Mesdames messieurs, je vais vous parler de
Raymond Devos. Autant vous dire que je vais vous parler sérieusement de choses drôles, ou drôlement de choses sérieuses, si vous préférez ; vous auriez préféré sans doute que je vous parle sérieusement de choses sérieuses, ce n'est pas drôle, ou drôlement de choses drôles, allons, ce n'est pas sérieux. Non mais, soyons sérieux, vous êtes drôle, vous, pensez-vous qu'à soixante-dix ans je vais commencer une carrière d'humoriste, comme
Raymond Devos ?
Raymond Devos est en effet un humoriste, l'un des meilleurs. Mais il n'est pas que ça. Si le mot artiste a été inventé un jour, c'est pour lui : que fait un artiste ? il joue. Il joue avec son public, qu'il soit musicien, comédien ou autre chose, il établie une connexion avec le spectateur, et cherche à le surprendre, et parfois peut-être à être surpris par lui. Quand il est musicien, il joue d'un instrument, ou de plusieurs.
Raymond Devos joue d'une infinité d'instruments, du piano au banjo en passant par la guitare et l'accordéon, certains dont il joue simplement « à l'oreille ». Il joue de son corps, avec une agilité surprenante pour sa corpulence, et il met en pratique sa longue expérience de mime, de clown et de jongleur. Enfin, et c'est la cerise sur le gâteau, il joue avec les mots.
L'humour de
Raymond Devos réside dans la qualité de ses textes, et ses textes sont articulés autour d'une constante : les mots, le langage. C'est à partir des mots, de leurs interactions, de leur homonymie, des rapprochements insolites qu'ils peuvent avoir entre eux, que l'artiste construit une histoire forcément décalée, dans une logique qui confine à l'absurde, créant ainsi un monde poétique qui mêle réalité et irréalité, qui fait mouche en déclenchant le rire, parfois l'émotion, parfois même la réflexion … Un spectacle de
Raymond Devos est forcément hors du temps : vous n'y trouverez que rarement des allusions à l'actualité, il ne cherche pas comme son collègue
Fernand Raynaud (le
La Bruyère des temps modernes) à stigmatiser, pour les combattre, les petits défauts de l'âme humaine (même s'il s'en approche parfois), il n'y a aucune attaque, aucune méchanceté gratuite dans ses textes, aucune salacité ni grivoiserie (tout ce qui fait l'ADN de l'humour d'aujourd'hui) … Par contre, il n'y a pas de meilleur serviteur de la langue française : le mot juste (c'est un peu la base du sketch) la grammaire impeccable, la diction remarquable… des textes qu'on pourrait étudier dans les écoles.
Certains ont même détecté derrière la fantaisie, la fausse impression d'un absurde qui envahirait nos vies, un rapprochement avec des courants contemporains portés par
Ionesco et
Beckett entre autres. Bien que
Raymond Devos soit d'une immense culture et qu'il se réfère parfois à certains philosophes, je ne crois pas qu'il soit dans son intention de faire passer un message, quel qu'il soit. Souvenons-nous : Devos est un artiste, c'est sa vocation et sa vie.
Souvent imité, jamais égalé, il est depuis longtemps au panthéon de l'humour français. Il est belge ? et alors ! Personne n'est parfait, et d'ailleurs, croyez-vous qu'il aurait fait cette carrière phénoménale s'il l'avait faite en flamand ? Non bien sûr. Et je vais même vous raconter son tout premier gag (involontaire) Ses parents, français tous les deux, sont venus s'installer à Mouscron, en Belgique, mais à 9 km de Roubaix. A sa naissance, il a bien été déclaré à la mairie de Mouscron, mais le papa a oublié de le signaler au Consulat de France, de sorte que
Raymond Devos a eu d'office la nationalité belge. Les demandes de régularisations ultérieures ont toutes été couronnées… d'insuccès ! Voilà pourquoi
Raymond Devos est Belge et non Français, et voilà aussi la raison de sa grande connaissance et de son grand amour de notre langue.