Plus d'un demi-siècle s'étend dans ces pages et nous aide à (tenter de) comprendre la Guadeloupe : ses habitants, ses décors, son histoire, ses blessures, ses croyances hybrides, ses campagnes fertiles, ses usines qui dévorent les hommes et contaminent sols et eaux, ses bidonvilles, sa bétonisation, ses exilés.
Cette Guadeloupe se révèle aussi par la hiérarchisation des couleurs de peaux, par la manière de tisser les liens, de sang ou de voisinage, par les relations avec les terres américaines ou caraïbes les plus proches, par ses fêtes, sa musique, ses commerces ; par le courage des femmes qui refusent la soumission aux usages (donc aux hommes) et le courage des jeunes qui rejettent la domination venue, avec uniformes et fusils, de ce lointain territoire qu'on appelle France.
La Guadeloupe, c'est aussi la multiplicité des destins : ceux qui partent vers cette Métropole et voient échouer leurs rêves sur les façades désolantes des HLM, ceux qui restent au milieu de leur champs, ceux qui veulent se faire une place à la ville.
Estelle-sarah Bulle possède une écriture magnifique, évocatrice, riche et rythmée, et montre aussi, d'un bout à l'autre de ce volume, un talent de conteuse achevé, qui lui permet de construire un texte foisonnant et pourtant cohérent et parfaitement agencé.
Cette fresque historique, ethnographique, familiale, sentimentale, politique se révèle tour à tour instructive, amusante, cruelle, attendrissante, révoltante, bouleversante.
Elle enrichit indéniablement les lecteurs et lectrices qui osent ce voyage, autant pour la connaissance qu'elle apporte de cette île que pour les réflexions sur les méthodes d'émancipation et la force déployées par certaines héroïnes.