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Grande écriture pour une immense noirceur.

l'enragé n'aura pas eu l'effet escompté sur moi. La noirceur m'a pris à la gorge, m'a empêché de lâcher prise. A moins que je ne l'ai trop assimilé à la barbarie actuelle, celle qui maintenant fait partie de notre quotidien occidental. Comparativement l'enragé de Chalandon a de réels motifs de l'être, pour se protéger, pour survivre. Alors que ceux qui crient au loup actuellement ne savent même pas pourquoi ils se comportent ainsi. J'aimerais pouvoir, comme tant d'autres lecteurs, supporter les scènes de maltraitantes des enfants, de la bêtise des hommes si ce n'est leur brutale animalité. Ici, on est servi, l'émotion est continue.
Par contre j'ai été admirative de cette remarquable écriture et de sa référence à l'histoire, celle avec un grand H.
Sorj Chalandon avait déjà toute mon admiration pour ses deux précédentes oeuvres avec une mention particulière pour « Enfant de salaud » paru en 2021. Ici encore l'écriture est absolue, pure, impeccable, bref, irréprochable. La structure est travaillée sans que le lecteur ne se sente engoncé dans des lourdeurs. C'est sans conteste une belle et grande écriture.

Jules Bonneau, surnommé par lui-même, La Teigne, traverse une jeunesse et une adolescence particulièrement rude à une époque qui l'était tout autant ; nous sommes dans une colonie pénitentiaire en Haute-Boulogne dans les années trente. Juste avant on y avait détenu des communards ou rééduqués voyous et brigands; et après il devenait le Centre d'éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer. Les pupilles y sont dressés à coup de triques et de punitions en tout genre. Les lois des gardiens côtoient les lois des gamins. Toutes ont leurs raisons d'être, mais aucunes ne se rejoignent. Une seule chose en commun : d'un côté les faible, de l'autre les forts. Mais qui va vraiment gagner, qui va tirer son épingle du jeu ?

La Teigne est un personnage que Chalandon a sculpté à coup de canif, blessure après blessure, rêve exutoire après rêve dérivatif. « Je rêvais de tuer pour ne pas avoir à le faire ».
L'ambiance est donné dès les premières lignes et se maintiendra jusqu'à l'élément clé du livre. Jamais de répit « Je n'ai pas le droit aux sentiments. Les sentiments c'est un océan, tu t'y noies. Pour survivre ici il faut être en granit….S'évader les yeux ouverts et marcher victorieux dans le sang des autres. Toujours préférer le loup à l'agneau ».

