"(...) et je me souviens de ma
jeunesse et du sentiment qui ne reviendra plus jamais - le sentiment que je pourrais durer à jamais (...) ; ce sentiment trompeur qui nous attire fallacieusement vers les joies, les périls, l'amour, les vains efforts - vers la mort ; la conviction triomphante de la force, la chaleur de la vie dans une poignée de poussière, l'ardeur au coeur qui chaque année s'affaiblit, se refroidit, diminue et s'éteint -s'éteint trop tôt, trop tôt - avant la vie elle-même."
Marlow boit un verre avec quelques amis, se remémore ses vingt ans et raconte, avec émotion, un voyage vers Bangkok à bord d'un navire perclus de rouille, la Judée. Sûr de lui, ambitieux et s'imaginant immortel, le jeune marin d'alors accompagnera le rafiot dans son agonie : vieillard des mers, le Judée cabotera entre oedème (ses flancs prennent l'eau), coma (il est immobilisé plusieurs mois à terre) et fièvre intense (un feu s'y déclare, à combustion lente) avant de s'éteindre puis de glisser dans son sépulcre marin.
La singularité de la nouvelle, admirable en tous points, c'est sa construction en miroir : l'envol d'un homme comme un écho navré au trépas d'une barcasse épuisée. Conrad tient la barre avec maîtrise et manoeuvre son texte, d'une beauté poignante, jusqu'à destination, le coeur du lecteur.
"Pass the bottle"
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