Il y a des rencontres plus marquantes que d'autres dans une vie, et celle avec
Fay l'est assurément, je pense que peu de lecteurs me contrediront. Petite fée maléfique ou bienfaisante ? le calembour est facile, mais les dégâts involontaires que cette jeune fille, naïve et inconsciente de son impact sur les autres, fait sur son chemin n'aident pas à placer le curseur sur l'un ou l'autre de ces adjectifs.
Tout juste sortie de l'enfance à dix-sept ans,
Fay part de chez elle, un foyer misérable rongé par la pauvreté et la violence d'un père alcoolique ayant des vues sur elle, sa propre fille, pas empêché par une mère soumise. Où va-t-elle ? Elle n'en sait rien, le vent la portera, aidé par des automobilistes plus ou moins bien intentionnés à son égard, avant qu'elle ne fasse la connaissance de Sam Harris, un policier qui l'emmènera dans sa maison où elle vivra quelques mois de bonheur en compagnie de celui-ci et de sa femme Amy. C'est qu'évidemment,
Fay est en manque d'attention et d'amour, et est prête à beaucoup de choses et à beaucoup de « oui » dès qu'on lui manifeste un peu de considération. Un drame la poussera à mettre une nouvelle fois les voiles, ce qui la fera échouer dans la station balnéaire de Biloxi, où elle tentera de reconstruire sa vie avec le premier venu qui lui donnera l'impression de vouloir la protéger…
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Fay » est un roman plus que noir (trop pour moi), porté par une héroïne assez incroyable, toute en nuances et en paradoxes : maltraitée psychologiquement et émotionnellement, tenue volontairement loin de toute éducation, témoin de beaucoup trop de choses violentes depuis sa tendre enfance, elle n'en reste néanmoins pas forte, mais surtout étonnamment dotée d'une ingénuité et d'une naïveté assez confondantes, ce qui la pousse dans des traquenards pourtant évitables. Mais ce mélange détonnant est à l'origine d'une violence larvée qui fait d'elle une petite bombe à retardement dangereuse, pour elle comme pour les autres, et lui occasionnera à ce titre beaucoup de problèmes.
A l'heure d'écrire mon billet, que dire de ce roman complexe ? Tout d'abord que c'est un roman puissant, qui vous marque, de ceux qu'on n'oublie pas. C'est un roman grandiose, au style un peu sec et dénué de tout gras, à l'écriture simple mais loin d'être simpliste, tant elle a soulevé en moi des émotions profondes, même si négatives : tout d'abord un certain ennui pendant une bonne moitié du roman, car il est assez lent, et je ne voyais pas où les personnages ni l'auteur voulaient en venir ; du dégoût surtout, provenant de ce plongeon dans cet univers poisseux du Sud-Est des Etats-Unis, dans ce Mississippi où ne règnent que la violence, le sexe le plus souvent non consenti, la pauvreté et l'alcoolisme. Les rapports sentimentaux ne sont régis que par l'abus, la domination masculine, la pauvreté du coeur. La tristesse règne partout, même l'aspect un peu sentimental, l'amour que porte Sam à
Fay, est triste : qu'aime-t-il chez elle ? Sa jeunesse, son innocence, qui lui rappellent sa fille ? L'amour d'Amy qu'il a connu et perdu ? Peut-être un peu des deux à la fois.
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Fay » m'apparaît ainsi comme un roman laid, d'où sourd pourtant quelques petits flashs de beauté, assez vite réprimés cependant. L'envie de
Fay d'être aimée et protégée est belle, mais elle est flétrie, gâchée par la plupart des hommes qu'elle rencontre, même Sam dans une certaine mesure. «
Fay » est un roman maîtrisé, mais il m'a trop rappelé que le monde est loin d'être un endroit sûr et fiable, ou beau. Même si je n'apprends rien, parfois j'aime bien faire l'autruche…