L'Assistance, « notre mère publique » est elle aussi un personnage à part entière dans ce roman. Et pour cause, les gamins y passent le plus clair de leur temps à se faire justice alors même que les gardiens veulent en faire une armée de vaincus. Alors, tous ces gamins, pouvaient-ils ne pas essayer de fuir ? Suspectaient-ils seulement le quart de ce qui pouvait leur arriver ? Ne disons nous pas fréquemment que notre vie mérite d'être pleinement vécue ? Que le frisson fait partie intégrante de l'homme ?
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Un livre qui a priori me tentait peu et qui m'a époustouflé. D'abord l'aptitude de l'auteur à écrire dans la langue qui convient pour son personnage. C'est puissant, ça prend aux tripes. Depuis la fin du XIXème siècle il y avait à Belle-Isle en mer, très, très loin des cartes postales et de la chanson de Voulzy, une colonie pénitentiaire, un bagne pour enfants à partir de l'âge de 8 ans. Pour jeunes délinquants, mais aussi pour toutes sortes d'enfants qui n'ont guère de raison d'y être. C'est le cas de Jules Bonneau (un nom qui pousse le commun des mortels à lui coller une étiquette). Certes il a eu maille à partir avec la justice (pour avoir volé 3 oeufs et insubordination lors d'une autre affaire), mais s'il a été placé à Haute-Boulogne, c'est surtout parce que plus personne ne voulait de lui : un père et une mère introuvables, un grand-père qui n'en voulait plus chez lui. le quotidien des enfants placés là est cauchemardesque, d'une violence inouïe.
A partir d'un fait hélas bien réel, une mutinerie des enfants suivie de l'évasion de 56 enfants. L'un d'eux ne fut jamais retrouvé. Sorj Chalandon imagine qu'il s'en est sorti et pour cela place sur son chemin quelques bonnes personnes. C'est peu probable, car comme décrit dans le roman, et par Jacques Prévert dans un poème, l'ambiance parmi les bonnes gens était à la chasse à l'enfant, contre monnaie sonnante et trébuchante. Peu probable donc, mais pas impossible non plus, car les conditions de vie de ces enfants étaient connues par tous ceux qui ne se voilaient pas la face et dénoncées dans les journaux nationaux depuis le début du siècle. La révolte des enfants a eu lieu en 1934, ce qui a donné à l'auteur la possibilité d'articuler petite et grande histoire, avec la montée des fascismes, avec la présence des Croix de feu. C'était bien une époque où la petite histoire interférait de plus en plus avec la grande, comme un présage de la décennie suivante. Je n'avais encore jamais lu cet auteur et je reste estomaqué de la qualité de sa plume et de son talent à digérer, assimiler, intégrer la documentation sur l'époque.
Un très beau roman de colère et d'indignation contre les injustices.
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Un roman signé Sorj Chalandon est pour moi la garantie d'une lecture émouvante dont l'ancrage dans la réalité historique renforce les émotions dans toute leur palette. C'est donc en toute confiance que j'ai abordé l'enragé, j'en ressort bouleversée. le sujet s'y prêtait, évidemment : la colonie pénitentiaire pour mineurs de Belle- île- en- mer; une évasion massive dont un seul jeune échappe à la chasse à l'homme. Cependant, la façon dont Sorj Chalandon raconte cette histoire en donnant la parole à Jules Bonneau ( et non Jules Bonnot!) exacerbe les sentiments. Aucun mélo drame mais il parvient à nous immigrer dans le quotidien de ce bagne pour enfants avec ses humiliations permanentes,le sadisme des gardiens et du directeur,les sévices corporels,les privations extrêmes et la violence de certains jeunes tellement détruits qu'ils ont perdu toute humanité et deviennent bourreaux de leurs pairs les plus fragiles. La cupidité et la bêtise des iliens qui s'accordent fort bien de la version officielle concernant les orphelins de la colonie, "tous des vaurien, des graines de bandits ".
Mais inversement, l'auteur réussit à faire percer une lumière poignante dans toute cette noirceur. Parfois quelques mots suffisent pour que les larmes affluent :
" -Mais c'est à cause de moi,à murmuré Loiseau.
J'ai souri.
- c'est grâce à toi, Camille.
Ses yeux immenses. Jamais depuis qu'il était là, personne n'avait prononcé son prénom. "
Et aussi par la beauté et le courage sans faille de Sophie, Roman et l'équipe de pêcheurs qui rappellent qu'aucune situation aussi périlleuse soit-elle n'empêche de rester humain et que le regard qu'on pose sur un être blessé peut anéantir le monstre en devenir pour révéler la dignité . Ainsi, La Teigne peut-il accepter grâce à ce nouveau regard sur lui et à la confiance qui lui est accordée, qu'il est lui aussi un Homme,Jules Bonneau.
Je me fait violence pour ne pas en raconter plus car ce roman doit être découvert par sa lecture pour ne rien perdre de sa force. Une fois encore ,Sorj Chalandon nous offre un roman d'exception, pour moi l'un de ses plus beaux écrits.
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l'enragé, c'est « La Teigne » . La pire version de lui-même, la seule version peut-être, on verra bien.
Écrit à la première personne du singulier jusqu'au bout du bout, ce récit classique, presque hugolien, nous fait rentrer dans la tête d'une racaille, une espèce de la pire engeance.
Jugez plutôt : Jules Bonneau (l'anar Jules Bonnot, son homonyme, a été liquidé en 1912…) a volé trois oeufs parce qu'il avait faim. Il a huit ans et a son premier casier judiciaire. À treize il participe à un incendie volontaire, son compte est bon. Abandonné par ses parents, confié à ses ignobles grand-parents, il est foutu. Envoyé à la colonie pénitentiaire de Haute-Boulogne à Belle-île en mer, son destin est définitivement tracé.
Je connais bien cet endroit, adossé à la forteresse Vauban (hôtel de luxe aujourd'hui), et qui accueille désormais nos gentilles colonies de vacances et une auberge de…jeunesse. Car le bagne pour enfants (devenu institution publique d'éducation surveillée, c'est à dire maison de correction) n'a été fermé qu'en 1977.
Jules aura affaire à des gardiens sadiques et parfois pédophiles. Frappé avec des nerfs de boeuf, il tâtera du cachot et aura droit au terrible supplice du Grand Bal.
Mais la Teigne a une réputation d'ultra-violence qui le protège des caïds et qui le rend protecteur du petit Camille (enfermé car orphelin). Jules est en granit : « Pas une plainte, pas une larme, pas un cri et aucun regret. »
Jules souffre de ce qu'on appelle aujourd'hui une grave pathologie du lien. Il n'aime personne. Si, peut-être un peu Loiseau (Camille), l'avenir le dira assez.

