La caste existe depuis des milliers d'années, la littérature en langue sanskrite nous en fournit la preuve irréfutable. Un moyen commode de présenter la caste consiste alors à se pencher sur ces textes pour en dégager les principes généraux qui, nous dit-on, régissent la société indienne. Cette méthode présente certes de nombreux avantages, mais elle n'est pas celle que nous avons retenue ici. Comme nous l'avons vu précédemment, c'est la société indienne qui constitue notre objet d'étude privilégié et nous pensons que le détour par les textes anciens risque parfois d'obscurcir cette réalité.
En raison de ces problèmes, la question de l'origine des institutions a d'une manière générale été quelque peu délaissée par les ethnologues contemporains. Elle n'en demeure pas moins une énigme et un sociologue de renom a récemment écrit un ouvrage qui est, pour une bonne part, consacré à l'origine de la caste. Selon Baechler, l'Inde traditionnelle se caractérisait à la fois par une unité culturelle et une absence de pouvoir capable d'imposer quelque orthodoxie que ce fût. Le système des castes est alors la solution élégante, inventée par les Brahmanes, pour résoudre cette carence politique. Il n'y avait en Inde ni empire, ni royaume qui eût pu donner à la société la cohérence et la cohésion que la tribu n'assurait plus. Or les hommes ne peuvent vivre sans cohérence ni cohésion et le régime des castes est justement la solution du problème de survie sociale posé par la carence de l'empire et du royaume.
L'utilisation courante du terme de caste exprime bien certaines caractéristiques de la caste indienne. Lorsque l'on parle, par exemple, d'une caste de la "haute finance", ou d'une caste de conseillers politiques, on met l'accent sur l'esprit d'exclusion d'un groupe particulier, sur son caractère fermé qui vise à préserver une certaine spécialisation de toute contamination.
Les premiers analystes de la caste entendent souvent dépasser le caractère apparemment particulier de celle-ci pour mettre l'accent sur certains traits qui nous sont familiers. Une des approches les plus connues est sans nul doute celle de Risley, un fonctionnaire britannique qui soutint que l'origine de la caste est raciale et, selon lui, la hiérarchie des castes n'est qu'une hiérarchie des races. Par diverses analyses anthropométriques, il dégagea une corrélation entre la largeur du nez et le statut social: ce dernier serait inversement proportionnel à la largeur du nez. Plus on descend dans la hiérarchie sociale, plus le nez est plat alors que le nez aquilin ne se trouve que dans les castes supérieures.