et retrouvons-nous demain matin dès 8h devant la porte de mon domicile. »
Le lendemain matin, nous avons roulé à bord de sa Bentley vers l'océan, la pointe Saint-Mathieu. Nous nous sommes approchés de la falaise, au pied de l'ancienne abbaye en ruine. Il m'a demandé de me tenir dos à la mer, d'ouvrir le livre sur la première nouvelle, celle qui s'intitulait Tlön, Ubqar, Orbis Tertius et de lire à haute voix au hasard, peut-être un des multiples paragraphes que le précédent propriétaire de l'exemplaire avait entouré au crayon gris. Alors je me suis mis à lire.
« Une des écoles de Tlön en arrive à nier le temps ; elle raisonne ainsi : le présent est indéfini, le futur n'a de réalité qu'en tant qu'espoir présent, le passé n'a de réalité qu'en tant que souvenir présent. »
« Haussez votre voix je vous prie, elle doit couvrir le bruit de la mer », a-t-il dit en avançant vers moi, son bras tendu vers mon torse, sa main me poussant à reculer.
« Une autre école déclare que tout le temps est déjà révolu et que notre vie est à peine le souvenir ou le reflet crépusculaire, et sans doute faussé et mutilé, d'un processus irrécupérable. »
Plus fort, je ne vous entends pas. J'ai continué de reculer devant ses pas intimidants. J'ai élevé un peu plus la voix. le vent balayait les pages du livre que j'avais du mal à tenir, tandis qu'au loin, au-dessus de l'abbaye, le cri inconsolable des oiseaux déchirait le ciel.
« Une autre, que l'histoire de l'univers – et dans celle-ci nos vies et le plus ténu détail de nos vies – est le texte que produit un dieu subalterne pour s'entendre avec un démon. »
Il s'est approché encore plus près de moi, menaçant, faisant ce geste pressant, m'invitant à la fois à élever la voix et à continuer de reculer. J'entendais derrière moi le bruit oppressant de la mer.
« Une autre, que l'univers est comparable à ces cryptographies dans lesquelles tous les symboles n'ont pas la même valeur et que seul est vrai ce qui arrive toutes les trois cents nuits. »
Mon pied a trébuché sur des cailloux glissants. Mes yeux ont alors rencontré le vide en bas, comme un gouffre abyssal et mon esprit s'est mis à tourner, à vriller en proie au vertige. J'avais l'impression d'être James Stewart dans Vertigo. Il m'a retenu au dernier moment en agrippant ses immenses bras sur mes épaules, juste avant que mes pas ne finissent par céder pour de bon. Je me suis retrouvé littéralement englouti dans ses bras, je lui en étais infiniment reconnaissant, même si j'aurais préféré être serré dans ceux de Kim Novak, enfin celle de la période où elle tourna le film d'Hitchcock... Il fallait bien que je compense par mon imaginaire l'absence de personnages féminins dans ce livre. Alors il a simplement répondu, scellant la fin du paragraphe qu'il semblait connaître par coeur : « Une autre, que pendant que nous dormons ici, nous sommes éveillés ailleurs et qu'ainsi chaque homme est deux hommes. »
Demain soir, je vous entraîne vers une deuxième expérience de lecture de Borges. Nous l'appellerons cette fois : immersion. Deuxième ? Il avait dit deuxième. Pas seconde. Je décidai de ne pas téléphoner à Jimmy Criquette même si l'envie m'en démangeait.
Le lendemain, c'était donc le soir, les rues de la ville étaient bondées à cette heure-là. Il m'a invité à le suivre dans les méandres d'un quartier perdu. Il avait un trousseau de clef qu'il a brandi sous mes yeux. Les clefs ! Les clefs ! C'est bien cela que vous recherchez dans cette lecture ? Visiblement il se moquait de moi de manière délectable.
Cela vous tenterait-t-il de visiter une bibliothèque ? Pas n'importe laquelle... La plus fantastique des bibliothèques que vous n'ayez jamais vue ou même imaginée ? Nous sommes parvenus devant une porte métallique qui paraissait ordinaire. Il a introduit une clef dans la serrure. La porte s'est ouverte, il m'a fait entrer dans un corridor noir, tandis qu'il se préoccupait d'allumer toutes les lumières du lieu. Faites-vous plaisir, me dit-il juste avant de quitter le lieu. Ici ce sont des milliers de livres, non pas ceux de Borges, mais ceux qui ont inspiré Borges et ceux qui ont été inspirés par Borges, j'espère que dans cette immensité labyrinthique vous apprécierez cette autre forme de vertige que peut vous inspirer notre ami commun...
