Les premières pages de ce roman graphique imposant par sa taille nous plantent tout de suite le décor d'une chronique ordinaire, douce-amère, à travers ces premières pages en noir et blanc qui donne le ton...
Nous sommes à Auburn, dans le Massachusetts, en août 1980. Nous faisons la connaissance de
Travis Dandro, un petit garçon de six ans. C'est un enfant qui semble heureux, débordant de joie de vivre. Nous découvrons son univers familial, sa mère avec laquelle il vit dans un pavillon de cette ville tranquille des États-Unis.
De temps en temps, David, « un ami » de sa mère l'emmène se promener ou le garde les week-ends. Un jour sa mère lui révèle que son vrai père, son père biologique, c'est David. « Maintenant, tu pourras l'appeler Papa Dave. »
Découvrir à six ans qui est son vrai père, c'est découvrir ce que sera désormais son univers, celui d'un voyou de seconde zone, une petite frappe, un toxicomane dépendant à l'héroïne, fait des mauvais coups lorsqu'il est en manque, qui va de temps en temps en prison, refait surface, tente de se rabibocher avec la mère de l'enfant, une femme douce, gentille, totalement irresponsable, qui ne se rend pas bien compte que chaque fois qu'elle cède le pas aux avances de cet homme toxique, elle enfonce encore plus bas sous terre son petit qu'elle aime de tout son coeur pourtant, qu'elle aime si mal...
Mon père cet enfer, c'est le récit de l'enfance, ballotée, chahutée par les soubresauts de la vie familiale, ses rebuffades, ses désillusions, les blessures qu'elle laisse.
Comment grandir avec cette violence quotidienne en toile de fond ? À l'école ou bien sur le coin d'une table à la maison, le petit Travis dessine des personnages sortis de son imaginaire mais inspirés de ce qu'il voit autour de lui. À travers ces crayonnages, il esquisse déjà une ligne de fuite où il ira chercher le soleil, l'espoir, tenir debout malgré la violence d'un père malade, les silences d'une mère totalement dépassée, un oncle alcoolique, des déménagements à n'en plus finir...
Travis Dandro écrit ici un récit autobiographique sous la forme d'une BD. Car c'est raconter sa vie en dessin qui l'aura peut-être aidé à se relever. Il aura mis quarante ans à le faire.
Mon père cet enfer est donc en quelque sorte une catharsis. Sont racontés ici les traumatismes, les bleus à l'âme de l'enfant qu'il fut et qui grandira avec ce fardeau supplémentaire sur un chemin chaotique.
J'ai trouvé ce roman graphique dur, poignant, comme à chaque fois où un récit montre un enfant abîmé par les coups de boutoir de la vie.
Le graphisme m'a emporté entre tendresse et douleur. Il y a tout d'abord la bouille adorable de ce petit bonhomme haut comme trois pommes, heureux de nous accueillir aux premières pages, qui nous fait rire. Un visage comme une bulle, avec de grands yeux tout ronds et des cheveux en pic sur la tête, un vrai personnage de cartoons. C'est un visage simple sur lequel tout le talent de
Travis Dandro va poser mille expressions changeantes entre joie, tristesse, colère durant ce récit étouffant qui se lit d'une traite... C'est le visage d'un enfant qui suscite d'emblée l'empathie, son histoire aussi... C'est un visage qui vient auréoler les pages sombres qui peuplent ce récit, où le trait haché, qui devient parfois compulsif, vient jeter une ombre mêlée de tensions et d'angoisse, tandis que dans l'imaginaire des personnages surgissent des scènes totalement oniriques et vertigineuses...
C'est un récit autobiographique, sans fard, sensible, d'une tendresse et d'une douleur à couper le souffle et qui m'a profondément ému.
Mon père, cet enfer est un témoignage unique et bouleversant.