« Nous sommes des hyènes. C'est le surnom que l'on nous a donné dans le petit cercle où nous exerçons. Je déteste ce nom. Il me fait mal jour et nuit. Notre tâche consiste à préparer les familles dont un des membres vient de décéder à accepter une demande particulière. Nous leur apprenons sa mort et dans le même temps ou presque nous tentons d'obtenir l'autorisation de prélever sur son corps de multiples organes. »
Le narrateur travaille dans un service hospitalier très particulier : il est chargé d'essayer d'obtenir des autorisations de prélèvement d'organes sur des personnes décédées afin que ceux-ci puissent être greffés sur des malades à qui ils vont offrir une seconde vie.
Oui mais voilà : quelqu'un vient de mourir, et l'on imagine bien la difficulté qui consiste à enchaîner l'annonce de la mort d'un proche et la question du don.
Cette demande peut sembler incongrue, voire déplacée : comment oser bousculer ainsi une famille ébranlée par la perte d'un être cher ?
Et pourtant elle est essentielle !
Plus de 20 000 malades en France sont en attente de greffe, et chaque année, 900 décèdent faute de greffon.
La loi est simple : il vous suffit d'informer vos proches de votre volonté de donner vos organes. Pensez-y : là où vous serez ils ne vous serviront plus à rien, alors qu'ils peuvent changer la vie de plusieurs personnes, chaque donneur sauvant en moyenne trois vies.
Moi, j'aime cette idée de se dire qu'à sa mort on peut sauver des vies.
Mais, revenons à nos moutons... ou plutôt à notre livre.
Voilà une lecture à déconseiller en cas de déprime : le personnage principal est désabusé, amer et cynique.
Dans un texte fulgurant qui s'apparente à un long cri de rage et de douleur, il hurle son désespoir et son dégoût de la société contemporaine... l'envie de tout abandonner est proche.
Seul fil, ténu mais vital, qui le retient encore : sa fille de vingt-et-un mois à qui ces mots s'adressent. Mais l'amour d'un père, veuf inconsolable, suffira-t-il à le sauver ? : "Que ta petite main est belle mais trop petite il me semble pour retenir la mienne."
Quelle force dans ce roman d'à peine un peu plus d'une centaine de pages !
Un texte percutant et plein d'humanité, un des premiers écrits de
Philippe Claudel qui démontre déjà tout son talent d'écrivain.