Cela faisait un petit moment que je lui tournais autour, à ce livre-là...
Le récit d'une enfance douloureuse avec la voix et les mots retrouvés du petit garçon lui-même... voilà qui ne pouvait manquer de m'évoquer quelque chose.
Et en effet, dès les tout premiers mots, ce texte m'a aussitôt rappelé le ton de L'Enfant de
Jules Vallès, qui est pour moi un texte fondateur, puisque sa lecture marque ma rencontre avec l'écrivain auquel j'allais consacrer plusieurs années d'études. Autant dire que cela a été plus qu'un choc littéraire, un véritable coup de foudre.
Forcément, se trouver placé sous un tel patronage n'était pas des plus évidents... Et j'avoue n'avoir pas été immédiatement conquise, tant les mots et le style singulier de l'illustre écrivain me revenaient en mémoire, avec leur force inégalable.
Pourtant, Chalandon a peu à peu réussi à imposer sa propre voix.
Si l'on commence par être irrité par le comportement du père, qui apparaît tout d'abord pitoyable avec les invraisemblables récits qu'il sert sans cesse à son fils et à sa femme, on est vite gagné par un sentiment de révolte.
En effet cet insatiable besoin de se placer au premier plan et de s'attribuer un rôle capital à la moindre occasion ne fait qu'accentuer le caractère effroyablement étroit de la vie de cet homme, qui ne dépasse jamais le cadre de son trois-pièces et des quelques individus qui gravitent autour de lui - garagiste, coiffeur ou professeur de judo de son fils. Cette manie serait risible si elle ne s'accompagnait d'une extrême violence dont femme et enfant sont les premières - et seules - victimes. En découvrant la manière dont cet homme martyrise son enfant et l'écrase psychologiquement, on ne peut qu'être animé par un sentiment de colère. Une colère d'autant plus grande qu'on souhaiterait voir la mère réagir et défendre son fils. Mais, sous l'emprise elle-même de son mari, elle en est totalement incapable.
La force de ce roman est d'avoir dépeint cette pathologie à travers le regard du petit Emile. On en perçoit en effet d'autant plus le caractère dévastateur et dangereux. Mais il permet surtout de poser un regard candide sur le personnage et d'éviter ainsi, de la part du narrateur, toute forme de jugement. Car, au final, c'est bien l'histoire d'une maladie qui nous est comptée. Il me semble que le véritable personnage principal de ce roman n'est pas Emile, mais bien son père, et c'est là sans doute que
Profession du père se distingue de L'Enfant de Vallès. Là où le récit de l'enfance du petit Jacques n'était que la première étape de la construction d'un individu qui allait se dresser contre toute forme d'autorité - celle du père dans L'Enfant, du système éducatif dans le Bachelier, puis de l'Etat dans L'Insurgé - Emile réussit quant à lui à se libérer de la tutelle paternelle - une libération qui se matérialise dans une scène qui est un véritable morceau de bravoure - pour malgré tout s'intégrer harmonieusement à la société et fonder à son tour une famille.
Dès lors, le style évolue, et l'enfant devenu adulte pose un regard plus distancié sur son père, un regard étonnamment pourvu d'une certaine forme de tendresse et d'indulgence. L'enjeu n'est plus la préservation de l'intégrité physique et mentale du fils, mais de celle du père. Une histoire qui n'appelle a priori pas de suite, puisqu'elle se clôt avec le décès du père (je ne révèle rien, elle nous est annoncée dès le premier chapitre !) et sur un ultime et savoureux pied de nez du destin, qui résume assez à lui seul la volonté de ne pas laisser place à la rancoeur...
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