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« L'évidence, le sens commun, la vérité devraient être défendus. Les truismes sont vrais. Il fallait s'appuyer dessus. le monde matériel existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l'eau humide, et les objets qu'on laisse tomber se dirigent vers le centre de la terre. »
George Orwell, 1984

Cet incipit prophétique précède l'essai du philosophe Jean-François Braunstein, « La Religion Woke ».

Conçu au sein des universités américaines, le phénomène woke connaît un succès fulgurant que tente d'appréhender l'auteur dans un texte très érudit mais toujours accessible. Sous couvert de lutter contre les discriminations, le wokisme vise à dé-construire les fondements culturels et scientifiques de la civilisation occidentale, accusée de tous les maux. Ainsi que l'annonce le titre de l'ouvrage, ce mouvement des « éveillés » a en effet tous les atours d'une religion, son intransigeance, ses dogmes et ses fidèles. La comparaison avec la naissance du christianisme développée dans « Je crois parce que c'est absurde » semble en revanche pour le moins exagérée.

L'essai du professeur de philosophie contemporaine à la Sorbonne, revient sur les grandes lignes du wokisme, la théorie du genre, le racialisme, l'intersectionnalité ainsi que sur l'épistémologie du point de vue, c'est à dire la remise en cause de la véracité de la science occidentale.

Le début de l'ouvrage est consacré à la naissance du mouvement woke, un terme qui vient du verbe anglais wake/woke/awaken et désigne les « éveillés » ou plus exactement « les conscientisés », c'est à dire les personnes qui ont pleinement conscience de leur condition immuable de victime ou de coupable.

Selon la grille de lecture raciale, les victimes sont les noirs et par extension les racisés, et les coupables sont les blancs. Selon la grille de lecture issue de la théorie du genre, les victimes sont les femmes et les minorités sexuelles LGBTQIA+, et les coupables sont les hommes hétérosexuels cisgenres. Selon la grille de lecture intersectionnellle, les victimes « combinent » les caractéristiques exposées précédemment. A titre d'exemple, une femme noire se trouve ainsi à l'intersection de l'oppression raciale et de l'oppression « de genre ».

Un point essentiel sur lequel revient l'auteur est que la religion Woke n'offre point de salut, il est impossible de quitter sa condition de victime ou d'oppresseur. Un blanc hétérosexuel cisgenre, est ontologiquement coupable, et condamné à porter ad vitam aeternam les péchés de ses ancêtres esclavagistes et misogynes. Si aucune issue véritable ne lui est proposée, il lui est néanmoins fortement conseillé de prendre pleinement conscience de son privilège blanc et de s'amender auprès de ceux qu'il a offensés, tel un nouveau Sisyphe des temps post-modernes.

Jean-François Braunstein revient également sur l'influence de la French Theory (déconstructionnisme, structuralisme) développée par Foucault, Derrida, Lacan et consoeurs sur le wokisme. L'auteur tente de minimiser l'idée largement répandue selon laquelle la French Theory aurait fournie aux universités américaines la matrice conceptuelle de la religion Woke, qui nous reviendrait à la figure tel un boomerang lancé par des philosophes français des années soixante.

Certains des arguments de l'auteur font mouche lorsqu'il mentionne un orgueil très français consistant à se prévaloir de l'invention du wokisme ou lorsqu'il revient sur la contradiction entre le prisme identitaire des woke et la tentation d'abolir le sujet qui fût l'une des caractéristiques de la French Theory. Il est pourtant impossible de nier le succès de cette dernière outre-Atlantique (comme en témoigne son nom !) et il est pour le moins délicat de nier tout lien entre une théorisation de la dé-construction et l'avènement d'un mouvement qui vise à achever cette dé-construction des « valeurs » de notre civilisation. Bref, il me semble que l'auteur tente, avec un brio indéniable, de dédouaner ses illustres prédécesseurs de leur influence sur un phénomène qui ne laisse pas d'inquiéter.

