Cela faisait longtemps que je recherchais un esthétique audacieux et surprenant dans les bandes dessinées et romans graphiques (pour tout dire quelque chose qui fasse dire "ha oui! ça c'est un roman graphique!"), et avec cet ouvrage je l'ai enfin trouvé...
Je n'avais jamais lu Steinbeck et c'est avec beaucoup de plaisir que R.
Dautremer me l'a présenté.
Le livre, très court, est cru et affreusement triste (j'ai pleuré).
Sur le plan esthétique, c'est du génie pur, on sent la liberté totale de l'artiste et le cotés brut de décoffrage est complétement assumé et renversant.
Dans ces pages vous ne trouverez pas de cadre de case, ni de bulle (ce qui en fait déjà un roman graphique).
Mais, et c'est là que réside le génie, les traits de brouillons sont restés là et, sans parasiter le sujet, lui insuffle une vie vibrante et bruissante.
Les pages ne sont pas lisses de correction et de nettoyage, bref le support ne ment pas, on est pas dans la représentation tiré au cordeau qui fait oublier l'objet, non, l'objet est là et on sent presque les sillons creusés par le crayon, on constate le petit accident de peinture et les traces de la paume de la main qui estompe sur le cotés droit (elle est droitière).
La genèse de la plupart des planches est encore visible, parfois même le chantier parait abandonné en cours de route (l'autrice l'assume même dans un paragraphe à la fin ou elle détaille tout l'outillage, le temps, l'ambiance sonore et le contexte de la période de création).
Ces "petits moments de fainéantise" n'ont rien d'un bâclage tant ils sont tissés à l'ambiance et à la texture du reste. Au contraire cela relève d'une émancipation contagieuse (on l'entend presque "aller ça me saoule, j'arrête celle-ci là! suivant!") et purain! MERCI !
Parfois une action est découpée en seconde par seconde sans séparation (par case) ce qui donne l'impression d'un fatras de personnages et de gestes, une foule, là ou il n'y a que deux hommes et pourtant ça marche, ça ne fait pas mal à la tête, c'est lisible et époustouflant de vivacité et d'urgence.
Je pense que je pourrais encore longtemps faire l'inventaire de toutes les trouvailles esthétiques déployées dans ce livre.
Je pourrais vous parler des publicités vintages, des scans purs et simples de page de cahier de comptes ou de carte à jouer, du dessin qui lorsque il se met au service de l'imagination d'un enfant deviens celui d'un enfant, de l'exacerbation des émotions des personnages, de l'affichage des "charac'design" tout droit sortis du dossier artwork etc... Bref, ce livre est à la fois le prétexte à l'expérimentation et le canevas de caprices d'artiste revigorant d'inventivités et de libertés...
La note de fin sur la période de chantier et le matériel utilisé fait tellement de bien au créateur que je suis et ça manque tellement souvent!
Miss
Dautremer ne fait pas de mystère, elle n'est pas avare de secret de fabrication, qu'aurait-elle à cacher?
Elle n'a absolument rien à craindre d'autres talents ou de "voleurs de technique", elle est au sommet de son art sans même en faire des caisses ou lécher son travail.
Alors oui, ma critique est dithyrambique mais (au cas où ça ne suffirait pas) je vais le dire clairement: Rebecca je t'aime et tu m'as mis un véritable coup de pied au cul, renforçant la confiance dans le pouvoir de création qui m'anime. Si je perd espoir dans mes oeuvres personnelles, que je me dit que c'est n'importe quoi ce que je fais, que ça vaut pas le coup, il me suffira de me replonger dans ce livre pour me rappeler que oui c'est possible et que c'est beau...