Je n'ai pas eu le temps de me retourner, Monsieur Cervantès était déjà parti, m'enfermant à double-tour dans le sacrosaint lieu. Il ne me restait plus qu'à entamer la visite... Je ne m'attendais pas à découvrir un tel univers, même si je voyais bien qu'il ressemblait de très près à celui décrit dans La bibliothèque de Babel. J'avançais, je découvrais des galeries construites de manière hexagonale avec des étages, des rayonnages, je découvrais ici un monde que je croyais déployé à l'infini. Je me trompais certainement.
Bien sûr mon premier geste fut d'aller vers les livres. Je découvrais les ouvrages de philosophes tels que Leibniz , Diderot, Schopenhauer, Albert Camus, mais aussi d'autres auteurs tels que bien sûr Miguel de Cervantes, mais aussi Gustave Flaubert, Shakespeare, Edgar Allan Poe, Homère... Les poètes n'étaient pas en reste, Arthur Rimbaud, Paul Valery... Je découvrais des livres qui me parlaient : Les mille et une nuits, La Maison des feuilles... Il y avait même ici les textes d'un certain Bouffanges. D'autres noms m'étaient totalement inconnus. Ils étaient tout aussi nombreux.
Je me suis demandé s'il y avait ici un livre, un seul dans lequel je me reconnaîtrais dans mes pérégrinations actuelles. Ils étaient peut-être finalement tous là...
« Dans le corridor il y a une glace, qui double fidèlement les apparences. Les hommes en tirent la conclusion que la Bibliothèque n'est pas infinie , si elle l'était réellement, à quoi bon cette duplication illusoire ? Pour ma part, je préfère rêver que ces surfaces polies sont là pour figurer l'infini et pour le promettre... »
Je me suis vu tourner à l'infini dans ces fractales hexagonales où le chemin semblait le même et les livres totalement différents. J'avais l'impression de m'égarer jusqu'au moment où j'ai découvert cet escalier en colimaçon que j'ai décidé d'emprunter, ou plutôt n'est-ce pas lui qui a décidé que je l'emprunterais, un peu comme les livres dont on croit faire le choix de les lire... L'escalier donnait cette impression arrogante d'être lui aussi infini, non plus cette fois vers un gouffre abyssal mais vers un ciel tout aussi vertigineux et angoissant, paraissant sans limite où je ne distinguais pas le couvercle qui aurait su se poser dessus et me rassurer. Au cours de son ascension, j'ai été pris de nouveau par un terrifiant vertige. Je voyais les livres tourner autour de moi dans un tourbillon insaisissable. Au fur et à mesure de cette ascension laborieuse et en même temps envoûtante, je devinais que quelqu'un m'attendait là-haut. Une fois le palier atteint, j'ai découvert Monsieur Cervantès tranquillement installé devant un jeu d'échecs. À ses pieds gisait une peau de tigre qui m'a fait froid dans le dos. Monsieur Cervantès n'a pas daigné lever le regard vers moi. Impressionnant, n'est-ce pas ? Je ne savais pas s'il évoquait les livres, la partie d'échecs entamée ou bien l'escalier. Ou peut-être que l'ensemble était un tout indivisible désormais pour moi... Il m'a simplement donné rendez-vous dès le lendemain matin pour un ultime voyage, une nouvelle expérience. Nous l'appellerons cette fois-ci : labyrinthe, dit-il sereinement. Je passerai vous prendre chez vous...
Nous avons roulé longtemps jusqu'à l'océan. Nous avons emprunté un chemin qui menait à une crique très étroite. Une barque en bambou semblait nous attendre. L'île où nous avons accosté n'était pas très loin du rivage. Nous avons gravi un chemin qui longeait une clôture arborescente. Devant une porte en bois entourée d'arbustes, il l'a ouverte et m'a dit ces seuls mots : gardez toujours votre gauche, c'est la seule manière de vous en sortir. Je vous attends de l'autre côté.
