Le roman de tracy
Chevalier A l'orée des vergers est composée de quatre parties où se chevauchent les périodes chronologiques et fait entendre plusieurs voix, celles de James et Salie Goodenough, puis celles
De Robert leur fils, et de Martha, leur fille.
Printemps 1838 : James Goodenough et sa femme Salie ont dû quitter l'exploitation familiale du Connecticut, trop petite pour nourrir toute la famille et s'installer avec leurs enfants dans le Black Swamp, terrain marécageux, de l'Ohio. Une « Terre promise » qui ressemble plutôt à un enfer ! Ils y sont installés depuis neuf ans. La propriété est peu propice à la culture des pommiers qui nourrissent la famille. Il faut travailler dans la boue du matin jusqu'au soir, lutter sans cesse contre les repousses des arbres ennemis qui se développent en peu de temps, lutter contre les maladies des arbres , les protéger sinon les récoltes sont perdues.
La chaleur malsaine de l'été, les moustiques, les fièvres font le reste. Chaque année la famille de James et de Sadie doit payer un tribut à la mort, chaque année un de leurs enfants meurt !
Une querelle va naître entre Sallie et James : « Ils se disputaient encore à propos des pommes. Lui voulait cultiver davantage de pommes de table, pour les manger ; elle voulait des pommes à cidre, pour les boire. »
Un différend qui va s'amplifier avec le temps, et qui va tourner à l'obsession : James protège ses pommiers de sa femme qui cherche à les « assassiner », comme s'il s'agissait d'êtres vivants. Les deuils, la dureté de la vie, la pauvreté, l'usure de l'amour, la perte du respect mutuel, la méfiance, exacerbent la haine de Sallie et la méfiance de son époux envers les actes sournois de sa femme contre les arbres, c'est à dire contre lui-même. Il faut dire que pour James, les pommes sucrées sont plus encore que des fruits, c'est le rappel de son enfance, des quelques moments de bonheur qu'il a pu vivre. Les pommiers sont sa raison de vivre, moyen aussi de gagner sa vie mais, plus encore, symbole d'un travail bien fait, de sa compétence, de sa propre valeur, de sa réussite. Il aime ses arbres d'amour comme s'il s'agissait de ses enfants. Cette haine ne peut que se terminer en drame.
Amérique 1840-1856 : Ce sont les lettres
De Robert qui nous content la suite de l'histoire et nous le suivons à travers ses déplacements en Amérique jusqu'au Canada, Wisconsin, Texas, Californie pour y chercher un or introuvable… Jusqu'au moment où le jeune homme rencontre le botaniste William Lobb dont il va devenir le second pour récolter des graines et des plantes de séquoia à envoyer en Angleterre. Car Robert, a hérité de son père l'amour des arbres et le savoir-faire pour le soigner. L'admiration, le respect pour les arbres géants remplacent alors les sentiments que son père, James, éprouvaient pour les pommiers.
Black Swamp Automne 1838 : Nous retournons et découvrons le drame qui explique la fuite
De Robert. Puis de 1844-1856, la parole est laissée à la jeune soeur Martha qui va partir à la recherche de son frère.
Le roman de
Tracy Chevalier est d'abord et avant tout agréable à lire et nous y apprenons beaucoup sur les colons de l'Ohio et les terribles conditions de vie de ces gens pour défricher un terre ingrate, récalcitrante, insalubre. Comme d'habitude cette « leçon » d'histoire chez
Tracy Chevalier se fait à travers la vie de personnages dont nous partageons les souffrances, les pensées intimes, les deuils et les haines; ce qui nous permet de « vivre » de l'intérieur l'histoire de la colonisation. Ce qui est aussi passionnant dans ce roman et qui se transmet au lecteur, c'est cette amour-admiration pour les arbres, pommiers, redwoods ou séquoias, et nous aimons en apprendre plus sur eux, sur la manière de le cultiver, de les greffer.
La prose de l'écrivaine est toujours simple, limpide, et sait faire sentir la beauté de la nature, sa puissance immense quand il s'agit des Géants, ou sa ténacité silencieuse et opiniâtre qui triomphe de la mort comme celle des pommiers. Les arbres ne sont pas neutres ici, ils ont une vie sous-jacente à celle des hommes, James les compare à ses enfants, ils participent à leur lutte et sont eux-mêmes des être vivants luttant pour la survie.
J'aime beaucoup, par exemple, la portée symbolique de cette phrase et comment, sous prétexte de "leçon de choses",
Tracy Chevalier nous fait réfléchir sur nous-mêmes !
"Une graine doit atterrir loin de sa mère pour pousser, sinon elle restera à l'ombre et ne se développera pas."
J'ai lu dans une critique que le roman de
Tracy Chevalier pourrait être reconnu comme un beau roman de Nature writing et c'est vrai.
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