Les chapitres consacrés à la théorie du genre, à la théorie critique de la race ainsi qu'à l'intersectionnalité sont habilement développés et marquent par leur érudition. L'auteur rappelle les dangers qui découlent de l'application de la théorie du genre, notamment pour les femmes obligées de côtoyer des Trans de sexe masculin (vestiaires, prisons etc.). Il dénonce également le paradoxe de l'obsession pour la race des pseudo anti-racistes « racialistes » qui se sont définitivement éloignés de la phrase de Martin Luther King : « Mon rêve est qu'un jour mes quatre enfants vivront dans un pays où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur leur personnalité ».

Jean-François Braunstein note enfin avec malice combien la volonté de « s'émanciper » du corps qui nous est « assigné » qui caractérise la théorie du genre intéresse les adeptes du développement du métaverse (les GAFAM) ainsi que les promoteurs du trans-humanisme. On peut néanmoins regretter que le paradoxe d'un mouvement qui assigne tout un chacun à sa couleur de peau tout en encourageant une fluidité de genre sans limite ne soit pas développé.

L'auteur décrit avec justesse et un certain courage le destin orwellien que nous dessine la religion des « éveillés ». On peut citer la ré-écriture de l'histoire désignant l'occident comme le coupable de tous les maux qui frappent les minorités, la mise au point d'une novlangue affolante où les hommes sont « enceints » et où le mot « femme » disparaît au profit de l'acronyme AFAB (assigned female at birth), ainsi que la forme d'endoctrinement qui consiste à enseigner la théorie du genre dès l'école primaire. S'il n'est pas question de faire subir à quiconque le supplice qu'endure Winston Smith dans 1984, la mort sociale menace tout de même les opposants les plus virulents à la religion Woke.

La menace du monde orwellien qui nous guette est l'un des aspects les plus percutants de l'essai et aurait pu être creusée davantage, les notions de « crime de la pensée », de « minute de la haine », ou de « double-pensée » (penser tout à la fois le réel tel qu'il est et tel qu'il devrait être selon la doxa woke) auraient également pu trouver leur place dans l'ouvrage de Jean-François Braunstein.

Le chapitre consacré à l'épistémologie de point de vue m'a semblé le plus novateur et le plus inquiétant aussi. L'auteur y explique que la religion Woke va plus loin que le communisme (en dépit de ses dérives lyssenkistes) en s'attaquant aux sciences en général et à un domaine que l'on croyait à l'abri, les mathématiques ! Non contents de suggérer de re-nommer les lois de Newton (trop blanc !), les « penseurs » woke proposent « de démanteler le racisme dans l'enseignement des mathématiques » en minimisant son obsession de la « bonne réponse », de « décoloniser » une discipline jugée trop « abstraite » et « trop formelle ». Bref, c'est la notion de vérité (le fameux 2+2 = 5 de 1984 !) ainsi que l'héritage des lumières qui sont questionnés par une idéologie qui s'intéresse davantage à la notion de point de vue, et se fait fort de dessiner les nouveaux contours du « Camp du Bien ».

« La religion Woke » est un essai qui frappe par son érudition. L'auteur s'y montre toujours très posé, et écrit dans un style neutre et factuel. L'ouvrage s'apparente ainsi davantage à un travail universitaire qu'à la prose aussi inventive que drolatique du regretté Philippe Muray qui dénonçait à sa manière l'ancêtre du wokisme, le politiquement correct, tout en forgeant une grille de lecture et des concepts qui restent pertinents, tels que le « Camp du Bien », « la cage aux phobes » ou « les matons de Panurge ».