C'était bien sûr un labyrinthe qui s'offrait à moi, mais pas n'importe lequel. Un labyrinthe composé de miroirs dans lequel forcément je retrouvais sans cesse mes gestes, mes mouvements, mon reflet, au fur et à mesure que j'arpentais les couloirs. Par moment, je m'arrêtais d'avancer, je regardais le miroir, je me demandais s'il n'y avait pas derrière l'envers du décor autre chose. Forcément, déjà conditionné par mes expériences précédentes, je voyais le vertige partout.
Ici j'avais rendez-vous avec un autre pan de Fictions, le visible et l'invisible au travers d'un chemin labyrinthique. Toutes les nouvelles figurant dans Fictions évoquent plus ou moins cette dimension quasiment mythologique. J'avançais, je me perdais, je n'arrivais pas à trouver la sortie, j'avais l'impression de tourner en rond. Brusquement, je me suis arrêté devant un des miroirs, observant mon reflet. J'ai vu apparaître un enfant, un enfant de six ou sept ans, je me suis reconnu dans cet enfant. Il venait vers moi, il me tendait les bras et puis j'ai vu cet enfant tomber, cet enfant qui était moi, tomber d'une petite falaise, s'agripper à ce qu'il trouvait, s'accrocher à des branches qui étaient là par bonheur, accroche-toi, ne bouge plus, ont dit mes parents, j'étais tétanisé de peur, mon père est descendu me chercher, m'a ramené à l'endroit où ma mère pleurait de peur et de joie en même temps, me serrant brutalement. Je voyais tout cela à travers le miroir que je contemplais, un peu comme un film. Puis l'image s'est effacée et je me suis retrouvé tel que j'étais actuellement. C'est alors que j'ai enfin trouvé la sortie de cet infernal labyrinthe. Monsieur Cervantès m'attendait avec sa montre à gousset dans la main. Bravo, vous avez un peu traîné à la fin, je ne sais pas pourquoi... J'espère que vous avez pu mesurer physiquement ce à quoi Fictions nous invite.
Il m'a proposé de revenir seul à la plage. La barque en bambou m'attendait. Je l'ai emprunté pour revenir au rivage, mais c'est là que tout a chaviré, au sens moral je vous rassure. Je m'étais endormi sans doute, la barque a dérivé longtemps. Je me suis réveillé, j'étais loin de l'île, mais j'apercevais le rivage d'en face.
J'ai repris les rames, j'ai regardé ma montre, j'avais dérivé durant quatorze jours et quatorze nuits... J'ai contemplé le disque blanc de la lune dans un ciel entre chien et loup. Était-ce le matin qui venait ou le soir qui s'épaississait ? Des lambeaux de feu léchaient l'onde. J'étais incapable de distinguer ce qui relevait du réel et de l'imaginaire.
Sur le rivage qui approchait, j'étais prêt à m'échouer. J'ai aperçu des lumières qui bougeaient, c'était Jimmie Criquette qui m'accueillait au bord de la plage, en brandissant une lanterne qu'elle agitait dans un mouvement de balancier régulier…
Étrangement, je me sentais apaisé, comme si cette traversée du miroir avait adouci le cours du temps. Comme si l'invisible avait été rendu visible. Je m'étais perdu dans un texte vertigineux qui pouvait revêtir plusieurs sens, à chacun d'y puiser son interprétation. Qu'importe le sens précis ! N'est-ce pas notre manière de stabiliser l'ambiguïté d'un texte qui nous aide à y mettre du sens ? J'en appréciais à présent la simplicité profonde et envoûtante qu'il m'en restait.
De retour chez moi, j'ai appelé Monsieur Cervantès, mais ce fut un message automatique indiquant qu'il n'y avait aucun abonné au numéro demandé. J'ai couru jusqu'à chez lui mais le digicode refusait d'accepter le code que je lui donnais. J'ai couru jusqu'à la librairie, le libraire se souvenait parfaitement de moi. Alors, cette lecture de Borges ? Je lui ai demandé s'il connaissait la personne qui était là dans la boutique le soir où j'ai acheté le livre. Il n'y avait personne d'autre que vous et moi, en plus avec une horrible cravate jaune, je m'en serais souvenu.
Qu'est-ce que le réel ? Doit-on croire à ce qui nous arrive ? Tous les possibles sont-ils possibles ? L'infini est-il possible ?

