Au sujet du roman "L'Ensorcelée" :
C'est ainsi que s'opposent, d'un bout à l'autre du livre, deux types de sites et de mentalités, la lande et le bocage, les âmes éprises d'indépendance et celles qu'asservit l'amour des biens de ce monde. La lande aux larges espaces découverts hantés par des bergers suspects et le souvenir des chouans ; le bocage, coupé de haies et de bouquets d'arbres, que cultivent des paysans prudents et intéressés. La lande, chère aux passionnés de grand air, de poésie et de mystère, où se préfigure et se décide le destin de Jeanne l'Ensorcelée ; le bocage où son mari et ses semblables mènent leur vie de "gaignage". Personnages, genres de vie, conceptions philosophiques et religieuses, tout dans ce roman se ramène au contraste entre la lande et le bocage, la nature et la société, la liberté et la loi, l'inconnu et le trivial. Le romantisme de l'auteur se plaît à suggérer ces correspondances. Sa connaissance des lieux et des gens le garde des systématisations abusives.
Au sujet du roman "L'ensorcelée" :
En grand admirateur de Rembrant, Barbey joue à merveille de l'ombre et de la lumière. Les clartés éblouissantes, les découpures nettes des êtres et des choses ne sont ni de son pays ni de son goût. Au jour il préfère la nuit, à peine trouée de quelques lueurs, et plus encore les heures troubles du crépuscule, où formes et couleurs s'estompent avant de disparaître. Les scènes les plus surprenantes de L'Ensorcelée prennent naturellement place alors, au fin fond d'une forêt, sous les voûtes déjà enténébrées d'une église romane, au milieu de la lande assombrie plutôt qu'éclairée par un maigre feu de bois. Il arrive rarement que les principaux personnages se montrent en pleine lumière.
Il en est de Barbey comme de Flaubert, comme de tant d'autres grands écrivains : leurs intimes préfèrent souvent le déshabillé de leur correspondance à la tenue plus étudiée de leurs livres, ils y trouvent l'homme et l'auteur à la fois.