Suite à l'assassinat de sa mère, Melchor abandonna les ateliers qu'il fréquentait et arrêta toute activité sportive sur les terrains de la prison. II se replia sur lui-même. Il prit du poids. Il ne parvenait plus à dominer ses pensées, aussi ses pensées le dominèrent-elles, des pensées morbides et immuables, obsédé qu'il était par ce qui était arrivé à sa mère ou par ce qu'il imaginait lui être arrivé. Les deux seules activités qui soulageaient en apparence son obsession étaient précisément celles qui l'alimentaient le plus : parler avec Vivales et lire Les Misérables, qui durant ces jours de deuil cessèrent d'être pour lui un roman pour devenir autre chose, quelque chose qui n'avait pas de nom ou qui en avait beaucoup, un vade-mecum vital ou philosophique, un livre oracle ou sapiential, un objet de réflexion à explorer tel un kaléidoscope infiniment intelligent, un miroir et une hache. Melchor pensait souvent à Mgr Myriel, l'évêque qui fit de Jean Valjean M. Madeleine, le saint persuadé que l'univers est une immense maladie dont le seul remède est l'amour de Dieu, il pensait à l'évêque et se disait qu'il était vrai que l'univers est une maladie, comme le croyait l'évêque, mais que, contrairement à l'évêque, il vivait dans un monde sans Dieu et que dans ce monde il n'y avait pas de remède contre la maladie de l'univers. Bien évidemment, il pensait à Jean Valjean et à sa certitude que la vie était une guerre et que dans cette guerre, c'était lui le vaincu et les seules armes à sa disposition, les seuls carburants, étaient le ressentiment et la haine, et il sentait que Jean Valjean c'était lui, ou qu'il n'y avait aucune différence essentielle entre eux deux.
L’écrivain fait la moitié d’un livre, l’autre moitié, c’est toi qui la fais.
- Tu n'aimes pas le cinéma ? demanda Melchor qui regardait peu de films.
- J'adore. Mais je n'aime pas regarder des films qui sont des adaptations de livres que j'ai lus. Elle se toucha le front avec l'index et developpa : Pourquoi je le ferais, je me suis déjà fait mon propre film...
La bataille n'a fait que laisser des blessures visibles, continua-t-elle, comme si elle ne parlait pas à Melchor mais à elle-même. Les tranchées, les ruines, les collines jonchées d'éclats d'obus, toutes ces choses que les touristes aiment tant. Mais les vraies blessures, ce ne sont pas celles-là. Ce sont celles que personne ne voit. Celles que les gens conservent secrètement. Ce sont elles qui expliquent tout mais, de celles-ci, personne n'en parle. Et, qui sait, c'est peut-être mieux comme ça.
Une terre de passage où ne restent que les gens qui 'ont d'autre solution que de rester , ceux qui n'ont aucun endroit où aller. Une terre de perdants .
Les pauvres sont plus forts que les riches. Les riches sont mal habitués, et ils ont beaucoup à perdre ;ça les rend mous,vulnérables.
… je trouve ça invraisemblable que des voleurs s’amusent comme ça à torturer deux personnes âgées.
— Je suis du même avis, intervient Pires. Le problème c’est que la réalité est pleine d’invraisemblances. Et en cela, elle ne ressemble pas aux romans, n’est-ce pas?
(Actes Sud, p.158)
L'écrivain fait la moitié d'un livre, l'autre moitié, c'est toi qui la fais.
Peu adepte de polar, je me suis lancé dans la lecture de Terra Alta offert par des amis. J'ai énormément apprécié cette intrigue : des temps forts, des temps faible, un brin de poésie et des héros ordinaires. Le style littéraire est d'un niveau excellent au point que l'on doute parfois de lire un polar. Les références à l'Espagne de Franco et aux Misérables de Victor Hugo complètent les ingrédients de ce succès. Cette lecture m'a donné envie de relire Les misérables.
L'écrivain fait la moitié d'un livre, l'autre moitié, c'est toi qui l'a fait.