« Avec soulagement, avec humiliation, avec terreur, il comprit qu'il était lui aussi une apparence, qu'un autre était en train de le rêver. » [Les ruines circulaires]
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« Fictions », publié en 1944 et traduit en français sous la direction de Roger Caillois en 1951 est sans doute le recueil de nouvelles le plus célèbre de Jorge Luis Borges. Il comporte deux parties, « Le Jardin aux sentiers qui bifurquent » et « Artifices ».

Ce recueil de l'un des concepteurs du « réalisme magique » latino-américain est fortement marqué par l'inclination pour l'abstraction et la pensée spéculative de son auteur argentin, qui lui confère une dimension quasi métaphysique.

Si les multiples labyrinthes, les jeux de miroirs et les bifurcations sans fin qui hantent « Fictions » dessinent l'empreinte de l'écriture borgésienne, le statut de chef d'oeuvre du recueil doit à l'inventivité étonnante, à la profondeur vertigineuse et au style empreint de poésie des textes qui le composent.

***

Le texte qui suit propose une analyse de l'une des nouvelles de la première partie du recueil, « Les ruines circulaires ».

« Nul ne le vit débarquer dans la nuit unanime, nul ne vit le canot de bambou s'enfoncer dans la fange sacrée, mais peu de jours après nul n'ignorait que l'homme taciturne venait du Sud et qu'il avait pour patrie un des villages infinis qui sont en amont, sur le flanc violent de la montagne, où la langue zende n'est pas contaminée par le grec et où la lèpre est rare ».

En quelques mots, le décor est posé. le style borgésien frappe telle une flèche empoisonnée et emporte son lecteur sur les rives du « réalisme magique » cher à l'auteur argentin.

Dans « Les ruines circulaires », Borges nous narre la destinée d'une sorte de mage, qui s'astreint à enfanter un homme en le rêvant. « Le dessein qui le guidait n'était pas impossible bien que surnaturel. Il voulait rêver un homme : il voulait le rêver avec une intégrité minutieuse et l'imposer à la réalité. »

Pour réaliser son projet, le mage s'impose de longues heures de sommeil sur l'île sur laquelle il vient d'accoster. Pendant ces interminables heures de rêve, il construit organe après organe un homme tel un démiurge tout puissant. Las, malgré le temps et les efforts surhumains consacrés à la genèse de l'homme qu'il souhaite engendrer, ce dernier ne s'éveille pas. Saisi par le désespoir, le mage détruit une partie de son oeuvre. Pris de repentir, il implore l'aide d'une statue aux multiples facettes, qui se révèle être le dieu Feu.

