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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Morne-Galant, c'est un village au bout d'un chemin où il n'y a rien, à part des vaches et quelques habitants : « Encore aujourd'hui, les Guadeloupéens disent de Morne-Galant : « Cé la chyen ka pa japé pa ké. » Je te le traduis parce que ton père ne t'a jamais parlé créole : « C'est là où les chiens aboient par la queue. »

Elle, la narratrice, est d'origine guadeloupéenne mais ne connaît rien de la culture créole, sa tante Appolone va se charger de lui faire le récit de ses origines entre mythes et réalités. Elle est « celle qui relie le passé au présent, la Guadeloupe à Paris, comme une racine souterraine et pleine de vie ».

Appolone ou Antoine, « son nom de savane » choisi pour éloigner les mauvais esprits. D'une verve sans pareille, elle lui conte l'histoire de la famille Ezechiel. le grand-père Hilaire marié à une « béké », une blanche d'un village fermé de colons bretons, les Blancs-Matignon.
Mais à Morne-Galant, la vie devient vite plate et morne pour une jeune fille pleine d'ambition et farouchement indépendante comme Antoine.

Dès ses 16 ans, quittera son village natal pour la capitale, Pointe-à-Pitre, et ses bidonvilles qui accueillent les travailleurs antillais employés par les Français. Avec pour tout bagage un parapluie rouge, une robe élimée et un mouchoir usagé, elle fera vite l'apprentissage des hiérarchies et des conventions sociales.

Retranscrite dans une langue imagée et fleurie, la vie d'Antoine devient un voyage à travers l'histoire de la colonisation de ce petit bout de terre et de ses relations avec la République française et ses promesses d'un avenir meilleur.

Qu'à cela ne tienne, elle partira sur le territoire métropolitain pour y chercher ses espoirs et sa liberté. Mais c'est le béton sans odeur et sans âme des grands ensembles qui l'accueillera alors.

Entre Morne-Galant et Créteil, c'est une histoire conflictuelle et passionnée à laquelle nous invite à parcourir Estelle-Sarah Bulle. Une histoire d'origine et d'exil, de promesses et d'espoirs déçus ou accomplis. Partir quand on n'a pas les moyens de continuer à vivre où l'on est. Partir en n'étant plus tout à fait d'ici, ni jamais vraiment de là-bas. Une histoire de liberté, de douleur et d'identité.

Un premier roman plein de poésie dans une langue pleine de fantaisie qui fait danser les mots et les idées d'une prose lyrique et facétieuse à travers soixante ans d'histoire franco-antillaise.

Lu en octobre 2018.
Retrouvez mon article sur Fnac.com/Le conseil des libraires :
Lien : https://www.fnac.com/La-ou-l..
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C'est l'histoire d'une famille guadeloupéenne sur deux générations. Une fresque colorée, reconstituée à travers les propos recueillis de deux soeurs et de leur petit frère, par Eulalie, la fille de ce dernier.
C'est aussi l'histoire de la Guadeloupe, cette île, où tout a été importé ("Même cette canne autour de nous n'était pas là, c'est une plante importée, comme presque tout ici."), le pays du « Nèg kont' Nèg » et des marabouts.
Originaire de Morne-Galant, un bled que les guadeloupéens appellent l'endroit "où les chiens aboient par la queue" ( un trou perdu), les trois enfants finissent tous par « s'exiler » en France. Français sur papier, ils appartiennent pourtant à un autre monde, les "immigrés de l'intérieur ", que la nièce, née et grandit en France, aimerait connaître et comprendre.
"Tu viens me voir, et tu te demandes où est notre place, à nous qui venons d'un entre-deux du monde.....”. lui dit Antoine. Remontant aux années 40, c'est elle l'aînée, "on bel ti fanm", qui entame cette histoire avec l'histoire de ses parents et sa fuite de la maison à seize ans, pour Pointe-à-Pitre..... En contrepoint, nous écoutons le frère et la soeur cadette raconter leur propre histoire, jusqu'à leur arrivée à Paris dans les années 60.
Début 70 entre en scène, la nièce. Bien qu' Antoine lui dit "tu as toujours vécu en métropole, tu ne sais pas vraiment ce qu'est le racisme", sa condition d'antillaise n'en restera pas moins modifiée. Une des premières phrases qu'elle entendra toute petite sera "Ça va, c'est qu'une Négresse".
Comme souvent dans les romans polyphoniques, les faits ne s'accordent pas, les points de vue différent....., mais dans ce riche terreau, le fond de vérité y est,
de la misère et la pagaille bigarrées de la Guadeloupe aux tours de bétons grises et quartiers monocolores de la banlieue parisienne, deux générations d'antillais pris entre deux mondes, sur fond de racisme latent. Lequel est le meilleur ? Surtout que le premier a fini par être “civilisé”, par le second. " et le père d'Eulelia, en dira, "j'ai quitté un nulle part pour un autre nulle part".