L'incroyable mutinerie du 27 août 1934 est l'apex du roman. Cinquante-six évadés, tous rattrapés, sauf Jules. Même les touristes chassent les enfants.
A partir de là, le récit rentre dans une autre dimension.
Recueilli, lui le spécialiste des cordes de bateau, aura de multiples liens à tisser.
Il faut s'arrêter là, j'aimerais tant vous raconter la suite, on est littéralement emporté par le flot tumultueux du récit.
Pas de liens, trop de liens : Ronan, le Basque, Alain, Sophie …des Saints après les Démons.
Sachez seulement que l'enragé restera un bon bout de temps à Belle-île.
Sorj Chalandon écrit un récit dont les puissances ténébreuses et lumineuses semblent s'évader de sa propre vie d'enfant.

J'ai versé ma petite larme, impossible de faire autrement.
Et puis je suis retourné au poème de Prévert qui est venu à Belle-île pour raconter, à sa façon, l'impensable:
La Chasse à l'enfant
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! Au-dessus de l'île
On voit des oiseaux
Tout autour de l'île
Il y a de l'eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Il avait dit "J'en ai assez de la maison de redressement »
Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents
Et puis, ils l'avaient laissé étendu sur le ciment etc.

Terrible.
C'est un livre terrible mais c'est aussi une histoire d'amours, d'amitiés inaltérables et d'engagements profonds.
l'enragé ferait un beau film.
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Destination les îles bretonnes avec Sorj Chalandon et sa plume vive, poétique et experte dans l'art de raconter aussi bien sa vie que celle d'autrui.

L'inspiration de "l'enragé" lui vient d'un fait réel datant de l'année 1934 et qui a résonné de manière particulièrement profonde en lui, en tant qu'enfant battu et souvent menacé par son père de se faire envoyer dans une maison de correction.
Sorj Chalandon a décide de prêter sa plume à tous ces petits bagnards de Belle-île, qui ont subi des mauvais traitements et des violences dans ces colonies pénitentiaires, dans l'indifférence la plus totale.

Maniant avec perfection le sens du détail et des descriptions plus vraies que nature, l'auteur français parvient à cet équilibre bienheureux entre les dimensions historiques et tragiques, entre les histoires et L'Histoire.

Journaliste dans l'âme il a préparé son roman avec un véritable travail d'enquête, il s'est assis sur les bancs de l'ancienne colonie, dans les bistrots de Belle-île, au bord des falaises, afin de façonner des personnages certes fictifs, mais tellement réels.