Ce dieu lui indique être en mesure d'animer l'homme rêvé, « de sorte que toutes les créatures, excepté le Feu lui-même et le rêveur, croiraient que c'est un homme en chair et en os ». le mage obéit aux consignes données par le dieu Feu et envoie son enfant dans un temple situé en aval. le miracle tant désiré advient : le rêvé s'éveille.

L'homme débarqué dans « une nuit unanime » accomplit son destin et jouit enfin de sa paternité inespérée.



Tout le génie de Borges est condensé dans cette nouvelle. Il réussit à créer un attachement immédiat pour ce mage démiurge qui rêve d'enfanter, nous fait partager ses échecs, ses doutes, ainsi que l'amour qu'il porte à son enfant comme en témoigne sa crainte que celui-ci ne découvre qu'il n'est qu'un rêve. La poésie et la finesse de l'écriture lui confèrent une véritable épaisseur narrative et donnent tout son sens à l'expression parfois galvaudée de « réalisme magique ». Et pourtant, c'est évidemment le dénouement final, la fameuse circularité qui donne son titre à la nouvelle, qui nous emporte dans une autre dimension, en nous plongeant dans une forme de vertige purement spéculatif dont Borges est si friand.

Tel un démiurge littéraire, ce dernier distille les indices (« Parfois, il était troublé par l'impression que tout cela était déjà arrivé ... »), et en ouvrant une réflexion sur la frontière ténue en l'illusion et la réalité, entre le rêve et l'existence, construit une sorte de puits métaphysique dans lequel le lecteur plonge, inconscient.

Borges manie également avec une certaine ironie le renversement de paradigme du feu qui épargne, car le feu ne détruit que ce qui existe. C'est en épargnant la « vie » du mage que le feu lui révèle que celle-ci n'est qu'illusion. le feu borgésien brûle les illusions, dévore les rêves et agit comme un révélateur.

L'immortalité est un leurre qui ne concerne que ceux qui n'existent pas, « Les ruines circulaires » sont un poème métaphysique, et une profondeur insoupçonnée se dissimule derrière la rigueur formelle et le goût pour les jeux de l'esprit de l'auteur.

Le rêvé qui s'éveille n'est pas le seul fruit de la volonté du mage, il est aussi et surtout l'oeuvre du dieu Feu. La fin de la nouvelle donne le vertige en ce sens qu'elle multiplie les questions : la vie est-elle un songe ? Notre existence n'est-elle que le rêve d'un dieu ? Sommes-nous des fantômes errant sur terre dont seul ce dieu connaît la « non-existence » ?
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Pierre Ménard, auteur du Quichotte Borges

Bien que figurant dans Fictions, ne pensez pas que Pierre Ménard soit né de l'imagination de Borges qui connaît bien l'oeuvre de ce grand écrivain, auteur du Quichotte.
Malgré les omissions et les ajouts perpétrés par des exégètes dont la tendance protestante« calvinistes, sinon francs-maçons et circoncis » a influencé défavorablement certains futurs lecteurs, dont nous ne sommes pas, Borges a l'aval de deux témoignages imparables: la baronne de Bacourt et la comtesse de Bagnoregio, « un des esprits les plus fins de la principauté de Monaco, » c'est dire.
Si le beau monde de renommée incontestable, pour ne pas dire internationale, peut apporter un inventaire exhaustif de l'oeuvre de Pierre Ménard, aucun doute n'est permis.

