En un premier temps (1936-1950), marqué par la phénoménologie, [Jacques Lacan] fait de l’imaginaire, compris comme le lieu du moi par excellence, l’instance dominante de toutes les formes de relation duelle à l’image du semblable. En un deuxième temps (1950-1970), devenu structuraliste, il accorde au symbolique une place primordiale en tant qu’il incarne l’ordre de la loi, du langage et de l’interdit auquel est confronté le sujet à la fois dans son psychisme, dans sa position oedipienne et dans sa relation au social. En un troisième temps (1970-1979), celui de sa relève logicienne, Lacan donne au réel, compris comme réalité hétérogène à la représentation et impossible à symboliser […], une place de plus en plus prépondérante.
La psychanalyse en France.
Bien que la création de la première société psychanalytique y ait été plus tardive (1926) que dans les autres aires géographiques, la France est l'un des pays du monde où la psychanalyse a été le mieux accueillie dans tous les secteurs de la vie culturelle et scientifique : psychiatrie, psychologie clinique, littérature, philosophie. Cette réussite ne s'est pas faite sans résistance et il existe à cet égard une véritable exception dont l'origine remonte à la Révolution de 1789 qui donna naissance à l'asile en détachant la folie de l'univers du sacré, puis à l'affaire Dreyfus qui permit à la classe intellectuelle de se désigner comme une avant-garde et donc de s'emparer des idées neuves.
L'exception française tient aussi au statut politique et presque juridique attribué à la langue et aux diverses procédures de normalisation du discours qui en découlent. Loin de regarder la langue comme un instrument de communication, les élites françaises, regroupées en diverses académies et dévouées à la perpétuation de l'ordre républicain, lui ont assigné une solide fonction d'intégration. De là découle en France le rôle majeur dévolu aux écrivains. De Voltaire à Sartre en passant par Victor Hugo et Emile Zola, les intellectuels de ce pays ont toujours eu pour vocation d'être à la fois des éclaireurs de la nation et de l'ordre établi.
Cette conception de la langue et du pouvoir intellectuel n'existe nulle part ailleurs. Elle explique pourquoi un médecin comme Edouard Pichon, co-auteur de la fameuse grammaire Damourette et Pichon, a pu jouer un rôle si important dans la genèse d'un freudisme français dont on retrouve la trace chez les deux grands maîtres de la psychanalyse de ce pays : Jacques Lacan et Françoise Dolto. L'un et l'autre sont des orateurs, habités par l'idée que les mots façonnent la subjectivité au point d'être les signifiants fondamentaux de l'activité psychique. Elle permet également de comprendre la place occupée par Lacan dans l'histoire française de la psychanalyse. Ce psychiatre classique est à la fois un rebelle, un homme des Lumières, un conservateur, un intellectuel, un clinicien et un chef d'école.
A côté de l'inconscient individuel produit du refoulement, Jung définit un "inconscient collectif". Ses études des légendes et des mythes le conduisent à inventer la notion d'archétype pour rendre compte d'une certaine uniformité des images trouvées de façon répétitive dans les rêves et les productions artistiques ou religieuses de différentes civilisations et à différentes époques. Trois principaux archétypes sont ainsi définis : l'animus représente les formes diverses du masculin, l'anima celles du féminin et le selbst le centre de la personnalité. ces archétypes forment l'inconscient collectif. A cette description de la psyché, Jung ajoute différents types psychologiques centrés sur les concepts d'introversion et d'extraversion. Si Jung et ses continuateurs ont décrit un bon nombre de complexes, ceux dits d'Oedipe et de castration ne sont plus au centre de la théorie. Celle-ci, appelée psychologie analytique, exclut la sexualité infantile, l'un des piliers de la doctrine freudienne.
Un freudisme littéraire
A partir de 1920, la psychanalyse obtient un important succès dans les salons littéraires parisiens et de nombreux écrivains font alors l'expérience d'une cure : Michel Leiris, René Crevel, Antonin Artaud, George Bataille ou Raymond Queneau. Les revues servent de support à la découverte viennoise et, parmi elles, La Nouvelle Revue française (NRF), autour d'André Gide et de Jacques Rivière, La Révolution surréaliste, avec le rôle déterminant d'André Breton, et enfin la revue Philosophies où Georges Politzer créa sa psychologie dite "concrète" en s'inspirant du modèle freudien.
Deux autres écrivains se tournent vers le freudisme : Romain Rolland, qui échangera une correspondance avec Freud, et Pierre Jean-Jouve, dont la femme, Blanche Reverchon-Jouve, traduit les Trois essais sur la théorie sexuelle. Jouve utilise la méthode psychanalytique dans son oeuvre en prose en s'appuyant sur le matériel clinique que lui apporte sa femme. Aussi construit-il ses romans comme des récits de cas centrés sur l'étude de la folie humaine. Quant à sa poésie, il la regarde comme une "catastrophe" directement inspirée par l'idée d'un inconscient freudien.
Psychiatre de formation, André Breton découvre l'automatisme mental auprès de soldat atteints de névrose de guerre et il cherche alors atteindre sa quintessence par l'écriture automatique. En 1919, avec Philippe Soupault, il publie le premier grand texte de cette expérience de la surréalité, Les Champs Magnétiques, donnant ainsi naissance au mouvement surréaliste. En 1921, il se rend à Vienne pour rencontrer Freud. Les deux hommes n'ont rien à se dire. Attaché à une vision classique de la littérature, Freud ne comprend ni la signification du surréalisme ni la conception de l'inconscient défendue par Breton et trop proche à ses yeux de la tradition romantique. En 1932, le savant et le poète échangeront une correspondance qui témoigne de ce malentendu.
Chacun sait que [les tranquillisants] ont largement débordé le domaine des indications spécifiquement psychiatriques pour devenir, malgré les inconvénients non négligeables de leur emploi intempestif et prolongé, le recours licite et trop systématique contre les moindres déplaisirs et inconforts de la vie quotidienne. Il est vrai que les personnages d’un roman imaginé jadis par Aldous Huxley avaient déjà besoin du « soma » pour supporter les beautés du Meilleur des mondes…
Elisabeth Roudinesco - Soi-même comme un roi : essai sur les dérives identitaires