S'il faut saluer l'ambition, la rigueur ainsi que le courage de l'essai de Jean-François Braunstein, j'avoue avoir été désarçonné par une conclusion qui me semble exagérément optimiste. L'auteur y propose de convoquer le courage qui semble avoir abandonné l'Occident, de « juste dire non » aux « propositions aberrantes ou abjectes » des « éveillés », et conclut par une proposition qui me laisse (malheureusement) perplexe : « Paradoxalement, c'est la menace de la religion woke qui devrait nous permettre de redécouvrir et réaffirmer la valeur de la civilisation occidentale ».
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On entend beaucoup parler du wokisme, de la cancel culture, mais personnellement, j'avais parfois un peu de mal à comprendre ce qui se cachait vraiment derrière ces concepts et ce qui les différenciaient vraiment. Ce livre m'a énormément éclairé et je suis beaucoup plus au fait désormais !
L'auteur n'est pas du tout en phase avec cette religion woke, c'est très clair, et on sent bien son ironie sur certaines absurdités qui peuvent être dites ou publiées sous le principe du wokisme. Ce que j'ai beaucoup aimé dans cet essai, c'est que les principes sont abordés les uns après les autres, posés clairement, avec des données historiques, des citations, des publications. Cela rend l'approche tout à fait complète.
Merci à Netgalley et Grasset pour cette lecture.
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Ca y est, j'ai trouvé le nom de tout ce qui me fait peur dans le monde actuellement "WOKE" ! (Non, c'est une blague mais quand même).

Braunstein met le doigt sur certaines choses et n'a pas vraiment tort.
La première est le racisme exacerbé depuis que les antiracistes woke s'en prennent à la langue, aux symboles, etc. Ils font pire que mieux et montent les gens les uns contre les autres. Tous les blancs ne sont pas racistes, l'affirmer est déjà une forme de racisme en soi... mais le wokisme ne s'embarrasse pas de nuance : blancs racistes VS reste du monde pas raciste.