Le sel de ce récit truculent et lucide, est sa superbe prose fluide, très colorée, parsemée d'expressions créoles (prendre un toufoukan dans les venelles / fouteurs de manjékochon / ses « sa ki ta'w ta'w ....). L'écrivaine dit " le créole est une langue très riche, très imagée, très poétique, où l'on peut puiser à l'infini. J'ai donc pu m'amuser avec ce matériau sans le maîtriser complètement.". Eh bien l'amusement est trés réussi !
J'ai aimé le personnage d'Antoine, femme loufoque, indépendante, qui n'a pas froid aux yeux, se moque du qu'en dira-t-on, parle aux esprits et super débrouillarde, dans un monde où elle n'est pourtant pas du tout à son avantage !
Bref j'ai beaucoup aimé ce livre, un premier roman qui a déjà remporté le prix littéraire Stanislas et est en lice pour celui de la Fnac !

"Noirs, Blancs, Indiens, Chinois, Syriens, nous nous savions tous liés, entremêlés, mais nous avions honte de cette créolité qui était pourtant la seule réalité, la seule histoire de l'île."







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« Cé la chyen ka japé pa ké », en créole signifie : Là où les chiens aboient par la queue. C'est par ces termes que les Guadeloupéens désignent encore aujourd'hui Morne-Galant, c'est-à-dire un village perdu au fin fond de l'île…
C'est dans ce village que sont nés les enfants Ezechiel : Apollone, alias Antoine, Lucinde et Petit-Frère. Ce sont les récits croisés de ces trois personnages que la fille de Petit-Frère et par conséquent la nièce d'Antoine et Lucinde, née en France, va aller quérir : « cette fois, j'étais adulte et je voulais parler seule avec Antoine, qu'elle me raconte le passé, la Guadeloupe, la famille, à sa manière. »
C'est surtout avec sa tante, Antoine, que les conversations auront lieu dans une boutique acquise par celle-ci, au pied du Sacré-Coeur. Si les trois enfants Ezechiel ont quitté les Antilles pour la métropole, c'est elle qui a le caractère le plus affirmé et qui est la plus « indomptable ». Elle a d'abord quitté Morne-Galant en 1947 pour Pointe-à-Pitre, puis, vingt ans plus tard, s'est installée à Paris.
Estelle-Sarah Bulle, par ce roman, nous fait revivre l'histoire de cette famille, en Guadeloupe, avec toute sa beauté mais aussi toute sa misère puis partager son exil vers la métropole où il faut lutter pour exister.
C'est avec une écriture inventive et pleine de gouaille que l'autrice nous rend de façon plus que vivante cette ambiance antillaise tellement grouillante. le personnage incarné par Antoine est haut en couleurs, baroque, dépourvu de toute gêne, sans pondération, libre, parfois irrationnel, très audacieux, un peu « visité par les anges », comme elle le dit, mais se révèle, en tout cas, très débrouillard.
Ce roman a le mérite de nous faire traverser six décennies de métamorphoses au travers d'une famille antillaise et nous restitue un magnifique résumé de l'histoire moderne de la Guadeloupe. Il dit à la fois la douleur de partir et l'envie de regarder l'avenir. Belle réussite que ce premier roman !

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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La famille Ezéchiel fait partie des descendants d'esclaves souvent exploités par les blancs, les békés avec qui toute alliance était impensable. Sauf que dans les années quarante, Hilaire Ezéchiel épouse Eulalie Lebecq, d'une famille bretonne de petits colons blancs, et donne naissance à une descendance mixte. Des enfants qui à l’age adulte bien qu'attachés à la Guadeloupe voudront la quitter pour la métropole, vivant un déracinement.

