En apparence, j’étais une fiancée heureuse et aimée, une jeune femme adulée, comblée de félicités… En réalité, quelque chose s’était brisé en moi. C’était ma jeunesse, avec sa fraîcheur d’impressions, ses radieuses illusions et ses affections premières. Les passions violentes longtemps assoupies se réveillaient, des ferments de haine bouillonnaient dans mon cœur, m’inspirant un aveugle ressentiment contre tout ce que j’avais aimé et tout ce qui se rattachait de quelque façon à ce douloureux passé : la Bretagne, mon cher pays, la mer, pour laquelle j’avais de perpétuelles admirations, notre vieux manoir…
Comme tant d’âmes plus avancées dans la vie, l’enfant trop précoce ne pouvait préciser ses aspirations vers un bonheur mystérieux, intangible, un idéal entrevu comme en un rêve, pas plus qu’il ne lui était loisible de définir la lutte sourde et terrible dont son cœur était le théâtre. Le bien et le mal se disputaient à chaque heure ce cœur qui serait, un jour, à l’un ou à l’autre, mais Gaétan subissait leurs sollicitations et y cédait sans en comprendre l’origine et le but.
Tout enfant, elle avait des accès d’effrayante colère ou d’invincible mélancolie. La religion seule a pu adoucir et maîtriser cette âme orgueilleuse…
Le peintre célèbre, auteur de cette toile, avait admirablement rendu le caractère fier et grave de cette beauté, la teinte si riche de la chevelure blonde, l’attitude noble et souverainement gracieuse de Mme de Sézannek. Mais, bien que ce portrait datât de la première année de son mariage, il y avait déjà dans ses beaux yeux gris la mystérieuse mélancolie qu’Alix y avait vue aux jours de sa maladie…
Le piano, que tu savais faire résonner si délicieusement, est toujours clos maintenant, et moi, sans entrain et sans gaieté, je ne chante plus, je néglige mon jardin. Oh ! Gaétane, un mot !… un seul petit mot de toi me fera tant de bien ! Et si, un jour, tu peux revenir à Ségastel, n’oublie pas que tu causeras un immense bonheur à ton Alix, qui t’aime et t’embrasse avec toute l’ardeur de son cœur.