On retrouve la Roumanie, et avec elle Les Éditions Bleu & Jaune, avec le roman de
Adrian Lesenciuc qui a gagné le prix « Livre de l'année » du roman roumain en 2018.
Adrian Lesenciuc est écrivain et critique littéraire, il est aussi titulaire d'un doctorat en sciences militaires et renseignements, sciences qui l'ont visiblement inspiré dans la rédaction de ce roman. Il est membre de la section de Brasov de l'Union des écrivains roumains depuis 2000. Président de la section depuis 2013. Ce roman est paru en fin des années 2010 en Roumanie, il s'appuie sur une dystopie qui présente un état totalitaire et militaire, le Bhéristan. le Bhéristan m'a évoqué oralement tous ces pays d'Asie de l'ouest en -stan, eux aussi sous le joug d'un régime autocrate. le Bhéristan, c'est aussi un peuple de bergers, et donc de moutons, on retrouve ici la première des nombreuses allégories dont regorge ce roman.
Le personnage central est le lieutenant Adam Ứrman mis en pensionnat après la mort de sa mère dans ce qui constitue l'armée de ce pays particulier, dont on découvre les us et coutumes en suivant le récit de la vie d'Urman. Des habitudes bien loin des nôtres, et en premier lieu les noms à consonance indo-iranienne, comme j'ai pu le lire sur emag.ro,
Saroyan, Daddhan, Chhota, Baghiar, Jhtuthibad : si la consonance de ces noms nous est étrangère, on ne peut nier qu'ils résonnent en nous et nous porte vers l'orient. Bienvenue en plein milieu de l'Absurdistan, un pays régit par une multitude de règles, et précisément leur contraire, le pays où l'on déneige le sol au moyen d'une pioche, où ils veulent tous avoir leur place dans la hiérarchie précise de l'armée, sans en assumer les responsabilités. Un roman, comme un monde, qui oscille entre tension dramatique et tentation parodique, un assemblage des deux pour mettre des mots sur ce pays, qui a pour symbole national la moustache fournie, que l'homme porte et qui n'est pas sans rappeler l'attribut d'un Staline, tyran soviétique. Cette dystopie de la moustache rappelle furieusement l'URSS stalinienne.
La couverture, que l'on comprendra après la lecture du roman, nous montre un Ứrman seul, retiré du monde, de l'armée dans laquelle il a évolué, un monde dystopique certes, là où tous les héros ont tous été enterrés, oubliés, un monde où les valeurs n'existent plus, plus rien à qui ou en quoi croire. Ça aurait pu être désespérément négatif, s'il n'y a pas des traces d'humour, si le personnage d'Adam Ứrman , comme le montre la couverture, ne représentait pas l'un des seuls espoirs.
le cimetière des héros, en roumain, ou cimetière d'honneur aux cimetières militaires ou aux sections militaires des cimetières civils où sont enterrés les dépouilles de soldats de différentes nationalités tombés sur le champ de bataille. » En l'espèce, ceux qui restent sont loin d'être des héros.
On aurait du mal à ne pas saisir les allusions de
Adrian Lesenciuc à travers l'édification de ce Bhéristan à de réelles dictatures qui elles, existent réellement, la Russie de Poutine, anciennement soviétique, la Roumanie. On aurait du mal à ne pas adhérer à la dissidence de Adam Urman, qui choisit de s'exclure volontairement d'une société à laquelle il a arrêté d'adhérer, sortir de son rôle de mouton, pour choisir la seule voie possible, celle de la solitude. La narration est peut-être trop cryptique, on sent qu'il a l'amour du symbolique, du double sens, comme le disent les Éditions Bleu & Jaune, de la parabole. En tant que parabole, la critique est rude et sans concession si l'on reprend les origines du Bhéristan, pays des bergers, ainsi pays des moutons.
Ce texte est un brin nihiliste, cette couverture montre une vallée désertique sert cette impression, s'il n'y avait pas Adam Ứrman, qui représente cette possibilité de rédemption. Si on pensait que la mort était le stade ultime de la destruction de toutes ces sociétés totalitaires, on découvre que l'oubli, gravé dans les croix de bois aux noms disparus sur les tombes des soldats, est encore plus dévastateur : l'oubli de la mémoire, l'oubli des héros, l'oubli de ce qu'il s'est passé, des dictateurs, de leurs méthodes. On ne peut pas nier que le chemin qu'a emprunté
Adrian Lesenciuc, celui de la dictature des bergers, formés à intégrer l'École supérieur de Guerre, est assez original.
De cette dictature des moutons à celle de ces hommes à moustache, Adam effectue un repli sur lui-même, un retour aux sources d'une société qui connaissait et respectait encore ses propres traditions, une société « pure » près de la nature et des éléments, qui a oublié l'essentiel. Comment ne pas se sentir concerné par cette sensation de perdition que finit par ressentir Adam, devant tous ces héros oubliés, et l'impression de ne plus avoir de but et de valeurs auxquels se raccrocher puisque tout est dévoyé ? Au milieu de ce monde dystopique, c'est encore Adam qui nous montre la voie, la rédemption à travers l'isolement et l'ascétisme, là ou tout retrouve un sens.
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