Avec des personnages forts comme Antoine, une tante libre et entreprenante, sa nièce, Estelle-Sarah Bulle, née à Créteil, raconte un peu son histoire personnelle et familiale. Elle le fait dans une langue joyeuse, imaginative et colorée qui nous embarque dans les croyances, les joies et les souffrances, les soumissions et les révoltes, d'une île à la beauté envoûtante (quelque peu abîmée par les constructions de béton des années soixante). Une île — dont le passé commun avec la France a commencé au XVIIe siècle avec la déportation massive par les Français d'esclaves noirs africains — inoubliable sous la plume épatante d'Estelle Sarah Bulle.

Challenge MULTI-DÉFIS 2019
Challenge PLUMES FÉMININES 2019
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Quand les espèces s'y mélangent, qu'on y cueille à la fois des fleurs pour la beauté , des plantes médicinales pour la santé , et des fruits et  légumes pour la nécessité,   on appelle ce bout de terre minuscule et essentiel, un "jardin créole".

Le premier livre -très réussi- d' Estelle-Sarah Bulle - un bien joli nom!- est un jardin créole à lui tout seul!

Une langue chatoyante, savoureuse, cocasse, poétique, tout émaillée de parler créole,  pour le plaisir des sens et de l'esprit.

- Pour savourer, rire, rêver, entendre une musique nouvelle venue de cet endroit "cé la chyen ka japé pa ké "...

Des personnages bien campés,   proches de la Narratrice - dans laquelle se projette, certainement, l'auteure- pour nourrir le récit, lui donner sa chair, son sang, ses nuances, ses contrastes et ses contradictions.

- Pour donner la vie.

Trois générations de guadeloupéens - descendants des esclaves noirs,  métis, blancs  pauvres- , tiraillés entre leur terre magique et misérable  et la marâtre métropole,  perfide et trompeuse.

Trois générations dont les souvenirs tissent  les fragments d'une fresque historique, donnant  une  caisse de résonance collective et puissante à leurs expériences individuelles.

- Pour comprendre la grande Histoire de l'esclavage, de la colonisation, de l'intégration. 
Pour toucher du doigt les péripéties d'une identité et d'une fraternité douloureuses.

Laissez vous charmer par ce jardin-là.

Suivez-en les sentiers perdus dans l'herbe folle.

Le parcours terrien, champêtre , du grand-père,  folâtre et fier, généreux et inconséquent,

Les routes aventureuses de la tante Antoine, un peu pirate, un peu maquerelle,  un peu sorcière, un peu bigote, inlassable  bourlingueuse , marchande aux mille besaces,- un inoubliable personnage de femme!

La trace toute droite de Petit-Frère,  le bien nommé,  père de la narratrice, altruiste, engagé,  qui trouve sa voie en rompant les liens avec religion, superstition, et même famille pour trouver une nouvelle fraternité élargie dans les luttes sociales, l'éducation,  l'émancipation.

Et le fin tissage de la narratrice qui, pieusement, recueille et transmet, sans les  juger, ces parcours si différents, recréant ainsi une autre Guadeloupe, mythique , pleine de récits devenus légendes, habitée de héros familiers et mystérieux, une terre des origines où elle tente, à chaque vacance,  d'inscrire sa vie citadine et métropolitaine, en nouant  ses racines à  celles des siens.

Nouer, renouer  ses racines..

La renouée, cette plante mi- sauvage, mi- décorative, tenace, obstinée, impossible à extirper definitivement -  le désespoir des jardiniers rigoristes - est sans doute la plante la plus vivace de ce  jardin créole.. .

