Relire
Agatha Cristie, que j'avais abandonnée au début de mon adolescence, me ferait presque replonger dans celle ci. A 50 ans de distance ces romans me ravissent de nouveau. C'est à tort que j'avais abandonné la vieille dame, ne voyant que des intrigues astucieuses, mais un brin surannées dans ses romans, dont j'avais tout de même lu une bonne trentaine.
On revient plus fort dans sa critique, en ayant lu les principaux auteurs du genre, qui englobent
James Ellroy et Connely, des auteurs américains dépeignant un monde de violence, sinistre et froid, où les enquêteurs sont souvent dépressifs, alcooliques, tirant des bords sans arrêt sur leurs difficultés familiales. Un genre qui a fait florès. Ceux d'
Agatha Christie sont pourvus souvent d'une belle énergie vitale, et ne se laissent que rarement aller à se complaire dans leur malaise existentiel, à l'image d'une époque d'après guerre, très résiliente, où il était préférable de "serrer les dents", si l'on ne voulait pas s'attirer des critiques.
Le cadre historique, de cette Angleterre post victorienne tient maintenant du magasin des curiosités, et est très intéressante quand à la sociologie de l'époque. Une dimension m'avait échappé aussi à l'époque, c'est celle de l'humour omniprésent dans ces romans. de même la place faite aux femmes, aventureuses, et aventurières, mais ne dérogeant rien aux hommes au niveau de l'intelligence et tout autant de la duplicité. Elles sont souvent même bien plus intrépides que ceux ci, gouvernant bien mieux aussi leurs affects.
Agatha Cristie ne croyait sûrement pas au sexe faible, et s'est ingéniée à montrer à la fois des héroïnes en rapport, tout autant égales de l'homme dans l'art du crime, que pour l'élucider, à l'image de misse Marple, le pendant féminin d'Hercule Poirot, dont elle a le culot surpplémentaire d'en faire une personne âgée, un tabou que bien peu de romanciers ne font tomber quand ils créent un personnage central.
La seule limite d'
Agatha Cristie était lié au traitement social du cadre de ses différentes affaires, se passant dans le cadre ouaté de la bourgeoisie. Mais peut être peut on argumenter pour la défendre, en disant que cela ne fait que ressortir le mieux possible les oppositions, entre barbarie et civilisation, éducation, et moeurs corrompus.
J'ai pris beaucoup de plaisir en lisant "
le cheval pâle". Les personnages ont une vrai épaisseur, et des traits distinctifs, à l'égal des originaux que l'on trouve dans les romans de
Charles Dickens. Il est ici question de morts semblant obéir à une malédiction, organisée par une société du crime. Nous rentrons dans le monde des shamans, et des sorcières, sensés influencer les personnes à abandonner leurs forces vitales.
Êtes vous prêt vous aussi à croire à cela ? Semble nous demande dame Agatha ?. Il suffit finalement de mettre les personnes intéressées en contact, pour que ce qui semble impossible se réalise, et que toute personne pourtant ayant la tête bien sur les épaules commence à douter.
Au delà de l'intrigue policière très originale, et tout autant buccolique dans ses différents cadres, et dont la vieille enseigne de l'ancienne taverne du "Cheval pâle", aux couleurs et au dessin cachés à demi par une couche de crasse, cachant la force du motif, comme une métaphore, l'auteur nous parle de ce qu'on nomme maintenant « les influenceurs », et de notre capacité à garder notre libre arbitre.
En nous amusant, elle nous pose tout de même des questions très pertinentes sur la psyché humaine, la manipulation, le cynisme, la crédulité, et l'évolution des techniques futures. Plus de soixante ans avant L'IA, la fameuse "intelligence artificielle", la grande dame semble faire oeuvre de prophétie.
Extrait :
-Déjà nous disposons de machines qui répondent à notre place !
-Les cerveaux électroniques ?
- Par exemple.
-Les machines remplaceront elles les hommes ?
-Les hommes oui. Mais pas l'homme ! Il restera la contrôleur, le penseur, qui pense aux questions à poser aux machines !
Je hochais la tête, peu convaincu.
-Le surhomme ?
-Et Pourquoi pas, Easterbook ? Pourquoi pas ? Nous commençons à savoir ce qu'est l'homme en tant qu'animal. La pratique de ce que certains appellent parfois à tort, le lavage de cerveau, nous offre des possibilités forts intéressantes. Non seulement le corps, mais l'esprit de l'homme répond à certains excitants.
-Une doctrine dangereuse.
-Dangereuse ?
-Pour le patient.
-Toute vie est dangereuse. Nous l'oublions trop souvent. Nous qui avons été élevé dans un petit noyau de civilisation.
Un thème cher à
Agatha Cristie. La fragilité de l'existence et de toute aventure humaine est au coeur de sa production, recouverte d'une élégante couche de vernis d'époque.