Comme le titre l'indique bien, ce roman reprend la légende arthurienne en la transformant en légende morganienne. Ici, l'enfant caché d'Uther Pendragon et de la reine Ygerne, celui qui tire l'épée de la pierre, qui fonde la Table Ronde et qui réussit à fédérer le royaume de Logres n'est pas Arthur, mais Morgane. Elle doit batailler pour assoir son autorité, assiste au choc des religions alors que la chrétienté pose le pied dans son royaume baigné de magie, et trace sa route, malgré les chausse-trappes et les trahisons. Arthur est là, à ses côtés, simple chevalier parmi les autres. Tous deux s'aiment, mais le tumulte de leur époque va bouleverser leur relation.
Jean-Laurent del Socorro reprend les éléments emblématiques de la légende, et en même temps, tout est différent. Ce pas de côté dont on parle souvent pour caractériser l'imaginaire, l'auteur le fait ici doublement : à la fois en utilisant la fantasy pour parler de notre réalité, et en même temps en posant un regard neuf sur une histoire bien connue, et c'est particulièrement stimulant ! Ses messages de féminisme et de tolérance en ressortent grandis.
Le récit s'enrichit également de l'universalité des mythes qui confère sa force et sa longévité aux légendes de la Table Ronde. Si ces dernières vivent toujours dans l'imaginaire collectif, c'est parce qu'elles parlent de nous, de nos sentiments, et de la façon dont nous pouvons être ballotés, à la fois par les troubles d'une époque, les rêves et les doutes qui nous animent, et les proches qui nous entourent, nous soutiennent, et parfois nous font du mal. La plume de Jean-Laurent del Socorro correspond à merveille à cette approche. Fine, concise, bien tournée, elle trouve toujours les bons mots pour plonger au coeur des personnages et nous faire vivre leur intimité. Avant d'être des héros de légende, ce sont des femmes et des hommes qui rient, pleurent, espèrent et souffrent, comme tout un chacun. J'ai été touchée par leurs voix, notamment celles de Morgane et Arthur qui content l'histoire, mais les personnages secondaires ne sont pas en retrait. Je retiens notamment Arcade, Kay, Elaine ou encore Horizon, le géant qui fixe la mer.
C'est d'ailleurs là l'autre point fort du récit : un souffle de magie imprègne les pages et convoque toute la force de l'imaginaire dans ses lignes. On y croise des géants, des changelins, des brumes enchantées, des châteaux qui se déplacent, des marches de pierre jetées au-dessus de la mer… le tout abordé avec ce qu'il faut de retenu pour préserver toute leur part de mystère.
J'ai été conquise par
Morgane Pendragon, par sa façon de m'inviter à redécouvrir des personnages familiers, par l'émotion qui infuse de ses pages, et par l'ambiance de vieille légende qui berce le récit. Une très grande réussite qui va continuer de m'habiter au-delà du roman !