Le givre sur les pierres prenait les éclats de mon âme qui voulait valser dans les aurores bien au-delà de moi quand je vivais ces jours-là, extrêmement. Et moi, et moi, si plein de cieux bleus, si petit et si grand, moi-même changé en lac, si vaste et si creux, je buvais tous les jours le cristal des rivières et l'eau des ruisseaux. Je m'abreuvais à la source, je plongeais, je nageais, j'étais bien eau de glace, eau lustrale jamais tarie, eau forte de mes ivresses quand je vivais ces jours-là.
Dans la toundra j'existe, l'âme toujours en mouvement à partir du coeur. Dans quelle direction va mon corps, tremblant, prêt à ne plus exister après avoir tant aimé la simple odeur des feuilles, la frénésie des oiseaux en mai ? J'existe, moins que le temps des lumières ou des enfants bienheureux. Mais quand bien même j'aurais été conçu pour cesser d'exister, j'existerais dans l'éternité des pierres, sur la trace des loutres amusées, dans l'envol d'un uppialuk millénaire. Crier cette existence donne tout son sens à mon non-sens possible.
La vie urbaine et sudiste oblige à devenir poète, artiste ou mystique pour ne pas perdre la fascination de l'universel et de la totalité, mais au prix de quels isolements, de quelles détresses ! Ailleurs, dans le Grand Nord, il n'y a pas que les poètes ou les artistes ou les mystiques qui accèdent à l'universel réconciliateur. Tout chasseur, toute pêcheuse, tout petit enfant, tout être encore doué du pouvoir d'émerveillement peut apprendre le métier de vivre. Quiconque possède l'isuma, l'«esprit» inuit, peut traverser sans danger une rivière à peine gelée pour aller admirer l'infini tout blanc d'un hiver éminemment confortable pour l'âme. Isuma : seul gage de la participation à l'universel, dans l'irrémédiable et apaisante unité. Contempler une aurore boréale, «entendre» une aurore de belle nuit, comme le dit Emily, poète inuite de Puvirnituk, c'est accepter la mort, tout au bout, avec plus que de l'apaisement : avec la joie de l'Unité cosmique retrouvée.
Le coeur sait pourquoi il cogne quand il fait froid. Dans la tête du sang chaud, dans l'oeil qui pleure pour ne pas geler, on entend un chant, un chant de Nord si cinglant, un chant de soleil toujours couché à l'horizon des rêves. Ici même, si loin du bout du monde, tout contre moi, au centre de la vie qui bat.
La noirceur peut être si totale dans l'igloo, la tente ou le sac de couchage dont on n'ose plus sortir, qu'on se dit que le soleil pourrait ne jamais réapparaître.
Animation à deux voix (Marité Villeneuve et Jean Désy), avec musique et lecture de textes, notamment des lettres et des poèmes inédits de Paul Villeneuve (décédé en 2010), ainsi que des extraits du roman « Mon frère Paul » (Del Busso Éditeur) de Marité Villeneuve.
Spectacle-hommage présenté dans le cadre de la 57e édition du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean le 1er octobre 2021.
Captation : Groupe Photo Média international
Production : Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean
Scénarisation et écriture des textes : Marité Viilleneuve
Lecture des textes : Jean Désy et Marité Villeneuve
Accompagnement musical : Frédéric Dufour
Montage des extraits : Alain Bouchard
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