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Ce premier roman sorti en 2018 me faisait de l'oeil depuis un moment. J'aime bien découvrir d'autres univers sous la plume de nouveaux auteurs et j'ai eu ce plaisir avec Là où les chiens aboient par la queue
Tiré d'une expression créole, le titre de ce roman d'Estelle-Sarah Bulle donne le ton à l'histoire émaillé de ces locutions imagées.
La narratrice, qui n'a connu que la métropole, va voir sa tante Antoine pour remonter le fils de l'histoire familiale. Antoine est une figure au sein de la famille, une femme très grande et dotée d'un caractère fort et têtu. Son récit nous fait pénétrer dans le destin de ses guadeloupéens pauvres, sans éducation proies faciles de la superstition, et qui tentent de s'en sortir par la débrouille. Antoine partira en métropole où se sont déjà installés sa soeur Lucinde et le dernier de la fratrie, Petit-Frère.
Dans ce roman choral chacun, tour à tour va raconter la vie à Morne-Galante entre Hilaire le père qui est un beau parleur et la mère, une béké, trop tôt partie.
A travers ce retour aux sources, on découvre une Guadeloupe pauvre où avoir la peau noire signifie être en bas de l'échelle sociale. On perce la réalité de l'exil en métropole et la nostalgie de l'île et de la famille car, en France, on n'est pas toujours bien accueilli et il faut jouer des coudes pour se faire sa place. On découvre aussi des évènements historiques méconnus comme ce soulèvement des indépendantistes en 1967.
L'écriture d'Estelle-Sarah Bulle pétille à chaque page, elle a l'accent chantant du créole. J'ai été charmée par la truculence, la joyeuseté colorée de la langue qui fait sourire mais sait aussi nous émouvoir.
Tous ces personnages nous entrainent dans leur exil fait d'espoirs, de promesses et de déceptions mais toujours ils se relèvent. Antoine est parmi les personnages les plus attachants avec cette soif de liberté chèrement acquise.
J'ai lu avec plaisir et gourmandise ce premier roman dépaysant et plein de fantaisie.

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Là où les chiens aboient par la queue, c'est un nom qui peut étonner, c'est ainsi que l'on désigne Morne-Galant en créole, village aux confins de la Guadeloupe des années quarante, village au bout de tout.
C'est un texte polyphonique qui nous fait visiter deux générations de guadeloupéens, au travers des récits de trois personnages, Appolone dite Antoine, Lucinde et Petit-Frère, récits recueillis par la narratrice, nièce d'Antoine et de Lucinde, fille de Petit-Frère, née dans la France métropolitaine.
Un personnage facétieux émerge plus particulièrement, l'une des deux tantes de la narratrice, au prénom masculin d'Antoine, « un nom de savane » comme pour mieux embrouiller les mauvais esprits, tout tourne autour d'elle, une manière de bousculer la vie, s'arranger avec les sortilèges, retenir les chimères.
Par le truchement d'une inspiration poétique et colorée, Estelle Sarah Bulle, née à Créteil, d'un père guadeloupéen, a écrit ce premier roman qui vient puiser sans doute dans les racines de sa famille, les souvenirs de quelques-uns d'eux qu'elle a pu interroger au fil du temps. Le récit s'inspire pour beaucoup de témoignages des siens, mais la puissance de la narration en fait aussi un récit romanesque atypique. La narratrice a beau s'appeler Eulalie, tiens ! Eulalie comme sa grand-mère ! on pense forcément à l'auteure lorsque la narratrice s'interroge et interroge un territoire qu'elle n'a pas connu et qu'elle découvre dans les mots des siens. L'imaginaire de l'auteure a sans doute fait le reste.
Il y a indéniablement un art du conte que j'ai découvert et aimé ici dans ce récit foisonnant, enrichi par une langue fleurie, colorée par l'influence créole, où mythes et réalités se côtoient dans une savante alchimie. Des odeurs, des images viennent à nous.
Il y a des moments savoureux comme la description de la conquête spatiale faite par le grand-père, Hilaire, qui prend une autre tournure en créole, plus drôle, plus excitante.
Je me souviens aussi d'un passage très touchant du livre où Petit-Frère veut à toute force, retrouver une photo de sa mère Eulalie, qui aurait peut-être existée.
La tante Antoine, qui suit son désir et s'engouffre comme une tornade dans l'existence, assume une féminité flamboyante dans un monde ou l'esprit libre et rebelle se décline plutôt habituellement au masculin.
Si Lucinde et Petit-Frère ne sont jamais parvenus à lui tenir tête, le texte aussi s'en ressent quelque peu dans ce déséquilibre des forces. C'est peut-être ce qui m'a fait me détacher de ce roman à certains instants.
Le charme du livre tient essentiellement à ce ton picaresque au bord de l'enchantement, emporté par l'existence de la tante Antoine.
L'attachement à une terre, l'exil, le déracinement, l'arrachement sont des thèmes qui portent le roman. L'arrachement à Morne-Galant que vit Antoine, propulsée dans la turbulente Pointe-à-Pitre dès l'âge de seize ans offre déjà pour celle-ci un nouveau territoire où exister, s'affranchir de Morne-Galant, puis c'est l'envol vers Caracas. C'est un monde de séduction et de violence. Il y a la rencontre extraordinaire et en même temps éphémère avec Armand là-bas, trafiquant de pierres précieuses, ancien bagnard de Cayenne, personnage tout droit sorti d'un récit de Jack London, de Joseph Kessel ou de Henry de Monfreid...
C'est le temps où peu à peu les superstitions et les charmes vont basculer et s'éteindre dans l'ère de la modernité.
C'est un exil à rebonds multiples. Lorsque les tractopelles viennent plus tard à la fin des années soixante évacuer le village de Morne-Galant, il est déjà temps de partir vers les HLM ou les bidonvilles de Pointe-à-Pitre. Ce sont des cicatrices laissées sur la terre retournée, dans les débris des maisons, le fatras du bois et des tôles arrachés, les souvenirs que l'on ramasse par morceaux...
Puis plus tard, d'autres partiront vers la France, terre d'espérance, qui deviendra bientôt terre de désillusion.
Un personnage traverse le récit, c'est un oiseau à la fois fier comme un héros et égaré dans une histoire qui lui échappe peu à peu, c'est Hilaire, le grand-père, qui vécut jusqu'à cent cinq ans. Il n'a jamais compris qu'on puisse mener une autre vie que la sienne.
La narratrice apprend à aimer l'histoire des siens, qui devient peu à peu son histoire, elle se l'approprie, celle d'où elle vient mais qui n'a pas vécu l'arrachement, l'exil, elle le vit à travers les témoignages de ses deux tantes et de son père, elle est née dans la grisaille, aime cette île gorgée de soleil et de désir, un monde de sensations secrètes, inaccessible la plupart du temps, « une succession de violences, de destins liés de force entre eux, de soumissions et de révoltes ».
C'est un texte qui m'a enroulé dans ce tourbillon d'images, de couleurs, d'odeurs, d'exil aussi avec toute la douleur qu'il éveille. C'est un texte pour lequel j'ai eu cependant quelques difficultés d'approche aux premières pages. Je ne sais pas bien ce que je retiendrai de ce récit quelques temps plus tard, sans doute le personnage d'Antoine, flamboyant, grandiose, rebelle ; pour le reste j'ai peur qu'il manque peut-être un souffle pour l'emporter dans mon horizon... Après, de ce que les livres deviennent, l'endroit où ils parviennent dans notre mémoire si capricieuse, on n'en est pas toujours maîtres...

