Évidemment, la première question que se pose celui qui prend ce livre entre ces mains est de savoir comme se prononce ce drôle de nom. Pikilny ? Pikiélny ? J'ai eu la réponse en assistant à une présentation de l'oeuvre par
François-Henri Désérable lui-même. Ça se prononce Piékiélny
La seconde question est de savoir qui est ce type avec ce nom à coucher dehors, et c'est justement le sujet de ce bouquin. Pour comprendre, il faut que je vous parle d'un autre livre, écrit par un autre auteur à la fin des années 1950. Il s'agit de "
La promesse de l'aube", de
Romain Gary, Roman Kacew (celui-là se prononce Katsef) de son vrai patronyme. Il s'agit d'un roman autobiographique dans lequel l'écrivain prend énormément de liberté avec la réalité, qu'il modifie copieusement, allant jusqu'à « arranger » la mort de ses parents. Au cours de cette histoire, on voit le petit Roman et sa mère quitter définitivement Wilno (rebaptisée depuis Vilnius) en 1928. Un de leur voisin, qui ressemblait à une souris triste, lui demande alors…
"Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au no 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny."
Était-il vraiment réel, ce M. Piekielny du livre de Gary ? Quel était son métier ? D'où venait-il ? Comment est-il mort ?
Voilà
François-Henri Désérable parti sur les traces de ce mystérieux juif, armé de quelques paragraphes dans un bouquin peu crédible, et de beaucoup de courage. Également de pas mal d'imagination, car il projette M. Piekielny dans toutes sortes de situations dans lesquelles il pourrait se trouver. Il est fait un usage intensif du conditionnel.
La quête est longue et difficile. L'auteur parle beaucoup de
Romain Gary et de lui-même, il ne lâche pas le fil pourtant extrêmement ténu qui le lie au personnage dont il ignore toujours s'il a vraiment existé. Il y a beaucoup de raisons à cette quête, entre autres celle-ci : comme Mina, la mère de Gary, celle de Désérable avait beaucoup d'ambitions pour l'avenir de son garçon, et tous deux sont devenus écrivains.
"Ma mère était de la dynastie des Mina, il fallait que le front de son fils fût ceint de lauriers pour qu'elle pût enfin s'en coiffer à son tour."
Toutefois, et pour être honnête, je me suis demandé pendant un bon moment quel était l'intérêt (et de lire) de raconter la traque d'un type potentiellement irréel. Cependant, l'écriture est si parfaite, le style si fluide, avec tant de finesse dans les traits d'humour, tant de précision dans les descriptions des états d'âme que je suis pris au jeu.
"C'est peut-être cela et rien de plus, être écrivain : fermer les yeux pour les garder grands ouverts, n'avoir ni Dieu ni maître et nulle autre servitude que la page à écrire, se soustraire au monde pour lui imposer sa propre illusion."
Et j'ai bien fait de m'accrocher, car, contre tout espoir, il y a une chute, et quelle chute !
Il y a encore quelques jours, ce livre était en lice pour tous les « gros » prix littéraires : Goncourt, Renaudot, Femina, Médicis, Interallié, prix du roman de l'Académie française, et quelques autres moins réputés. À l'heure où j'écris ces lignes, il est toujours dans la course pour trois d'entre eux. Je n'accorde pas beaucoup de confiance ces prix, mais il n'y a pas de fumée sans feu ni d'unanimité sans raison. Cet auteur n'a que trente ans, et un très grand avenir.
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