Lorsque nous avons franchi la frontière avec la Pologne, ce ne fut guère plus qu’un vaste champ de ruines. Maisons bombardées, effondrées, fumées d’incendies, blessés et cadavres dans les champs ou sur les routes, convois qui se traînaient, encadrés par nos soldats. De temps en temps, même si nous les dépassions à toute vitesse, j’apercevais un visage, hâve, exsangue, déformé par la peur.
Les Polonais. Prisonniers. (page 136)
Maintenant, si. Normal. J’ai grandi. J’ai neuf ans et demi.
Et je crois bien qu’en temps de guerre, pour un enfant, les années comptent double. (page 469)
'Mort miséricordieuse': Cela signifie que les bebes, une fois arrives au pavillon 15, sont tués. 'La mort misericordieuse' n'est pas exactement synonyme de 'désinfection' ou 'reinstallation', c'est différent, plus subtil, c'est 'donner la mort suite a une maladie declaree'. Parce que voila, les medecins des Heime se sont rendus compte que, meme si nous autres, enfants de pure race aryenne, avons ete programmés avec le plus grand soin, la plus grande rigueur, meme si nous sommes le fruit d'un accouplement irreprochable, une fois nes, nous ne sommes pas a l'abri d'une maladie qui se declare avec la croissance. Triste constat. Enorme déception. Klaus, par exemple, était affligé d'un bec-de-lievre, Edith etait atteinte de surdité, et Markus souffrait d'asthme. D'autres defauts encore avaient ete decouverts chez tel ou tel bebe, ailleurs qu'a Steinhoring. Ces tares etaient inadmissibles pour la nouvelle generation des seigneurs et maitres que nous etions censes representer.
Pourquoi? s'interrogeaient les medecins. Quelle pouvait-etre la cause, l'origine precise de ces maladies de croissance? Comment vaincre les anomalies congenitales? Pour remedier au probleme, il fallait chercher. Faire des experiences. Des tests.
Sur les bebes malades amenés au pavillon 15.
Mon rival était brun-noir, noir corbeau. Et velu avec ça, un vrai petit singe ! Et mat de peau pour couronner le tout !... Ebner a tout de même laissé éclater sa colère. [...] il a réclamé l'ensemble des fiches relatives à l'union qui a engendré ce produit défectueux. Il y avait bien une faille quelque part ! Soit du côté de la mère, soit du côté du père. L'un des deux avait sûrement falsifié son certificat d'aryanité.
Le troisième Reich devait nous sortir des ténèbres. On dirait bien qu'au contraire il nous y a plongés.
Les enfants ne doivent pas payer pour les fautes de leurs parents.
Je crois que maman a eu mal, lorsqu'elle s'est unie à mon père.
Je crois qu'elle ne connaissait pas la signification du mot codé schwester.
Je crois qu'elle a failli renoncer et s'enfuir, elle aussi. Mais mon futur père et moi, nous avons encouragé. Mon père, en lui faisant boire une bonne rasade de schnaps, pour la réchauffer, pour qu'elle se détendre et se prête à son devoir. Quant à moi, moi qui n'étais alors qu'une vague idée dans l'esprit de maman, juste une voix intérieure, je n'ai cessé aussi de la stimuler en lui répétant : « Il faut le faire, maman ! Il le faut ! Pour le mouvement national-socialiste ! Pour le Reich ! Pour ses mille ans de règne ! Pour le futur ! » Alors elle a gardé les yeux rivés sur le portrait du Führer, accroché au mur dans la chambre claire et froide. Elle a serré les dents et elle a tenu bon.
Elle l'a fait.
Et je suis là.
Et maintenant il est minuit passé, j'y vais.
Je sors !
Vite ! le plus vite possible ! Je veux être le premier de notre Heim à naître le 20 avril. Dans les salles d'accouchement, j'ai déjà plusieurs rivaux potentiels. Il me faut les devancer, ne serait-ce que d'une seconde.
Encouragez-moi !
Pensez à ce que je vous ai dit : je DOIS être blond. Je DOIS avoir les yeux bleus. Je DOIS être vif.
Élancé.
Dur.
Coriace.
De l'acier de Krupp.
Je suis l'enfant du futur. L'enfant conçu sans amour. Sans Dieu. Sans loi. Sans rien d'autre que la force et la rage.
Heil Hitler !
Lukas avait pleuré lui aussi, le jour où, à l’infirmerie de Kalish, je lui avais raconté mon histoire. La première partie, celle que j’avais vécue avant de le connaître. Ce jour-là, il m’avait dit : « Il faudra qu’on témoigne, tous les deux. Moi, pour ce qu’ils font aux Polonais et aux Juifs ; toi, pour ce qu’ils t’ont fait. »
J’ai tenu ma promesse.
Ça te suffisait pas d'être juif et meurtrier ? Tu veux que, en plus de l'étoile jaune et du triangle vert, on te colle un triangle rose ? T'as l'intention de collectionner toutes les figures géométriques ?
Et je crois bien qu'en temps de guerre, pour un enfant, les années comptent double.