Le genre maintenant... On s'est battu pour l'émancipation de la femme, pour sa reconnaissance dans le milieu du travail. Maintenant, plus de genre, on peut passer d'un genre à l'autre sans problème (Hateurs, trolls et autres casse-couilles, je vous arrête de suite, je suis maman d'une fille transgenre bien dans ses baskets). Cela ne pose-t-il pas d'autres problèmes ? Eux peuvent aller jusqu'à nier la biologie....
Et la politique surfe allègrement sur le mouvement de déconstruction de notre héritage culturel et scientifique...
A lire, mais ça fait peur
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Je suis en train de le lire, je ne suis pas étonnée de ce dont l'auteur nous fait part.
En effet, depuis plus d'un an, déjà Mathieu Bock-Côté, un des plus grands sociologues actuels, nous fait part et dans ses ouvrages et dans ses interventions sur CNews du danger de cette vague de folie qui s'infiltre à présent en France.
De même nous avons pu voir Jean François Braunstein sur la même chaîne avec Rioufol. J'ai même enregistré l'émission tellement elle était passionnante.
Il nous faut, puisque nous avons la possibilité de faire des commentaires sur le site de Babelio, nous opposer de toutes nos forces à ceux qui défendent cette mode ou cette « secte ». Je remarque en effet que bon nombre de membres ne savent pas ce qu'est le wokisme ni l'écriture inclusive. Certains le défendent même. le wokisme est la mort de notre culture. C'est le déboulonnement de notre Tour Eiffel et de Notre Dame.
L'auteur évoque évidemment ce déboulonnement de nos monuments érigés parfois depuis des siècles.
Il explique comment la colonisation est perçue et déformée par une frange politique ou autres individus qui n'ont d'autre ambition que de s'emparer du pouvoir, par tous moyens, même les plus absurdes et déshonorants.
De même les personnes transgenres sont une conséquence de ce mouvement qui prône l'égalité ou l'indifférenciation des sexes. de fait, ce genre dégenré nouveau entraîne des conséquences pratiques dans la vie de tous les jours, dans les lieux publics en particulier ou les hôpitaux, toilettes bains et douches.
Il est difficile de rester insensible et calme à la lecture de toutes ces constations pleines de bon sens et l'on se sent parfois accablé et impuissant.
Cependant je me fais l'humble chantre de Jean François Braunstein, ici et ailleurs. chaque fois que je le peux.
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Proprement effrayant.
C'est une religion, en effet, avec sa théologie, ses dogmes, son clergé, son catéchisme enseigné aux enfants, ses saints et ses martyrs que l'on célèbre, ses adeptes imperméables au doute et à la discussion, mais aussi ses péchés, toujours irrémissibles, dont les noms se déclinent en phobie, ses hérétiques, ses infidèles voués à la déconstruction, ses excommunications sous les espèces de l'annulation, ses auto da fe, ses démons, anciennes idoles païennes dont on abat les statues...
Et maintenant quelques citations
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Au départ emprunté à la culture populaire noire, la terminologie woke prend sa source dans les années 20 semble-t-il, avec Marcus Garvey, un militant Jamaïcain, qui exhorte les noirs américains à une plus grande conscience politique, avec le slogan "Wake up Africa! Wake up Ethiopia!" le thème de "rester éveiller" sera largement repris dans la culture reggae notamment.
Ce qui semble alors être une saine revendication à l'émancipation politique dans un contexte de ségrégation raciale va peu à peu évoluer avec le temps, ce que s'emploie à nous démontrer Jean-François Braunstein.
D'une utopie égalitariste le mouvement tend à se radicaliser avec les concepts d'intersectionnalité et de théorie du genre. le combat de Martin Luther King semble définitivement relever de l'histoire ancienne. Il ne s'agit plus de défendre ses droits ou de justice sociale, mais de thèses qui s'attaquent désormais aux fondements des sciences, aux mathématiques, et plus généralement à l'héritage des lumières. Là, on est subjugué par l'argumentaire des partisans de la théorie critique de la race ou encore de l'épistémologie du point de vue. le monde scientifique est remis en question de la plus incroyable des manières ce qui n'est pas sans rappeler le courant américain dit "créationniste" lorsqu'il voulait interdire l'enseignement de la théorie de l'évolution à l'école.
Je ne devrais pas détailler davantage ce que j'ai trouvé de pertinent dans cet ouvrage, aveuglé que je suis par ma situation privilégiée d'homme blanc cisgenre, mais je vous encourage vivement à vous faire votre opinion sur ce phénomène de société qui commence à prendre de l'ampleur, pour le meilleur ou pour le pire des mondes à venir.
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Ce livre m'a été offert par un proche dans ma famille, psychologue et très tracassé par les agressions faites à nos enfants, au sujet des théories du genre.
Nous en avions déjà beaucoup discuté en famille, d'autant que nous suivons les dérives de ce mouvement woke depuis bien longtemps déjà.
Car s'il était effectivement bienvenu de nous éveiller aux injustices commises au nom d'une appartenance à une "race" (mot banni à juste titre par les scientifiques) ou à un sexe, il est devenu impératif de lutter contre les extrémismes invraisemblables et incohérents que ce mouvement tente de nous imposer aujourd'hui, et surtout d'en protéger nos enfants!
L'auteur nous dresse la genèse du wokisme, établit clairement le parallèle que l'on peut faire entre ses organisations dans différents domaines et celles des religions, énonce différents domaines attaqués par ce mouvement en les illustrant, et surtout démontre comment la jeunesse occidentale, c'est-à-dire notre avenir, est déjà gâtée par ce "prêt à penser", via l'enseignement universitaire, secondaire et même... primaire voire maternel!
Cela ne peut que nous alerter et nous inciter à réagir de toute urgence, car le comble de ce mouvement, c'est qu'il rétablit le racisme, le sexisme, et veut définitivement bannir et annihiler les sciences, même médicales! (si ce dernier point ne rappelle pas les oeuvres des religieux et une fameuse récession, que faut-il de plus?)
Un bémol à mon sens: ce livre s'adresse surtout à des philosophes universitaires, au courant des publications et déclarations de nombre d'entre eux, le plus souvent US, en y faisant très régulièrement référence.
Il serait profitable d'écrire également un ouvrage accessible "au commun des mortels", car au final, ce sont eux qui pourront faire barrage, grâce à leur simple bon sens et... à leurs choix d'achats (cfr Disney et Netflix qui ont dû faire marche arrière)!
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Pour un ouvrage de philosophie, ce livre ne comporte finalement pas tant d'arguments que ça. L'auteur considère comme évident que les idées défendues par les "wokes" sont absurdes, aussi ne s'efforcera-t-il généralement pas de le justifier, mais simplement de souligner à quel point le comportement des "wokes" peut s'apparenter à une forme de folie, ou de fanatisme religieux. L'ouvrage consiste ainsi principalement en une compilation des citations les plus contestables d'auteurs "wokes" très divers, supposée provoquer chez le lecteur non-averti une forme de stupéfaction ("comment est-il possible de dire ca ???" etc) qui finit par devenir assez lassante vers la fin du livre.