Le romancier possède ce talent pour dire les enfances perdues, la colère emmagasinée, la rage qui ne demande qu'à exploser en libération.

Les paysages bretons, la mer et les îles nous encerclent dans une fresque qui fait rire et pleurer à travers les atrocités et les solidarités de l'époque.

On ressort de ce roman comme si on venait de faire un cycle long dans un tambour d'un lave-linge.

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Pour écrire sur un bagne pour enfants, il ne faut pas avoir peur. Mais pour y survivre il faut être en granit. Pour suivre le parcours d'un gamin abandonné par ses parents on fermera les yeux sur les scènes les plus dures. Sorj Chanlandon une fois de plus écrit avec audace la vie d'un bagne comparable à bien d'autres bagnes, qu'ils soient de Cayenne ou des terres hostiles perdues dans l'océan.

Il faut avoir de l'audace, et sans doute une grande sensibilité pour décrire ce monde de l'enfance. Sorj Chalandon a dompté sa sensibilité, pourque ses mots peu à peu transcrivent avec justesse une réalité irrespirable. le bagne de Belle-île-en-Mer est une anomalie dans son paysage enchanteur, bordé par la mer et par la Citadelle Vauban.
Ballotés de centres de détentions en centre de surveillance, les enfants sont là parce qu'ils ont été abandonnés, le plus souvent orphelins de mère. le père est lointain, il a disparu ou il va disparaître ? Une maman n'abandonne jamais ses enfants.

Ce roman vous porte dans un récit cruel, où le jeune Jules Bonneau raconte son enfer. Lui l'enragé, transporte sa rage et les souvenirs d'une enfance ou disparaît le visage de sa mère à l'âge de 6 ans . La teigne est enfermée à Belle-île, il y raconte cet enfermement ,s'affirmant comme un enragé il fera tout pour se sauver.

Pour ces garçons la survie exige de se battre. Il faut être le plus fort pour exister, ou être le plus malin, et savoir négocier. le plus dur c'est d'encaisser la douleur, les sales coups, et ne jamais s'en plaindre. J'ai même pas mal ! La moindre faille, la plus petite peur peut être fatale.

Au pays des enfants en manque de famille, les gamins des bagnes font face à des adultes incapables de retrouver les chemins de l'humanité, chaque jour ils s'expriment et s'affrontent par la violence. Non il n'y a pas chez ces enfants des cris d'animaux, incohérents, Ils répondent avec leurs tripes de la manière la plus directe.

Là sur Belle-Île ,Ils subissent des sévices extrêmes, ils sont violés, rappés , rabaissés au quotidien, il faut faire sa place, prouver sa résistance le pire n'est jamais loin.
En 1934, 55 enfants décident de s'échapper, et de tenter l'impossible, se libérer de cet enfer. Dès le lendemain une lueur d'espoir s'éteint. Seul Jules, arrivera à rester introuvable !

Un Marin de Belle île va le prendre en charge et l'accompagner jusqu'au moment où il sera en mesure de s'évader déguisé en pêcheur. Au terme d'un violent dialogue, la teigne s'est couché comme un cheval enfin dressé.
Je connaissais le bagne des enfants de Belle-île. Il y a quelques années les vestiges étaient encore Présents. Mon histoire personnelle et mes 9 années de pensionnat, m'avaient toujours dissuadé d'en savoir plus. Comme eux je me suis blindé, et ce droit aux sentiments m'a tiraillé de loin en loin.

Croiser des hommes qui portent haut leur immense générosité faites de punitions et de moqueries, non merci. Croire que l'humiliation permet de grandir dans la société, c'est le message que les autorités aveugles de Belle-Île cherchaient à imposer.