Lu dans le cadre de la sélection du prix Cezam 2019.
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Titre : Là où les chiens aboient par la queue
Auteur : Estelle-Sarah Bulle
Editeur : Liana Levi
Année : 2018
Résumé : Apollone naquit à Morne-Galant, un village reculé de Guadeloupe, au début des années cinquante. Celle que l'on surnommera Antoine – son nom de savane destiné à éloigner les mauvais esprits – vivra plusieurs décennies sur son île natale avant de rejoindre la métropole. Là, sur les pentes de la butte Montmartre qu'elle aime tant, dans son minuscule commerce fait de bric et de broc, la vieille dame confiera les secrets de sa famille à la fille de son frère cadet.
Mon humble avis : Ceux qui ont pour habitude de lire ses petites chroniques savent à quel point je ne suis pas attaché à l'actualité littéraire, ou plutôt à quel point je ne l'étais pas. le constat de mes lectures de ces dernières semaines est implacable : beaucoup de contemporains et de romans qui font l'actualité. Un mal ou un bien ? Je ne saurais le dire, reste que la littérature contient tant de trésors à découvrir qu'il me semble aberrant de se cantonner aux bouquins dont on parle sur les réseaux sociaux ou dans les médias à l'instant T. Bref, et c'est le bon côté de la chose, suivre le courant permet parfois de tomber sur des perles, et indéniablement le roman de Estelle-Sarah Bulle fait partie de cette catégorie rare. Là ou les chiens aboient par la queue est un texte enrichissant, par sa langue et son contexte bien particulier. D'abord le style : des mots qui coulent, du créole, des expressions poétiques, une écriture élégante et imagée. Ensuite le rythme, il s'agit d'un roman court, un roman choral où les chapitres se succèdent avec différents narrateurs dont la fameuse Antoine, pierre angulaire de la famille Ezechiel. J'avoue avoir eu une préférence marquée pour ce personnage attachant, pour ses aventures sud-américaines et son amour, unique et onirique. Avec ce texte, Estelle-Sarah Bulle embrasse plus de cinquante ans d'histoire Guadeloupéenne : des séquelles de l'esclavagisme aux velléités indépendantistes, des révoltes sociales à l'immigration massive des antillais en métropole à la fin des années soixante. A travers les pérégrinations de cette famille, c'est tout un pan de l'histoire de France qui est dépeint, souvent avec malice, acuité et toujours avec tendresse et un recul salvateur. Sans pathos, avec des mots forts et une certaine forme d'ironie, l'auteur nous parle de combativité, de résilience, de liberté et de destins chaotiques. C'est beau, enthousiasmant, c'est le premier roman d'Estelle-Sarah Bulle et c'est une petite pépite.
J'achète ? : Oui, sans aucun doute. Là ou les chiens aboient par la queue est un roman court, original et tonique. Un texte qui sent le soleil mais aussi la déception. Un texte où affleure le désespoir à chaque page, une oeuvre peuplée de personnages forts et marquants. Un très joli premier roman, encore une fois.

