Citations sur Vanda (70)
Ce bar, c’est une fausse famille à force, des gens avec qui rire sans en avoir vraiment envie, des ivrognes qui deviennent plus familiers que les cousins avec qui on faisait les marioles ou que ses propres gosses.
Vanda a admis très tôt qu’elle était seule, comme on est seul le jour de sa mort. Elle en a consommé la douleur jusqu’à en faire une identité, une armure.
C'est à ce moment qu'elle [l'] a vu (...), adossé à la buvette. Jean et chemise de sortie, pelvis conquérant. Il la matait avec un sourire en coin, les yeux brillants, et elle a tout de suite vu qu'elle lui plaisait. Ça lui a pas fait particulièrement plaisir, même s'il était beau mec. Le truc quand une femme plaît, c'est que ça crée des obligations. C'est con et ça se modifie avec le temps, mais parfois ça reste accroché aux gonzesses à qui on n'a rien expliqué, surtout quand la situation de l'une dépend du bon vouloir de l'autre.
Quand son fils est né, quand elle l'a reçu contre elle pour la première fois, ça a déchiré quelque chose, en dedans. Il était là et il n'avait qu'elle. Il va t'aimer toute sa vie, elle se répétait, et elle ne savait pas si c'était un bonheur ou une putain de malédiction.
Vanda ne comprend pas la fragilité des porcelaines, les préambules et les précautions. Alors un enfant, pour une femme brutale et solitaire, un enfant avec ses yeux d'oiseau sans plumes, sa peau translucide et sa dépendance absolue, elle n'était pas sûre de savoir s'y prendre. La première chose qu'elle a faite, c'est de le renifler.
Un gars l'avait prévenue (...) : tu reconnaîtras Joseph, il porte un tee-shirt de la Caisse d'Epargne. Elle avait trouvé ça bizarre, un aventurier qui porte un tee-shirt à l'effigie d'une banque. Plus tard, il lui avait expliqué comment il avait quitté son poste vingt ans plus tôt au bout de six mois de travail, incapable de supporter le gouffre entre son taf et la vie, au sens large. Le tee-shirt, c'était une piqûre de rappel, un pied de nez, une vieille blague.
(p. 31)
Qu'est-ce que ça le faisait chier Noël en famille. Maintenant qu'il ne sera plus obligé, il se demande si ça va lui manquer.
(p. 21)
Ça continue quand les fonds ne sont pas débloqués pour la moindre sortie scolaire et que les instits soupirent de rage, que les immeubles de pauvres s'écroulent pendant que le centre-ville est redessiné pour ressembler à un décor. La haine se mêle à la peur, Vanda se sent au bord de l'explosion, tout au bord. Qu'ils crèvent. Que leurs sourires cyniques s'élargissent au couteau. Qu'ils s'étouffent dans leur mépris, se carrent leurs millions dans le cul et qu'ils en crèvent.
Qu'est-ce que ça peut bien foutre de manger bio ou couper le robinet en se brossant les dents, puisque c'est déjà mort. Puisque les cadavres d'animaux viennent faisander jusque sous les bikinis. Bientôt, les gosses mettront dans le même sac licornes et tigres blancs, sphinx et aurochs. Même eux ils vont crever. Elle en a une conscience aigüe, comme un animal avant la mise à mort, et ça la rend folle d'imaginer que lorsque ça arrive, Noé sera peut-être encore là.
- Il faut que tu partes.
La voix est menaçante, les mots sont une supplique.
Simon regarde Noé comme s'il attendait que la solution vienne de l'enfant.
- Je vais revenir, Vanda, que tu le veuilles ou non.
Vanda ne bouge pas, ne le regarde pas. On ne sait pas s'il elle a entendu ou si le ressac a couvert la voix de l'homme qui la toise, mais il se fourre le doigt dans l'oeil s'il croit qu'il s'agit d'un simple bras de fer.
- Ne fais pas ça.
Simon ouvre son sac nerveusement, en sort un album coloré. Il le pose dans le sable, ne s'adresse qu'à Noé :
- C'est pour toi.
D'un mouvement des hanches, elle soustrait l'enfant au regard de Simon. Sa lèvre tremble mais elle ne pleure pas.
- Tu sais pas ce dont je suis capable.
Ils vont tous finir pareil, à force d’être jetables. Ça fait longtemps qu’elle le sait, qu’elle compte pour rien ou pas grand-chose. Elle l’a su très tôt, vu que sa mère comptait déjà pas des masses. Et ça s’aggrave à chaque rendez-vous chez Pôle emploi, à chaque fois qu’Internet coupe au moment où elle remplit un interminable formulaire pour une demande d’aide au logement. Ça continue quand les fonds ne sont pas débloqués pour la moindre sortie scolaire et que les instits soupirent de rage, que les immeubles de pauvres s’écroulent pendant que le centre-ville est redessiné pour ressembler à un décor. La haine se mêle à la peur, Vanda se sent au bord de l’explosion, tout au bord.Qu’ils crèvent. Que leurs sourires cyniques s’élargissent au couteau. Qu’ils s’étouffent dans leur mépris, se carrent leurs millions dans le cul et qu’ils en crèvent.