Solène passe ses après-midi à enchaîner les lettres, les conseils et les discussions en buvant du thé, en comptant les bonbons que Sumeya continue de partager. Solène ne les mange pas. En rentrant chez elle, elle les place dans le pot à confiture qui leur est réservé. Il s'est rempli. Elle aime le contempler, plein de trophées, de minuscules victoires sur la grisaille et sa morosité.
Sumeya ne parle pas mais ses bonbons le font pour elle. Ils sont une langue universelle.
"Rien de tel que la poésie pour adoucir la vie."
Elle aussi est une rescapée de la solitude.
Le vide et le silence, elle connaît.
Les appartements dans lesquels ont se perd, faute d'avoir quelqu'un a qui parler.
L'angoisse qui vous éteint à la nuit tombée.
Le désarroi de se réveiller seul, au matin.
L'appréhension des week-ends et des jours fériés qui ne sont rien d'autre qu'un enchainement de longues journées solitaires où l'on tue le temps faute de se tuer.
L'impression que la vie nous file entre les doigts, comme du sable.
Comme un train qu'on ne peut arrêter, dans lequel on a pas choisi de monter.
Oui, tout cela, elle connait.
" Les victorieuses , Laetitia Colombani"
C'est un fait, la société ne prévoit rien pour les beaux-pères et les belles-mères abandonnées.
Ni droit de garde, ni visite.
Sans lien de parenté avec l'enfant, pas de statut. On n'existe plus.
On disparaît, on s'efface de leur histoire.
La crise qu'elle traverse est une crise de sens. Il faut sortir de soi, se tourner vers les autres, retrouver une raison de se lever le matin. Se sentir utile à quelque chose ou quelqu'un.
Avocate, ce n'était pas sa vocation. Enfant, Solène avait une imagination foisonnante. A l'adolescence, elle avait révélé des dispositions particulières en français...
Elle rêvait en secret de devenir écrivain.
Alors Binta saisit le stylo de Solène, et inscrit au bas du dernier feuillet un mot, qui est à lui seul un monde entier : Maman.
Pour écrire, explique Virginia Woolf, une femme à besoin d'un peu d'espace, d'un peu d'argent. Et de temps.
Il ne faut pas sous-estimer les petits gestes et les sourires, ils sont puissants. Ils sont autant de remparts contre la solitude et l'abattement.
Un problème subsiste, cependant : en jupe, Blanche aura du mal à pédaler. Le port du pantalon serait plus adapté, mais ce vêtement est interdit aux femmes. La loi prohibe ce que la société considère comme un travestissement. Toute demande doit faire l’objet d’une dérogation auprès de la préfecture de police. (1888)