Aux premières lueurs un évadé manquait. Lui ne sera jamais retrouvé. Mais le petit Loiseau 8 ans que la Teigne protégeait, Loiseau sera retrouvé pendu. Il se suicide après avoir été trompé et dénoncé par ceux qui lui voulaient du bien.
Pendant combien de temps punitions et humiliations sont restées des armes éducatives. Ce roman qui raconte la noirceur de l'âme humaine, s'élève aussi à une solide et réelle compassion pour des enfants si honteusement cassés. Je dois ajouter que ce roman est d'une exceptionnelle vérité.

le cheminement de cet enfant est une totale croyance à la possibilité d'une rédemption. Une main tendue, une vraie invitation à donner sa chance à un enfant,
peut le faire basculer de l'enfer à la lumière. Merci Sorj Chalendon.
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«Briser les tout-petits, étrangler les plus grands»

Le 27 août 1934, 56 jeunes parviennent à s'évader du bagne de Belle-Île. À partir de ce fait divers, Sorj Chalandon imagine qu'un détenu parvient à échapper à l'armée constituée pour retrouver les fugitifs. L'histoire de Jules Bonneau est tout à la fois un cri de colère et une formidable démonstration de solidarité alors que le monde est prêt à s'embraser une nouvelle fois.

La Teigne n'en peut plus de la violence et des insultes, de l'i humanité de Chautemps, le Goff, Napoléon, le Rosse, Chameau, Toupet, le Rat, «tous ces cogneurs en uniformes, ces matons à la moustache grasse, hurleurs, suant l'alcool, ces salauds» chargés de le surveiller, lui et ses compagnons d'infortune, bagnards enfermés dans un ancien fort de Vauban, mais surtout sur une île qu'on appelle Belle-Île. Ironie du sort. «L'océan, c'est notre gardien le plus cruel. Celui qui nous surveille, qui nous épargne ou qui nous assassine.»
Jusque-là, toutes les tentatives d'évasion se sont soldées par autant d'échecs. Repris, ceux qui ont voulu prendre la poudre d'escampette se retrouvent à la prison de Lorient où dans un autre bagne, à essayer de lutter et de résister à ces hommes dont la mission consiste à «briser les tout-petits, étrangler les plus grands, les rêves des uns, la colère des autres.» À faire de ces enfants «des spectres qui erreront dans la vie comme dans les couloirs d'un bagne, serviles, honteux. Qui iront à l'usine les épaules basses, comme à confesse. Qui jamais ne se révolteront. Qui s'étourdiront au bal du samedi, à la rencontre d'un jupon. Et qui l'épouseront sous le coup du vin, l'urgence d'un ventre plein. Vie en lambeaux, sans grâce, sans lumière. Puis qui mourront, un matin pour rien, avec le masque gris d'un enfant de Belle-Île.»
Mais au soir du 27 août 1934, l'histoire prend une autre tournure. Cette fois, ce sont cinquante-six bagnards qui s'évadent. du coup, c'est le branle-bas de combat, la mobilisation générale. Les gendarmes vont devoir s'appuyer sur la population. Ils offrent une pièce de vingt francs pour chaque enfant capturé. Comme l'écrira Jacques Prévert, qui a entendu parler de ce fait divers qui a réellement existé.
«Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant».
Cernés par l'océan, les évadés vont finir par rendre les armes. Sauf La Teigne. Il parvient à déjouer les contrôles. Et va trouver asile auprès de marins-pêcheurs.
Dans cette seconde partie, La Teigne va chercher à retrouver son nom, Jules Bonneau et à se construire un avenir. Mais la grande Histoire l'attend au tournant. La Seconde Guerre mondiale se cache derrière les discours populistes qui envahissent l'Europe.
Après Enfant de salaud, Une joie féroce et le Jour d'avant, revoici Sorj Chalandon à son meilleur. Car il est cet enragé, n'a aucune peine à s'identifier à cet enfant battu qui lui ressemble tant. Sa plume virevolte et s'engage. Elle est chargée de la colère, des blessures de l'enfance. J'y ai retrouvé aussi le souvenir de lectures qui m'ont marqué enfant, Chiens perdus sans collier de Gilbert Cesbron et L'Enfant de Jules Vallès.
Un cri du coeur qui ne l'empêche nullement de chercher comme dans Profession du père l'humanité derrière la violence, la solidarité derrière la colère, la démocratie derrière la droite extrême.
Ce onzième roman sait vous prendre aux tripes. Alors vous ne le lâchez plus, secoué par l'émotion.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. En vous y abonnant, vous serez par ailleurs informé de la parution de toutes mes chroniques.

