Vous êtes jeune… Des rêves sont nés sans doute dans votre cœur… des rêves qui seraient naturels si votre mariage avec mon fils s’était fait dans des circonstances ordinaires. Mais cela n’est pas, vous le savez… Je pense donc plus sage de vous mettre en garde contre certaines illusions. Bernard est avant tout un savant… Je dirai même qu’il n’est plus que cela. En vous épousant, il a lui-même coupé les ailes à… certaines espérances personnelles. L’homme avec lequel vous allez vivre désormais ne saurait être pour vous autre chose qu’un, associé… un associé courtois qui vous entourera de tout le respect auquel vous avez droit.
Ce rire si pur, si charmant, véritable source de fraîcheur, avait ramené sur elle l’attention stupéfaite de Bernard. Aussitôt, elle s’était arrêtée, visiblement troublée et comme si sa joie s’était trouvée freinée par ce regard d’homme.
Tout en la faisant parler, il l’avait aussi beaucoup observée. C’était une nature d’une sensibilité rare. Intelligente et spirituelle, elle donnait l’impression de faire effort pour se maintenir en équilibre sur un terrain qui n’était pas le sien. Elle ressemblait à ces fleurs qu’une culture maladroite s’obstine à laisser dans l’ombre alors que tout, en elles, réclament le soleil.
L’homme qui, bientôt, allait devenir son mari lui causait un indéfinissable sentiment d’effroi qui la paralysait. Et ce n’était certes pas Mme Chambry qui eût fait quelque chose pour amener plus de confiance entre les deux fiancés. Elle se réjouissait, au contraire, de leurs relations compassées et la jeune fille avait discerné, à plusieurs reprises, une lueur de contrariété dans le regard qu’elle lui lançait, quand, faisant effort pour dominer sa timidité, elle essayait de ranimer une conversation défaillante entre elle et le docteur.
Vois-tu, ma petite fille, la vie n’est pas aussi simple que tu le penses… Tu m’es infiniment chère,mais le sentiment que tu m’inspires est purement fraternel. Tu l’as dit, je t’aime bien et tu m’aimes bien. Malheureusement, cela ne suffit pas pour construire un foyer solide. Si je me marie un jour, ce qui n’est pas du tout certain étant donné le métier que j’ai choisi, je veux aimer ma femme, l’aimer tout court… comme toi aussi tu devras aimer ton mari.
Notre mariage n’est, au fond, qu’un marché. En l’acceptant, nous profitons mutuellement des avantages qu’il comporte. Vous pourrez, grâce à lui, poursuivre vos recherches de façon plus large. De mon côté, je serai à l’abri du besoin. Nous sommes donc quittes. Alors à quoi bon simuler des sentiments que nous ne ressentons ni l’un ni l’autre ? J’en suis, pour ma part, absolument incapable…