On reçoit ce livre comme une mauvaise nouvelle…
Oh pardon, je m'explique : ça n'a rien a voir avec le sens de nouvelle : récit bref, qui, présente une intrigue (…), mais comme une lettre qu'on n'avait pas envie de recevoir…
J'avais lu ce livre il y a longtemps, lors de la sortie du film (que je n'ai pas vu), parce que tout le monde en parlait, entre autres parce qu'il avait été largement récompensé. Je me souviens en avoir gardé une très forte impression, presque du plaisir, non à cause de l'histoire, ç'eût été cruel ; mais grâce à la magnificence du verbe.
L'histoire, les nombreux lecteurs qui en ont fait un commentaire, l'ont bien et maintes fois résumée. La première guerre mondiale, un crime d'enfant, une enquête bâclée, la mort d'une institutrice, celle d'une future maman, et d'autres : de nombreux soldats et pas que sur le front…
Je viens de relire ce roman : le plaisir de la lecture est intact, le malaise ambiant a forci et
les âmes grises ont encore noirci. Quand les années s'enchaînent, à se compter par plusieurs dizaines, on perçoit la mort comme une injustice encore plus flagrante quand elle n'arrive pas au terme d'une vie bien remplie, de cause naturelle, à un âge respectable (s'il existe une respectabilité en fonction de l'âge). Quand on a perdu autour de soi des êtres chers et que parmi eux l'âge n'était pas une limite, la colère a pris souvent la place de l'incompréhension et on lève les yeux vers un ciel désespérément vide.
Mais dans cette histoire, quelles que soient les victimes, c'est toujours l'injustice qui règne et la colère sourd comme un goût amer, un goût de cendre.
Philippe Claudel a ce talent exceptionnel de raconter les pires horreurs de la façon la plus simple, comme une pile de souvenirs qu'on déplie, replie et range au fond d'une malle. le narrateur est un peu perdu, et après avoir les avoir tous sortis, un peu en désordre dans ses cahiers d'écolier, finit par les remettre dans le bon sens, chronologique, et se satisfait seulement d'avoir tout dit, même si ça ne changera rien. de toute façon, ils sont maintenant presque tous morts dans cette histoire, que pourrait-on dire de plus ? Rien qui remette les coupables en face des victimes. Les morts sont bien rangés, à l'horizontale, les souvenirs bien pliés, au fond de la malle, et on ferme tout.
Et on essaie de passer à autre chose, parce qu'après une lecture pareille aussi terrible et belle soit-elle, on a besoin d'air frais, du goût sucré et acidulé d'une fraise de printemps avec un soleil qui revient et les beaux jours qui arrivent.