Je suis allergique aux thank you.
J’ai appris chez vous à n’être personne. Je garde les yeux baissés et ainsi je disparais, je les lève et j’apparais à nouveau. Je me tais et je suis accepté, je parle pour demander un renseignement et je suis repoussé. Vous préférez personne. C’est bon, disons que nous n’existons pas les uns pour les autres. Toi non, tu t’assieds, tu parles, tu poses des questions. Tu es quelqu’un et tu me fais aussi devenir quelqu’un.
Dans les jardins, la floraison des mimosas explose. Leur jaune claque face au gris des nuages et brille plus qu'en plein soleil. Il déconcerte le nez qui sent aussi une odeur de vanille. En montagne, pendant l'orage, l'air grésille de rouille et le sol se prépare au choc de la foudre. La terre est un organisme vivant, c'est toute la foi qu'il m'est possible.
Je fais prendre l'air aussi à mes bouquins, je les offre en lecture, je fais office de bibliothèque municipale qui n'existe pas.
Les livres m'ont servi à connaître le monde, la diversité des personnes, qui sont rares dans le coin. Compacts contre la paroi au nord, ils gardent la maison au chaud. (p. 17)
Ici, il y avait des poissons, des coraux, des coquillages. Les montagnes sont faites de leurs restes. À ceux qui disent que nous sommes des montagnards, je réponds qu'avant nous avions la mer. Je le prouve avec les poissons gravés sur le plat d'une pierre, l'empreinte d'une arête ou d'une valve d'huître.
Il existe des livres qui font ressentir un amour plus intense que celui qu’on a connu, un courage plus grand que celui dont on a fait preuve.
Certains d'entre eux pourraient s'arrêter, mais aucun de ceux qui sont arrivés jusqu'ici ne l'ont fait. Une adresse en poche leur sert de boussole. Pour nous qi n'avons pas voyagé,ils sont le monde venu nous rendre visite. Ils parlent des langues qui font le bruit d'un fleuve lointain.
" Les hommes qui boivent du lait sont restés des enfants. "
Je suis d'accord, le lait me ramène à mon enfance deux minutes par jour. Je le prends entier. À la montagne, je me procure du lait tiède, qu'on vient de traire. Il bout en laissant monter deux doigts de crème. Il sent l'étable. Le lait chaud suscite en moi un bonheur immédiat. On devrait l'offrir sur l'autel à la place du vin. S'il avait dit au cours de son dernier dîner que son sang était du lait, il n'y aurait pas eu d'ivresse en son nom. Ce vin-là a tourné la tête à plusieurs fanatiques.
"Ho imparato da voi a essere nessuno. Tengo gli occhi bassi e questo mi fa scomparire, li alzo e appaio di nuovo. Sto zitto e sono accolto, parlo per chiedere un'informazione e sono respinto. Preferite nessuno. Va bene, facciamo che non esistiamo uno per l'altro. Tu no, ti siedi, racconti, domandi. Tu sei qualcuno e fai diventare qualcuno anche me. "
“Vous m’avez appris à n’être personne. Je garde les yeux baissés et cela me fait disparaître, je les lève et je réapparais. Si je me tais, on m’accueille, si je parle pour demander quelque chose, on me repousse. Vous préférez ne voir personne. D’accord, faisons en sorte de ne pas exister l’un pour l’autre. Toi non, tu t’assois, tu racontes, tu questionnes. Toi, tu es quelqu’un et tu me fais devenir quelqu’un moi aussi.» (p. 97)
Ils [les livres] ne sont pas fragiles, ils se laissent maltraiter. Ils résistent mieux que nous à l’usure, au gel, aux exils et aux naufrages. Leur prodige est de savoir prendre le temps de celui qui lit. (p. 157)