Comme le montre l'histoire de la gravure du XIXe siècle, dans laquelle Ernst ira puiser ses collages, la forêt est un motif parfait pour le dessin et la peinture. Elle propose une expérience d'envoûtement optique, elle est un lieu propice à la "Vision". Gustave Doré, Karl Bodmer ou encore Rodolphe Bresdin auront su restituer, parmi tant d'autres, la désorientation que l'on y éprouve dans le dédale oculaire des méandres de la trame gravée. Le bruissement visuel de la forêt s'apparente à un amas de traits abstraits. Sa luxuriance excessive apparaît comme une saturation d'entrelacs. Dans ce jeu de formes amalgamées, des créatures de toutes sortes peuvent apparaître tels des mirages, par paréidolie. Cette expérience prend un tour terrifiant la nuit, lorsque la vue perd de son efficience et de ses capacités distinctives. Les sens ont beau s'aiguiser, ils ne le font qu'au prix d'illusions réveillant des terreurs archaïques. Voir est une activité interprétative. Dans la nuit sylvestre, la confusion visuelle propre à la broderie végétale s'accentue et se transforme en fouillis menaçant. Les pénombres s'organisent en figures monstrueuses. Peur d'être une proie.
Paul Sztulman, De la forêt humaine aux mondes sylvains, p. 20
Espace de liberté pour les uns, d'ensauvagement pour les autres, la "lisière" de la forêt représente l'une des frontières physiques et symboliques du monde civilisé. À l'aube de la modernité, l'orée des bois constitue un seuil que les artistes ne cessent de franchir, en quête de renouveau. De Paul Gauguin à André Derain en passant par Pablo Picasso, le "modèle" de la nature sauvage fascine autant que l'exemple des "primitifs" : formes brutes et expressives des arts extra-occidentaux, formes archaïques, arts populaires, art brut.
Brûlent les sapins de Noël
En or massif dans les forêts,
Des loups jouets dans les fourrés
Nous fixent de leurs yeux cruels.
Ossip Mandelstam, Pierre, Les premières poésies.
Musée Zadkine à Paris : le lien organique du sculpteur avec la matière