Peur [Extrait]
Peur de voir une voiture de flics la nuit.
Peur de s’endormir la nuit.
Peur de ne pas s’endormir.
Peur que le passé remonte.
Peur que le présent s’envole.
Peur de la sonnerie du téléphone en pleine nuit.
Peur des orages électriques.
Peur de la femme de ménage avec sa tache sur la joue !
Peur des chiens dont on m’a dit qu’ils ne mordaient pas.
Peur de l’anxiété !
Peur d’avoir à reconnaître le corps d’un ami défunt.
Peur de n’avoir plus d’argent.
Peur d’en avoir trop, mais je sais que les gens ne le croiront pas.
Peur des profils psychologiques.
Peur d’être en retard et peur d’arriver avant tout le monde.
SÉANCE DE LECTURE
Chaque vie humaine est un mystère,
la tienne comme la mienne. Imagine
un château avec une fenêtre s’ouvrant
sur le Lac Léman. Là, à la fenêtre,
lors des jours chauds et ensoleillés, se tient un homme
tellement plongé dans sa lecture qu’il n’en lève
plus les yeux. Ou quand ça lui arrive, il pose
le doigt là où il s’est arrêté, lève les yeux,
et dépasse l’eau du regard jusqu’au Mont Blanc,
et au-delà, jusqu’à Selah,
où il est avec une fille
et se saoûle pour la première fois.
La dernière chose dont il se souvient, avant
de sombrer, est qu’elle lui crache dessus.
Il continue de boire
et de se faire cracher dessus pendant des années.
Mais des gens vous diront
que souffrir est bon pour le caractère.
Vous êtres libres de croire ce que vous voulez.
Toujours est-il qu’il revient
à sa lecture et ne se sentira
pas coupable vis-à-vis de sa mère
dérivant dans son bateau de tristesse,
ou ne fera aucun cas de ses enfants
et de leurs problèmes sans fin.
De même qu’il n’a pas l’intention de penser à
cette femme aux yeux clairs qu’un jour il aima,
tombée aux mains d’une religion orientale,
et dont le chagrin n’a ni commencement, ni fin.
Laissez s’avancer tous ceux qui,
du château, ou de Selah,
pourraient se déclarer proches de l’homme
qui lit toute la journée, assis à la fenêtre,
tel le tableau d’un homme qui lit.
Laissez s’avancer le soleil.
Laissez s’avancer cet homme lui-même.
Que diable peut-il lire ?
Il y a dans l'âme le désir de ne pas penser.
D'être au repos. Cela couplé avec
le désir d'être strict, oui, et rigoureux.
Mais l'âme est aussi une rusée salope,
pas toujours fiable. Et ça je l'avais oublié.
OISEAU-MOUCHE
pour tess
Imagine que je dise été,
que j'écrive le mot « oiseau-mouche »,
le mette dans une enveloppe,
l'emporte au bas de la rue
à la boîte. Quand tu ouvriras
ma lettre tu te rappelleras
ces jours et combien,
oui, combien je t'aime.
p.383
traduit de l'anglais (États-Unis) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso
Dans le silence soudain, la petite chambre
s’emplit d’une étrange solitude, tandis qu’il lui séchait ses larmes.
Elle devint semblable à toutes les autres petites chambres de la Terre
où la lumière a du mal à pénétrer.
Des chambres où les gens hurlent et se blessent l’un l’autre.
Et ressentent après coup douleur, et solitude.
Incertitude. Le besoin de consolation.
(p.261)
Le grenier
Son cerveau est un grenier où les choses
se sont entassées au long des années.
De temps en temps elle montre son visage
aux petites fenêtres près du faîte de la maison.
Le triste visage de celle qui est restée enfermée
et qu'on a oubliée.
(p.465)
Et as-tu reçu ce que
tu voulais de cette vie, malgré cela ?
Oui.
Et que voulais-tu ?
Me dire bien-aimé, me sentir
bien-aimé sur la Terre.
Douce lumière
Après cet hiver, chagrin et cafardeux,
je m'épanouis ici tout un printemps. Une douce lumière
commença de m'emplir la poitrine. Je pris
une chaise. Restai des heures devant la mer.
J'écoutais la bouée balise et appris
à faire la différence entre une cloche
et le son d'une cloche. J'avais besoin
de tout laisser derrière moi. Besoin même de
devenir inhumain. Ce que je fis.
Je le sais. (Ce n'est pas elle qui me contredira.)
Je me rappelle le matin où je fermai le couvercle
de la mémoire et tournai la poignée.
L'emprisonnant à jamais.
Nul ne sait ce qui m'est arrivé
ici, Ô mer. Seuls toi et moi savons.
À la nuit, des nuages se forment devant la lune.
Au matin ils ont disparu. Et cette douce lumière
dont je parlais ? Disparue elle aussi.
Où l'eau s'unit avec l'eau
PEUR
Peur de voir une voiture de police pénétrer dans l’allée.
Peur de s'endormir la nuit.
Peur de ne pas s’endormir.
Peur que le passé remonte.
Peur que le présent s’envole.
Peur de la sonnerie du téléphone en pleine nuit.
Peur des orages électriques.
Peur de la femme de ménage avec sa tache sur la joue !
Peur des chiens dont on m'a dit qu'ils ne mordraient pas.
Peur de l’anxiété !
Peur d’avoir à reconnaître le corps d’un ami défunt.
Peur de n'avoir plus d’argent.
Peur d’en avoir trop, mais je sais que les gens ne le croiront pas.
Peur des profils psychologiques.
Peur d’être en retard et peur d’arriver avant tout le monde.
Peur de voir l’écriture de mes enfants sur des enveloppes.
Peur qu’ils meurent avant moi, et de me sentir coupable.
Peur de devoir vivre avec ma mère quand elle sera vieille et que
je serai vieux.
Peur de la confusion.
Peur que ma journée se termine sur une note malheureuse.
Peur de me réveiller pour découvrir que tu es partie.
Peur de ne pas aimer et peur de ne pas aimer assez.
Peur que ce que j'aime se révèle mortel pour ceux que j’aime.
Peur de la mort.
Peur de vivre trop longtemps.
Peur de la mort.
Ça, je l'ai déjà dit.
p.22
traduit de l'anglais (États-Unis) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso
Est-ce que je revivrais ma vie ?
Commettrais les mêmes erreurs impardonnables ?
Oui, à la moindre occasion. Oui.
(p.59)