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Dans son nouveau roman, Sorj Chalandon décide de s'intéresser à d'autres "enfants de salauds" et à un en particulier, prénommé Jules Bonneau (oui oui, comme le célèbre terroriste à la tête de "la bande à Bonnot", sauf que ça s'écrit pas pareil!) Ironie du sort ou funeste présage?
Nous sommes dans les années 20-30. Ces laissés pour compte, qu'ils soient repris de justice, vagabonds, délinquants juvéniles ou simplement orphelins, se retrouvent parqués dans un centre de détention de Belle-Ile-en-mer. Ce qui est vanté aux yeux du quidam pour être une sorte de colonie de vacances, est en réalité un véritable bagne pour mineurs. Maltraitance, travaux forcés, humiliations ou encore agressions sexuelles, constituent davantage la réalité de ces enfants abandonnés par la société. C'est dans ce triste lieu qu'atterrit Jules, dit la Teigne, après une énième sortie de route. Il a alors 13 ans. Abandonné par sa mère, confié à ses grands parents par son père, dénoncé par ces derniers, le gamin sait déjà qu'il y restera jusqu'à sa majorité alors, en attendant, il tente coûte que coûte de survivre dans cet univers impitoyable où la moindre faiblesse peut vous coûter très cher…

Après une légère déception à la lecture de "Enfant de salaud", je renoue, grâce à "l'enragé", avec la superbe veine historico-romanesque de Sorj Chalandon! Comme souvent chez cet auteur que j'affectionne, le texte est engagé politiquement et socialement et ancré dans un contexte historique retranscrit avec le plus grand réalisme. Je me suis retrouvée projetée aux côtés de ces gamins âgés de 12 à 21 ans, rendus violents et haineux par manque d'amour et de considération. Des gosses qui, pour survivre, ont écouté leur instinct primaire qui leur disait que la loi du plus fort était leur meilleur atout... Forcément, à l'heure de l'éducation positive, le décalage est de taille…

Le sujet n'est pas sans rappeler celui des “orphelinats de la honte” qui, sous couvert d'éducation, infligeaient sévices et mauvais traitements à des enfants vulnérables. Des huis clos sur lesquels il était facile de fermer les yeux et qui ne seront reconnus coupables de leurs actes que bien des décennies plus tard, lorsque les langues se délieront, faisant éclater le scandale… Deux sujets qui montrent avec horreur le peu de cas que l'on faisait des mineurs il y a tout juste cent ans de ça.

Mais, là où le roman de Sorj Chalandon prend un tout autre tour, c'est en s'intéressant au seul personnage qui soit parvenu à s'évader de cette prison insulaire dans cette nuit du 27 août 1934. L'auteur livre un portrait saisissant de celui qui a inspiré à Jacques Prévert “La chasse à l'enfant”, cet enragé qui va devoir se reconstruire, réapprendre à aimer et à faire confiance à ceux qui tentent de lui tendre la main…C'est prenant, passionnant, mais surtout bouleversant tant ça sonne juste!