A vrai dire, la dimension religieuse du "wokisme" n'est surtout mentionnée que dans le premier chapitre de l'ouvrage, les trois suivants se contentant de réaffirmer qu'il s'agit d'une religion oppressante, fanatique, anti-science, sans justifier plus que cela l'usage du terme religion. le livre aurait mieux fait de s'appeler "la folie woke" ou même "qu'est-ce que le wokisme ? ce courant que je n'aime pas."

Ce fameux premier chapitre, qui est celui qui prend le plus au sérieux l'idée de religion, rattache le "wokisme" au déclin du protestantisme américain. L'idée n'est pas très originale, et contient sans doute une part de vrai, même si l'auteur oublie un point important : c'est que ce n'est pas parce qu'un groupe adhère de manière religieuse à une théorie que celle-ci est fausse.

Dans cette généalogie du "wokisme", l'auteur tient toutefois à épargner deux courants de toute influence majeure dans l'apparition du "wokisme" : le communisme, et la "French Theory".

Pour le premier point, c'est d'autant plus étonnant que l'auteur le compare (référence obligée quand on veut aujourd'hui critiquer le "wokisme") à une forme de lyssenkisme. Les multiples éléments exploitables dans le marxisme pour une pensée "woke" sont totalement ignorés.
Pour le second point, l'auteur, qui semble apprécier Foucault, cite quelques passages de son oeuvre supposés incompatibles avec le "wokisme" : Foucault aurait cherché à ôter toute légitimité aux identités fixes du sujet, là où le "wokisme" réintroduirait ce genre d'essentialisation. Mais Braunstein devrait être au courant, puisqu'il critiquait ce point plus haut dans l'ouvrage, du fait que les identités défendues dans le "wokisme" sont fluctuantes et que c'est justement ce point qui peut trouver une source d'inspiration dans les pensées de la déconstruction de la French Theory.

Il semble tout simplement que Braunstein, en bon universitaire, ait du respect pour la gauche incarnée par les marxistes et les soixante-huitards, alors qu'il n'en a pas pour la nouvelle gauche incarnée par le "wokisme" (expression dont la légitimité n'est jamais critiquée à aucun moment dans l'ouvrage). C'est pourquoi il faut à tout prix préserver les marxistes et Foucault de toute influence majeure dans l'apparition du "wokisme".

Il est difficile, en lisant la manière dont Braunstein présente les théories "wokes", de se convaincre qu'il les a exposées sérieusement. Evoquant le poncif d'un "retour du racisme" à travers le "racialisme woke", Braunstein parvient à écrire que les races évoquées sont certes des constructions sociales et non des entités biologiques, mais que cela ne change rien.

Braunstein reproche d'ailleurs aux théories attaquées des points qui ne devraient pas scandaliser un philosophe un tant soi peu connaisseur de l'histoire de la philosophie : est-il si choquant que cela d'affirmer que l'esprit peut s'émanciper du corps, ou que certaines motivations subjectives interviennent dans l'activité scientifique et sa prétention à l'objectivité ?

Soulignons malgré tout les qualités de l'ouvrage : outre sa grande clarté, il mentionne de temps en temps (mais malheureusement, sans approfondir), quelques uns des arguments les plus efficaces contre le "wokisme", à savoir :
- l'absence de signification des mots homme ou femme, si ceux-ci peuvent renvoyer à l'expression de n'importe quel sentiment.
- la non-falsifiabilité, et donc la non-scientificité, d'un certain nombre des théories concernées.
- l'impossibilité de satisfaire toutes les demandes des concernés sans faire courir un risque objectif à d'autres catégories de personnes (par exemple les femmes dans les compétitions sportives).

