Ce livre est un coup de poing qui réveille en nous une force, celle de croire qu'une autre façon d'habiter le monde est possible.
Car même s'il s'agit d'une oeuvre de science-fiction, d'imaginaire, la critique soulageante que fait
Damasio de la société prend bien racine dans le réel et les solutions qui émergent sentent bien aussi le vécu de ces dernières années avec l'émergence d'une radicalité dans l'agir. L'engagement de nombreux citoyens dans la décroissance, le faire-ensemble, la contestation des modèles démocratriques actuels, la constitution de ZAD, d'habitats partagés, de soutien aux migrants etc...
Le récit choral démarre par celui de Lorca Varèse dont la fille a mystérieusement disparu il y a deux ans. Il passe un examen pour faire partie d'une troupe d'élite militaire - la meute - dont l'objectif est de traquer
les furtifs afin de les rapporter vivant pour analyser leur ADN. Ces animaux invisibles qui sont présents sur notre planète depuis l'origine du monde, vivent dans les zones abandonnées, dans les interstices des villes, les angles morts. Ils se transforment pour ne pas être vu en absorbant les formes du vivant, ils assimilent les sons, les formes, les couleurs, les matières. Rapides, joyeux, musicaux, ils meurent dès qu'ils sont vus.
Dans la meute l'équipe est composée entre autre de Saskia qui est l'oreille et la musicienne du groupe, elle va communiquer avec
les furtifs par le son. La musique, le son est presque un personnage a part entière du roman.
Dans un monde sous contrôle absolu des grands groupes économiques (Orange, Nestlé, LVMH...) qui ont racheté des villes et les ont rebaptisées à leur logo, l'humanité se soumet à la grande peur de l'autre, de la nouveauté, de l'inconnu.
Publicités incessantes surgissant d'un banc, d'un réverbère, des pavés dans la rue. Villes divisées en quartiers accessibles selon sont statut de citoyens : Privilège, Premium, Standard. Vidéo surveillance, réalité augmentée,... chacun vit dans sa bulle se méfiant de l'autre, de toute forme d'altérité.
L'émergence des furtifs va faire exploser la manipulation politique et souder les groupes radicaux de tous bords. Pour les uns, c'est l'extermination qu'il faut piloter, la compétition qu'il faut stimuler, le contrôle pour les autres c'est la vie qu'il faut protéger, le partage, la gratuité. Deux visions du monde l'une capitaliste, prédatrice, fondée sur le pouvoir l'autre faite d'entraide, de solidarité et fondée sur la puissance du faire et du partage.
Damasio avec talent expose, démontre tout en racontant une histoire captivante : la quête par Lorca et Sahar sa compagne de leur fille disparue sans doute hybridée en furtive. A travers cela, il décrit
les furtifs ces êtres à l'origine même de la vie bondissante, vibrante, énergisante.
Damasio s'appuie sur tout pour fouetter notre imagination. Les mots sont transformés, inventés pour tenir compte du mode de communication des furtifs. Des signes diacritiques sont ajoutés aux lettres pour signifier que c'est telle ou telle personnes qui parle. Les personnages inventés semblent sortir de notre actualité quotidienne : Un libéralisme débridé qui juge utopique tout ce qui n'est pas lui.
Parfois, les fantaisies fantastiques de
Damasio rendent la lecture ardue, on se perd un peu mais on se retrouve toujours au coeur d'un combat motivant, d'un discours euphorisant, d'une vision du monde apaisante.
En tant que marseillaise, je mets 5 étoiles à la prise de Marseille. Marseille libérée des Terrasses du Port, des croisiéristes, de la gentrification, des skyline anti-écolo, de Jean-Claude Dingau... on en rêve.
687 pages se lisent avec jubilation.