La plume de l'auteur est toujours aussi sensible, percutante et immersive et c'est un réel plaisir que de se laisser porter par la fluidité de son flot. Les personnages, animés par leurs convictions, leurs idéaux et leur humanité, sont extrêmement attachants et forment une bande que l'on se plairait à rejoindre. Bref, “l'enragé” est un roman terriblement émouvant et, assurément, une belle réussite pour Mr Chalandon.
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Un destin, celui de ce pauvre gamin, ce Jules Bonneau !
Jules Bonneau, comme celui de ‘la bande à', sauf que ça ne s'écrit pas de la même façon.
Bonneau mais surnom ‘la Teigne', ça vous pose son bonhomme !

Et la Teigne est à Belle-Ile, pas en villégiature bobo en bottes Aigle et ciré jaune Cotten destination la Thalasso pour une infusion de dulse bien sûr, mais dans l'établissement pénitentiaire pour enfants où il coule des jours moins détoxifants, on s'en doute, mais tout aussi prohibitif en matière de tarif puisque ici c'est au prix de la liberté.

Sans compter le coût des coups.
Croulez, croulez jeunesse !
Le bagne des gosses, sacrée invention !

Abandonné par sa mère (soufflée pour avoir eu une touche avec un accordéoniste) et laissé chez ses grands-parents indifférents par un alcoolique père invalide de guerre (la première), le bambin a grandi comme une plante sauvage et invasive, sans attention (inutile de parler de tendresse ou d'amour)

Pleurez, pleurez, chaumières !

De petites rapines de môme en rupture de droit modèle en vengeance incendiaire appartenant à de misérables copains, Bonneau va son tristounet de chemin qui, à treize ans, le conduit à la Citadelle du Palais en Belle-Ile pour attendre une majorité qui mettra un temps infini à être atteinte.
Une chance lui a-t-on dit où, en plein air et baigné par les embruns,  il sera nourri et s'instruira sainement pour apprendre un beau métier. C'est donc ça la définition d'une maison de redressement, heu, de la colonie en fin des années vingt !

C'est plus Vidocq que Viandox  en fait !

Humiliations, corrections, brutalités, travaux forcés…toute la panoplie sadique des garde-chiourmes est utilisée pour mettre au pas les colons qui, déjà entre eux, ne se font pas de cadeaux.
Un univers de violence verbale, morale ou physique pour redresser des gamins qui ont surtout fauté d'être nés pauvres voire même uniquement orphelins, pour certains.

Et puis la brimade de trop !
La correction brutale inacceptable d'injustice !
Le gamin faible et docile qui prend une trempe effroyable pour avoir mordu dans son fromage avant d'engloutir sa soupe translucide !
Le règlement inique est chamboulé !
Quel crime inexcusable !
Les matons fondent sur la chétive silhouette et c'est le réfectoire tout entier qui gronde et se révolte.
Nous sommes en Bretagne alors les coups pleuvent. le ciel de la cantine vire au noir et la meute foudroie les gardiens impuissants face à la fronde trop longtemps larvée.
Un temps de gueux s'abat sur la colonie en vacance d'autorité.

Et ce fait est authentique, véridique, historique.
L'auteur a brodé un roman autour de cette révolte des enfants qui a terrifié Belle-Ile le 27 août 1934, déclenchée effectivement par un bout de fromage, avec, la hiérarchie pénitentiaire dans le rôle des corbeaux qui fondent sur les colons affamés et battus dans celui des renards effrayés.

Ce n'est pas une fable mais une histoire vraie où tous les mutins ont réintégré le bagne maudit quand le roman imagine une unique évasion réussie qui lui permet d'aborder divers sujets, listés ici, à la Prévert : On parlera donc de solidarité, de fraternité, de trahison, de perversité, d'avidité, de communisme, de fascisme, d'avortement, de rédemption, de rage, de chantage, de crime, de châtiment et de…Prévert.