L'oeuvre, « visible » depuis le sonnet symboliste qui parut deux fois, des monographies dont l'affinité entre Descartes et Leibnitz jusqu'à une transposition en alexandrins du Cimetière marin de Paul Valéry, des sonnets et j'en passe, est donc citée, de plus par ordre chronologique : il n'y manque que des ratons laveurs.
L'oeuvre souterraine, elle, est encore bien plus intéressante ;
Allons à l'essentiel : Pierre Ménard a écrit le Quichotte.
Pas réecrit, pas critiqué, pas revu en fonction de la littérature présente, pas anachroniquement présenté comme semblable ou différent.
Non, écrit, tout simplement.
Ave les mêmes mots que Cervantès.
Il s'agit d'être Cervantès, en réalité de se substituer à lui.
C'est un grand remplacement.
Goytisolo le note : « tout lecteur attentif du roman crée ainsi un nouvel auteur et inaugure un processus de dépossession de la paternité d'une oeuvre aux conséquences stimulantes et imprévisibles. »
Ménard livre finalement un Quichotte plus véridique que Cervantès, en éludant les « gitaneries », les conquistadors, les mystiques, Philippe II et les autos da fé, les espagnolades en un mot.

Ainsi : le « génie ignorant »Cervantès, écrit :
… « La vérité, dont la mère est l'histoire, émule du temps, dépôt des actions, témoin du passé, exemple de connaissance du présent, avertissement de l'avenir. »
Cette énumération est un pur éloge rhétorique de l'histoire.

Ménard écrit en revanche :
… « La vérité, dont la mère est l'histoire, émule du temps, dépôt des actions, témoin du passé, exemple de connaissance du présent, avertissement de l'avenir. »
L'histoire, mère de la vérité : la vérité de l'histoire n'est pas ce qui s'est passé, mais ce que nous, nous croyons qu'il s'est passé. Argument irréfutable, dont l'ambiguïté ajoute à l'intérêt.
Et la différence entre les deux textes est évidente : le nihilisme, l'apport de Nietzsche, a contribué à enrichir la pensée, pourtant apparemment futile, après des pages et des pages, de multiples brouillons, des corrections encore et encore, pour finalement produire grâce à un anachronisme délibéré, un palimpseste de l'écriture.

Génial, ce Ménard, qui avoue lui –même que son dessein est proprement stupéfiant.
Une révélation.
Y compris Mohamed Mbougar Sarr le reconnaît :
« Je n'ai pas recopié ce texte. Je l'ai écrit ; j'en suis l'auteur, comme le Pierre Ménard de Borges fut l'auteur du Quichotte. »
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There are more things est une nouvelle (excellente par ailleurs) du fameux « le livre de sable » et c'est à ce moment-là que j'ai compris à quel point Jorge Luis Borges est facétieux et ne va jamais où on l'attend. C'est pourquoi lire Fictions est devenu une évidence.
J'ai lu, relu, pas tout compris mais j'ai énormément apprécié.
Jorge Luis Borges se joue du temps et de ses lecteurs mais avant tout il se fait plaisir et ça se sent. N'étant ni rationnelle, ni cartésienne ses nouvelles ont tout pour me plaire.
Nous entrons dans une sorte de quatrième dimension, réel-irréel, miroir –autre côté du miroir, perception, rêve, monde parallèle, tout ouvre la porte à un nouveau jeu, à une autre perception
Tout n'est que labyrinthes, symbolisme, litanies de livre l'auteur était bibliothécaire et les références ne manquent pas.
Dans le jardin au sentiers qui bifurquent quelques nouvelles s'apparent à des casse-tête chinois (peut-être n'y a-t-il rien à chercher ou pas grand-chose ?), d'autres sont très poétiques et certaines finissent sur une chute qui remet tout en question (Les ruines circulaires).
Avec Artifices tout devient plus simple. le miracle secret et sa distorsion temporelle ou pas ? Est excellent. Dans le Sud un livre peu changer votre vie, que de malice.
J'avais fini cette lecture, il y a quelques temps et en le reprenant pour écrire ce commentaire , certains détails sont apparus que je n'avais pas vu et si Jorge Luis Borges avait réussi à créer un livre infini ?
Ceci n'est qu'un tout petit avis et je vous conseille les billets des babelpotes qui ont participé à cette LC. berni_29, Patlancien, michemuche, Yaena, HundredDreams, anhj et El_camaleon_barbudo.
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Fictions est l'un de ces classiques de la littérature que l'on sent presque mal de noter et de critiquer parce que l'on se demande : "Mais je suis qui, moi, pour juger une telle oeuvre?"