De manière assez intéressante, Braunstein fait remarquer que c'est la transidentité qui constitue le fer de lance de la doctrine "woke", car les trangenres incarnent au plus haut point l'idée d'une auto-définition de l'identité par l'esprit seul, là où les autres identités restent encore définies par des structures historiques ou sociales.

Mais de manière générale, l'ouvrage, qui n'est certes pas désagréable à lire, semble prêcher à des convaincus. Un lecteur un tant soi peu convaincu par les idées dites "wokes" ne se remettra pas en question à la lecture de l'ouvrage. Quant aux lecteurs désireux de découvrir la signification du mot "woke", il y aurait sans doute des ouvrages plus neutres à leur recommander.



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Je n'avais lu sur la pensée woke que des articles et un assez bref opuscule. Je l'avais vu aussi apparaître dans un roman. Cela sans avoir l'impression d'avoir une bonne compréhension de la question.
Jean-François Braunstein est philosophe et le titre de son essai, "La religion woke", affiche qu'il s'agit d'une critique des croyances woke.
L'ouvrage relève qu'il s'agit de la première religion née dans les universités, ce qui en rend la critique scientifique extrêmement difficile. Une religion contre la réalité, contre l'universalisme et contre la science.
Le point de vue est d'abord philosophique mais il est aussi sociologique. L'auteur a beaucoup lu sur la question et cite abondamment de nombreux penseurs woke. Il fait des rapprochements intéressants avec d'autres courants de pensée historiques. Il conteste ce faisant qu'on puisse considérer que Michel Foucault, si on le lit bien, a influencé la pensée woke..
Au total, les articulations de la pensée woke, avec ce qui la sous-tend, sont fort bien analysées et ce livre, dont la conclusion ne se veut pas pessimiste, mais est néanmoins alarmiste, mérite d'être lu par qui pense qu'il y plus à attendre de la diffusion de nouvelles connaissances que de l'enseignement nouvelles croyances aux écoliers.
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Une excellente initiation pour qui voudrait savoir de qui, de quoi on parle .
Des "éveillés", nos nouveaux puritains...
Woke, wokisme, éveil, transgenre, théorie du genre, fluidité de genre, études de genre, racialisme, épistémologie du point de vue (même la science !), intersectionnalité, privilège blanc, fragilité blanche, care, écriture inclusive.
Les wokes ont déjà apparemment remporté la victoire des mots qui donnent un petit côté sérieux et intellectuel à leurs élucubrations.
Si le bon sens, le sens commun (si décriés) laissent faire, ils achèveront la destruction de l'Education déjà bien amochée et les futurs enseignants, victimes consentantes voire propagateurs enthousiastes, n'y seront pas pour rien.
Une difficulté supplémentaire : le wokisme, à l'origine, s'appuie sur une réalité étasunienne non contestable telle le racisme, sans oublier le sexisme, entre autres.
"Sens critique" a établi une liste d'ouvrages bien sous tout rapport, dont le wokisme aurait pu s'inspirer. Imparable (en grande majorité).
Mais qu'en a-t-il fait ?
Les adeptes du wokisme savent parfaitement jouer de la culpabilisation des éternels et uniques "dominants" (les blancs), pour vendre leurs théories à de jeunes esprits manipulables.
L'entre-deux, le gris, la nuance, la discussion, le dialogue, le débat deviendront des antiquités dépassées, nous en avons déjà de nombreux exemples.
Il ne restera plus que l'anathème, la mort sociale et... les sorcières !
J'ai terminé la lecture le livre rempli de post-it pour les citations à recopier.
Je le fais très rarement, pas très pratique et bien trop long, mais le coeur y est !
PS. Butler, Preciado, DiAngelo, ou Kendi. Quatre auteurs emblématiques du wokisme.
Peut-être en lire au moins un, sinon on risque d'être accusé de ne s'informer qu'à sens unique.
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