« Conserver est un réflexe de gens bien nés, soucieux de transmettre, de génération en génération, la trace lumineuse de leur lignée. Je n'avais pas cela. Nul document à l'abri dans la pierre épaisse d'une maison familiale. Nulle trace d'ancêtres, trop occupés à survivre. Mais je possédais un registre d'expériences, de gestes, de mots qui me nourrissaient de manière souterraine. »
(La nièce p. 176)
A la mort de son grand-père Hilaire, à l'âge de 105 ans, la narratrice (la nièce) interroge tour à tour son père (Petit-Frère) et ses soeurs (Antoine et Lucinde) pour qu'ils lui racontent leur jeunesse en Guadeloupe, puis leur exil en métropole.
Ce roman qui s'étend sur plusieurs dizaines d'années, et qui entrecroise leurs conversations, tourne principalement autour du personnage d'Antoine.
Femme énergique et audacieuse, c'est elle qui mène le récit, son frère et sa soeur étant réduits au rôle de spectateurs. Antoine sait ce qu'elle veut et semble toujours maîtresse de sa vie, ne manquant pas de culot pour obtenir ce qu'elle veut.
« Je me considérais comme une femme, ça oui, et comme une Guadeloupéenne, c'est-à-dire une sang-mélangé, comme eux tous, debout sur un confetti où tout le monde venait d'ailleurs et n'avait gardé qu'un peu de sang des Caraïbes, les tout premiers habitants. Ça m'éloignait définitivement de toute idée de grandeur et de pureté. Ma fierté, c'était le chemin que je menais dans la vie et que je ne devais qu'à moi-même. »
(Antoine p. 234)
La fratrie est peu soudée, une distance qui se ressent dans le récit qui manque parfois d'émotion. Petit-Frère, à l'opposé de sa soeur, est un homme calme et discret, presque effacé par le caractère exubérant de sa soeur aînée. Un personnage qui aurait mérité d'être plus développé pour équilibrer le roman.
Avec une écriture vivante,
Estelle-Sarah Bulle en quête de ses racines, interroge son histoire familiale et celle de la Guadeloupe. Un premier roman plutôt réussi.
« Je crois qu'elle était heureuse que je la reconnaisse comme celle qui relie le passé au présent, la Guadeloupe à Paris, comme une racine souterraine et pleine de vie. »
(La nièce p. 17)