C'est un recueil de nouvelles très philosophiques, parfois métaphysiques, souvent plutôt hermétiques.

Un commentaire que j'ai lu un jour disait que Borges n'écrivait pas pour les lecteurs mais pour les autres auteurs. Cela résume bien l'oeuvre. Au fil des Fictions, l'on prend conscience des possibilités toujours inexplorées de la littérature en tant qu'art.

Chaque texte est une expérience de pensée magnifiquement bien pensée. Chaque texte est un rejet viscéral de l'hégémonie du réalisme dans la littérature des deux derniers siècles. Borges disait que le réalisme n'était qu'une parenthèse qui durait trop longtemps dans l'histoire de la littérature mondiale, et il vous montre ici pourquoi.

Alors concrètement, à quoi ça ressemble, du Borges?

Mon texte préféré est "Pierre Ménard, auteur du Don Quichotte". C'est un faux article scientifique de littérature comparée. L'article y analyse le Don Quichotte d'un certain Pierre Ménard. Pierre Ménard est un homme qui a réécrit le Don Quichotte
Mot pour mot. Mais il ne l'a pas copié. Il a simplement vécu une vie qui l'amène à écrire une oeuvre qui s'adonne à être la même celle de Cervantès. Et cela ne veut pas dire qu'il a vécu la même vie de Cervantes. Au contraire, il serait difficile d'être kidnappé par les Maures au 20e siècle. Non, Ménard a vécu sa propre vie, elle lui a inspiré les mêmes mots qu'à Cervantès, mais comme ces mots sont inspirés par des expériences différentes, ils ne veulent pas dire exactement la même chose. Cela faisant que le Don Quichotte de Ménard, bien qu'identique à l'original, ne peut pas être lu ni compris de la même façon

(Si vous vous êtes déjà demandé "C'est quoi ça, de l'herméneutique?" C'est exactement ça.)

Un autre texte, son plus connu, met en scène une bibliothèque infinie dans laquelle il y a un livre pour chaque combinaison de lettres possible. Presque tout les livres sont sans substance, donc. Mais parfois, les bibliothécaires trouvent un livre où le hasard où se trouve un mot, ou même, chose rarissime, une phrase. Ils continuent de chercher, sachant que quelque part, sur une tablette, le hasard a réécrit Shakespeare.

Suffit de le retrouver.
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Ce recueil de nouvelles paru en 1944 est un sommet de la littérature universelle où l'auteur s'installe dans une métaphysique fictionnelle qui prend appui sur le « livre » comme personnage de fiction, organisant, voire générant la réalité. Jorge Luis Borges renverse le postulat admis d'une littérature reflet du réel, pour faire de ce réel la simple traduction, au sens fort du terme, de la littérature : le monde n'est qu'imparfaite traduction du livre comme modalité première et fondatrice, sorte de bibliothèque aux possibilités aussi infinies qu'insoupçonnées. Tout part du livre, tout y revient, dans un mouvement circulaire qui peut prendre la forme du rêve, du souvenir, de l'énigme, du miroir, du labyrinthe, du duel, de la trahison…

Le monde-bibliothèque de Jorge Luis Borges est conçu comme un labyrinthe dont les voies bifurquent dans un retour infini sur elles-mêmes, porteuses du seul paradoxe qui donne un sens à tout labyrinthe : en connaître l'issue le prive de sa nature et de son sens en le rendant semblable à n'importe quel autre tracé. Par ailleurs, un labyrinthe sans issue est une prison. C'est de ce paradoxe dont sont nourries ces nouvelles de Borges, avec le duel et la trahison pour scander le destin des hommes : ils ont beau connaître l'issue qui les libèrerait, seul l'égarement finalement les attend.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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