Il est des événements auxquels les mécanismes complexes de la construction du souvenir et de l’écriture de l’histoire ont conféré une valeur symbolique et une charge émotionnelle si fortes qu’ils risquent, à être réexaminés de plus près, d’apparaître finalement trop maigres dans des vêtements trop grands. Une fois dépouillés de leur valeur mémorielle et mnémotechnique, il reste souvent l’impression que l’essentiel de ce qu’ils prétendent incarner et résumer s’est passé avant, après, ailleurs ou autrement. Tel est en partie le cas de la chute de Constantinople, mais en partie seulement.
Allez donc dans ce combat, qui est fort noble et qui promet une grande récompense. Il y aura pour vous des esclaves de qualité, des femmes et des enfants, et la Ville contient de grandes richesses.
Soyez donc des braves vous-mêmes, et exhortez tous vos compagnons à vous suivre avec courage et à faire preuve d’ardeur et de zèle dans l’affaire, en sachant que bien combattre tient en trois mots : volonté, sens de l’honneur et discipline ; que chacun garde bien son poste et monte au combat en silence et en bon ordre, pour qu’il puisse vite entendre les consignes et les faire passer aux autres ; quand il faut avancer en silence, gardez le silence, et quand il convient de hurler et de lancer un cri de guerre effrayant, faites-le. C’est souvent d’un grand secours dans tous les combats, mais plus particulièrement dans un assaut. Donnez à tous des consignes adéquates, qu’ils fassent tout en bon ordre. (3) Combattez donc bien, de façon digne de vous et de vos prédécesseurs, ne mollissez pas en voyant tout l’enjeu de la lutte pour nous, ne le permettez pas à nos autres soldats. Je serai moi-même à votre tête, je lutterai avec vous et je verrai ce que fait chacun.
Le 29 mai 1453 est une de ces dates qui émergent dans l’histoire de l’humanité. Certains en ont fait le point de départ des temps modernes. Dans tous les cas, la chute de Constantinople, qui éliminait à jamais l’Empire romain d’Orient, était la fin d’un monde, tandis que la conquête d’Istanbul donnait aux Ottomans un immense prestige impérial et promettait de nouveaux succès à l’expansion musulmane en Europe. L’historien se doit de nuancer ces images. Pour autant cette vision symbolique de l’événement – toujours latente aujourd’hui dans les réflexions ou polémiques sur la place de l’islam dans le monde ou, récemment encore, sur le statut de Sainte-Sophie – était déjà celle largement partagée par les contemporains du siège et leurs premiers successeurs.
« Nous entendons dire aux gens de bon sens qu’un acte futile est une source de honte, qu’il est blâmable de violer un serment et que la personne du padişah en qui se manifestent les ordres du califat est exempte et préservée de ces deux [défauts]. Comment se fait-il que lors de l’enregistrement d’Istanbul ces deux [vices] apparus sur lui se soient révélés ? En premier lieu, c’est l’imposition d’un loyer sans revenu qui est futile ; en second lieu, quand on a fait un serment en disant : “Que les maisons librement choisies soient la pleine propriété de ceux qui s’y sont installés”, cela ressemble à un viol de son serment que de faire des permutations de propriétés (selon la formule “Tu as commis une action détestable. »
Café littéraire du Mercredi - Constantinople 1453.