La légende de la croisade catholique et fasciste en Afrique prenait ainsi corps et justifiait son ouvrage impérialiste en cours en cajolant les prolétaires et en flattant leurs appétits légitimes et ordinaires insatisfaits, mais aussi leur plus bas instincts. Comme toujours dans les dictatures, étaient mis à l'honneur le nationalisme primaire, le désir d'en découdre avec un ennemi réel ou imaginaire et la condamnation sans appel des "politicards modérés inutiles et corrompus". Mussolini entonnait à nouveau sa vieille antienne antiparlementaire: "Quarante millions d'Italiens ne seraient rien et quatre cents députés seraient tout?" le peuple aimait entendre ça...Et le Duce ne négligeait aucune recette éprouvée pour couper l'herbe à toute opposition. La campagne coloniale devenait ainsi son affaire à lui seul. En offrant aux chômeurs endémiques et aux paysans indigents des immenses plaines du Pô ou des hameaux sinistrés des Pouilles, de Calabre et de tout le Mezzogiorno, une terre promise chez les autres, de verts pâturages gratuits à l'envi et une fortune facile, tout comme dans ce Congo presque voisin de l'Ethiopie où on racontait que les plus audacieux marchaient sur l'or, et où les Belges s'enrichissaient à millions sans verser une larme de transpiration, le Duce courtisait l'Italie et se faisait vénérer d'elle, de la banque, de l'industrie, de la Couronne, du Vatican et de la soldatesque. C'était l'union sacrée. On ne jurait plus que par Mussolini, "il avait déjà tant fait pour le pays...", et il venait d'inventer pour fleurir encore davantage ses lauriers un nouveau peuple, les "Italianissimes", des Italiens plus grands, plus forts et plus beaux que ceux d'avant...à force de le dire, de le chanter et de l'écrire, l'Italie en était arrivée à y croire, même si à défaut d'aimer vraiment Mussolini, elle finissait plus prosaïquement par accepter le destin que le dictateur lui offrait.
L'homme au casque colonial et au costume de confection mal coupé, fripé, graisseux et trop long aux poignets, était à la fois le rejeton fin de race de la noble ambition républicaine expansionniste française du XIX ème siècle et le fondateur d'une nouvelle dynastie, celle des mal-voyants et des durs de la feuille de ces sinistres classes moyennes émergentes du XX ème, prétendument éprises de progrès, mais incapables de pressentir l'avenir au travers d'un prisme plus éclairé que celui de leur égoïsme, de leurs avantages acquis et du dogme sacré de leur essence supérieure à toutes les races qui n'avaient pas le privilège d'être blanches ou chrétiennes.