Javert l’éblouit. Ce que Melchor éprouvait pour cet individu marginal et marginalisé était bien plus complexe et plus subtil que tout ce qu’il avait éprouvé pour Jean Valjean. Javert était le méchant du roman, l’auteur l’avait créé pour que son antipathie rocailleuse, sa véhémence légaliste et son fanatisme parfois diabolique fassent naître le mépris chez le lecteur. Mais Melchor savait aussi que, peut-être malgré l’auteur, Javert avait un autre visage, et il sentait que derrière sa défense entêtée des règles, derrière ses efforts inflexibles pour combattre le mal et imposer la justice, il y avait une générosité et une pureté diamantines, une volonté idéaliste, chevaleresque et sans faille de protéger tous ceux qui avaient pour seul recours la loi, une conscience héroïque du fait que quelqu’un devait sacrifier sa réputation et son bien-être personnel pour préserver le bien-être commun. Face à la mielleuse vertu publique de M. Madeleine, Javert incarnait la vertu déguisée en vice, la vertu secrète, la vertu véritable.
À la fin du roman, il était bouleversé, persuadé qu’il n’était plus la même personne que lorsqu’il avait commencé sa lecture et qu’il ne le serait jamais plus. Cette fois, quand il rapporta le livre à la bibliothèque, le Français lui demanda ce qu’il en avait pensé. Encore secoué par sa lecture, Melchor lâcha ex abrupto ce qui lui sortait des entrailles :
– Putain, c’est génial !
La vérité, c’est qu’on vit assez bien ici, continua le caporal. On gagne même un peu plus. Evidemment, on n’est pas moins pauvres pour autant, surtout dans ma situation, avec deux filles à la fac. C’est là que tu te rends compte de ce que ça veut dire, être flic dans ce pays. A quel point on nous traite mal, comment on nous piétine. Ah ça, oui, quand ça chauffe, ils ont besoin de nous pour qu’on assure leur protection, et nous on va risquer notre peau pour eux. En attendant, on est considérés comme de la vermine, on est payés une misère, on nous humilie, et si c’était possible on nous cacherait quelque part, parce qu’on fait honte. Bon sang, ça me dégoûte. Quand je pense à tout ça, je n’ai plus envie d’être flic, tu vois. Bref, en tout cas, ici, en Terra Alta, tu vivras mieux qu’à Barcelone, surtout si tu vis seul.
Un écrivain est une personne comme une autre, ni meilleure, ni pire, il fallait avoir conscience des limites de la littérature et bannir cette prétention narcissique, arrogante et dépassée selon laquelle elle était d'une utilité quelconque parce que la littérature n'était au fond qu'un jeu intellectuel, un divertissement incapable d'enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit ou d'apporter le moindre changement. p47
La vie civilisée consiste en ça : apprendre à vivre de manière raisonnable avec la frustration.
Mais quand on pousse le bien à l'extrême, il se transforme en mal.
Les pauvres sont plus forts que les riches, surtout si, en plus, ils ont la malchance d'être orphelins et d'avoir connu une guerre dans leur enfance, comme c'était le cas de Paco. Les riches sont mal habitués, et ils ont beaucoup à perdre; ça les rend mous, vulnérables. Les pauvres ne sont pas comme ça.
L'importance d'un homme se mesure au nombre de ses ennemis.
Comme la semaine précédente, la bibliothèque venait d'ouvrir ; comme la semaine précédente, il n'y avait qu'eux deux.
— Pasternak était poète, dit Olga. Tu aimes la poésie ?
— Pas tellement, reconnut Melchor qui avait lu peu de poésie. Les poètes, pour moi, ce sont des romanciers paresseux.
Olga eut l'air songeur.
— Peut-être, dit-elle. Mais pour moi, presque tous les romanciers sont des poètes qui écrivent trop.
Como decía unos de mis maestros, en eso consiste la vida civilizada : en aprender a convivir de manera razonable con la frustración.
Le mariage est une erreur, nous ne sommes pas faits pour ça, ne pensez-vous pas?