L'idiotie est une maladie qui va bien avec la peur. L'une et l'autre s'engraissent mutuellement, créant une gangrène qui ne demande qu'à se propager.
J'avais alors songé que Dieu, s'il existe encore, était un bien curieux personnage, qui choisit de laisser vivre en tout de quiétude des arbres durant des siècles mais qui rend la vie des hommes si brève et si dure.
«- C'est toi qui a lavé le sol ?
- Il faut bien que quelqu'un le fasse ...
- Et cette tache qu'est-ce que c'est ?
- À ton avis Brodeck ?»
Je me suis retourné vers Schloss.
« À ton avis ...» répéta-t-il d'un air las.
Moi, j'ai choisi de vivre, et ma punition, c'est ma vie. C'est comme cela que je vois les choses. Ma punition, ce sont toutes les souffrances que j'ai endurées ensuite. C'est Chien Brodeck. C'est le silence d'Emelia, que parfois j'interprète comme le plus grand des reproches. Ce sont les cauchemars toutes les nuits. Et c'est surtout cette sensation perpétuelle d'habiter un corps que j'ai volé jadis grâce à quelques gouttes d'eau.
Et puis tu raconteras, tu diras tout. Tu diras le wagon, tu diras aussi ce matin Brodeck, tu le diras pour moi, tu le diras pour tous les hommes
Car la peur appartient encore à la vie.
J’ai le sentiment que je ne suis pas fait pour ma vie. Je veux dire que ma vie déborde de tout part, qu’elle n’est pas taillée pour un homme comme moi, qu’elle se remplit de trop de choses, de trop d’évènements, de trop de misères, de trop de failles.
La nuit était douce. Dans le ciel qui s'évanouissait les étoiles frottaient leurs clous d'argent au noir de la nuit. Il y a des heures sur terre où tout est d'une insupportable beauté, une beauté qui semble si étendue et douce uniquement pour souligner la laideur de notre condition
J'ai embrassé Fédorine plusieurs fois, sur ses cheveux tout d'abord, puis sur le front et sur les joues, comme je le faisais enfant, et j'ai retrouvé son odeur, une odeur de cire, de fourneau et de drap frais, l'odeur qui depuis le début de ma vie, ou presque, suffisait à me faire venir un sourire apaisé sur les lèvres, même pendant mon sommeil. Je l'ai tenue ainsi longuement contre moi, tandis que mon esprit, avec la vitesse de l'éclair, allait et venait dans les moments de ma vie, collant les unes contre les autres des heures disparates pour en faire une bizarre mosaïque qui n'avait pour seul effet que de me faire un peu plus sentir le temps enfui et les instants qui jamais ne reviendraient.
C'est bien la peur éprouvée par d'autres, beaucoup plus que la haine ou je ne sais quel autre sentiment, qui m'avait transformé en victime. C'est parce que la peur avait saisi quelques-uns à la gorge, que j'avais été livré aux bourreaux, et ces mêmes bourreau, ces hommes qui jadis avaient été comme moi, c'est aussi la peur qui les avait changés en monstres, et qui avait fait proliférer les germes du mal qu'ils portaient en eux, comme nous les portons tous en nous.