L'adjectif « kafkaïen »est l'un des plus employé à tort et à travers (comme « surréaliste » d'ailleurs) de la langue française :
-Tu imagines ! Vingt minutes au téléphone avec la compagnie d'assurances...
-C'est kafkaïen !
Mais ici on peut en faire usage à bon escient.
La situation de Tugdual Laugier lorsqu'il intègre le cabinet de conseil Michard rappelle celle de K, dans « le château », qui, lors de son arrivée au village, doit faire officialiser son statut d'arpenteur, mais ne peut accéder au Château où résident les Fonctionnaires.
Curieux cabinet, dont on ne rencontre jamais, ou presque, les salariés, et où Laugier n'est chargé d'acuun travail pendant trois ans ; il touche cependant régulièrement son salaire.
Curieux personnage aussi que Laugier, d'ailleurs, que je ne me résous pas à appeler héros du livre ; on pourrait dire « protagoniste » ; mais non, car il n'agit pas, il réagit tout au plus. Il est d'un crétinisme abyssal (c'est d'ailleurs pour cela qu'il a été recuté), mais cel ne l'excuse ni de son infatuation ni de sa muflerie.
Au bout de trois ans, il commence certes à trouver les choses un peu bizarres, mais sans plus.
Et puis il rencontre Relot, l'un des associés (y-en-a-t-il d'autres, d'ailleurs,) qui le charge d'établir un rapport sur...la Chine, sans autre précision.
Tugdual se met au travail et pond un monstre de plus de mille pages,
le Rapport Chinois, mélange incohérent écrit au copier-coller sur Wikipédia, dont la principale proposition est de doper la croissance chinois en s'emparant du marché français des mini-viennoiseries.
L'interlocuteur chinois l'achète cependant cinq millions d'euros, pour l'oublier sur la table du restaurant.
Bizarre, non ?
On pourrait rester dans ce registre, mais en fait non. A ce moment le récit prend une autre tournure, et nous nous retrouvons dans les arcanes scélérates du capitalisme financier et de la crise des subprimes, tout aussi absurdes d'un certain point de vue, notamment de celui du personnage qui pense que l'argent n'existe que parce que l'on y croit (ce qui n'est pas faux quand on y réfléchit).
Bon, je ne vais quand même pas tout raconter. Je dirai seulement que les choses s'expliquent, qu'il y a enquête de police, qu'elle révèle un montage diabolique, et que, comme il est de règle dans notre système capitaliste, justice ne sera pas rendue.
Au cours de l'enquête, puis de l'instruction judiciaire,
le Rapport Chinois se révèle être un véritable monstre, un livre maudit qui, à l'instar du Nécronomicon de
Lovecraft, manque de rendre fou quiconque a l'imprudence de l'ouvrir, et ruine les vies et les carrières.
Le tout est horriblement drôle et lucide à la fois. L'une des meilleures dénonciations de notre système économique et des horreurs et turpitudes du libéralisme mondialisé que j'aie lues , à faire pâlir Piketty ou
Michéa.
Une observation sur la quatrième de couverture: elle est à la limite du hors sujet, et la comparaison avec "La conjuration des imbéciles" est inappropriée.