Une lecture à la fois utile et agréable que l'on ne peut que conseiller ne serait-ce qu'en hommage à ces mômes ('le môme' autre roman abordant ce même sujet) qui, sûrement, hantent toujours les pierres de granit de la citadelle du Palais, à Belle-Ile.
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J'étais resté sur la lecture de Une joie si féroce et celle-ci ne m'avait pas emportée. Un petit cru dans la biobibliographie de Sorj Chalandon. Rien de grave. Je reviendrais aux livres de Sorj Chalandon.
Et j'y suis revenu avec L Enragé.
Tout est là. J'ai retrouvé l'auteur de le Jour d'avant, Les promesses, le Quatrième mur et Profession du père.
L'humanité, la colère, la violence, la solidarité, l'émotion, la fraternité irriguent le dernier roman de Sorj Chalandon.
l'enragé tire le fil tenu de Profession du père : L'enfance maltraitée, violentée.
Sorj Chalandon s'appuie sur des faits réels : le 27 août 1934 cinquante-six enfants de révoltent et s'échappent de la colonie pénitentiaire pour mineurs de Belle-Île-en-Mer.
La chasse aux enfants est ouvertes. Ils seront tous capturés.
Pour son roman Sorj Chalandon décide que l'un d'entre eux , Jules Bonneau, la vingtaine, réussit son évasion.
Jules Bonneau est à la colonie pénitentiaire depuis sept ans. Abandonné par sa mère , violenté par son père, rejeté par ses grands parents, il finira par un être un adolescent vivant de ses larcins. Cela ne durera qu'un temps et son destin le mènera à la colonie de Belle-Île-en-Mer.
Jules Bonneau deviendra La Teigne.
"Je n'ai pas le droit aux sentiments. Les sentiments c'est un océan, tu t'y noies. Pour survivre ici, il faut être en granit. Pas une plainte, pas une larme, pas un cri et aucun regret. Même lorsque tu as peur, même lorsque tu as faim, même lorsque tu as froid, même au seuil de la nuit cellulaire, lorsque la l'obscurité dessine le souvenir de ta mère dans un recoin. Rester droit, sec, nuque raide. N'avoir que des poings au bout de tes bras "
Comment pourrait-il en être autrement.
Les mots de brimades, de vexation, de violence sont insuffisants. Cette colonie pénitentiaire est un déni d'humanité, d'enfance. L'enfant n'a en fait aucune existence. Il est une chose à redresser coûte que coûte.
L'écriture violente et rageuse de Sorj Chalandon ne nous épargne rien et nous met face à cette horreur.
La première partie du roman nous détaille cette barbarie. Pour certains cette partie a pu paraître longue et un peu voyeuriste. Je ne le pense pas. cette partie du roman représente sept années de la vie de Jules et une grosse centaine de pages permet de mettre de la durée alors que les sept ans vont tout de même être traités comme une ellipse.
Face à cette enfance meurtrie, l'auteur nous livre une deuxième partie du roman plus fraternelle. Il existe sur Belle-Île-en-Mer des personnes qui sont prêtes à aider Jules. Néanmoins nous sommes en 1934 et le monde de l'entre guerre est en ébullition. Les croix de Feu, le fascisme, la montée d'Hitler, la guerre d'Espagne ont une répercussion sur le monde de Belle-Île-en-Mer.
Et dans ce monde en ébullition , Jules, enfant meurtri , va devoir se coltiner à l'âme humaine belle ou mauvaise.
Il rencontrera un poète au prénom de Jacques, qui écrira un poème "la chasse à l'enfant ". Il essaiera même dans faire un film.
Ce poème a été appris dans les écoles. Il paraissait anodin.
Pourtant il parlait de l'enfance meurtrie et niée.
Les enfants de Belle-Île-en-Mer ne sont pas des criminels. Juste des enfants qui ont volé des oeufs, du pain, qui sont orphelins ou qui ont été rejeté par leurs parents. Des enfants que l'on veut rendre invisibles.
Ce livre leur apporte respect et dignité.
Belle-Île-en-Mer n'est pas qu'une magnifique île propice à la randonnée et aux vacances.
"Une larme idiote brûlait ma paupière."





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