Lien : https://francksbooks.wordpre..
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Estelle-Sarah Bulle raconte la vie de Guadeloupéens pauvres, partagés entre leur village d'origine, Morne Galant, la capitale insulaire Pointe à Pitre, qui a tellement changé en quelques décennies, et la métropole si lointaine, où les membres de la famille Ezéquiel finissent par arriver l'un derrière l'autre.

Après un début rendu un peu confus par un arbre généalogique complexe, où les surnoms prennent la place des prénoms, et par le souci de l'auteur d'authenticité, l'amenant à multiplier les formules créoles, le récit familial à quatre voix trouve sa forme.
Avec en premier lieu, un personnage haut en couleur, la volubile et volcanique « Antoine », soeur aînée, première à quitter le village pour tenter sa chance à Pointe à Pitre. Commerçante dans l'âme, elle saura toujours se débrouiller avec les affaires, comme avec les sorts, mais ne se mariera jamais, tout en gardant la nostalgie d'un aventurier rencontré lors d'une virée au Vénézuéla.
Suit la deuxième soeur, Lucinde. Plus posée, mais aussi plus désireuse de quitter sa classe sociale en se transformant en couturière, notamment pour les dames bekés.
Enfin, le petit frère, évidemment surnommé « Petit-frère », père de la quatrième narratrice, celle qui n'a connu que l'hexagone et qui ne rencontre son grand-père Hilaire qu'à l'occasion de vacances de temps en temps..
Quatre histoires racontées à la première personne du singulier, quatre points de vue sur les racines antillaises : difficulté de s'en sortir économiquement sur l'île, entre un lopin de terre toujours plus petit, une grande ville qui a progressivement transformé ses bidonvilles en HLM de béton (Pointe à Pitre), et un déracinement lointain à la recherche de postes sûrs dans l'administration.

Des quatre, Antoine est de loin celle dont le parcours est le plus original, le plus éloigné des conventions. Mais c'est de la confrontation des quatre visions de l'histoire que se dessine un peu de l'âme antillaise. Pas de facilités, pas de clichés, juste la juxtaposition complexe de destins.

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Belle découverte que ce premier roman multi-primé qui nous emmène, à l'occasion de la quête identitaire d'une jeune métisse française, dans l'atmosphère moite et colorée de la Guadeloupe, dont on voit défiler l'histoire depuis les années 40.

Antoine, c'est la tante rebelle, forte femme attachée à sa liberté comme à son île.
Lucinde, sa soeur, a de l'or dans les doigts dont elle se sert pour assouvir ses rêves de confort et de modernisme.
Leur petit frère, c'est celui des trois qui voudra le plus vite partir loin de ses racines guadeloupéennes qui le brûlent.

la nièce, c'est celle qui va recueillir leur histoire, celle d'une famille pauvre de sang-mêlés qui a pris ses racines dans la culture coloniale française, a qui perdu ses repères qui surfé sur la vague du 'modernisme' paternaliste amené dans l'île avec De Gaulle, puis atterri, de façon plus ou moins heureuse, dans une banlieue parisienne où aucun fruit à pain ne pousse sur le béton.

Roman identitaire, réquisitoire doux-amer contre le colonialisme, "Là où les chient aboient par la queue" est avant tout une évocation formidable, grâce à ces quelques figures fortement incarnées et à une plume vive et percutante, d'une terre à la fois proche et lointaine, et de sa singularité.
Une lecture vivante et enrichissante!
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