Voilà réuni tout ce qu'il faut pour fabriquer un produit efficace dans cette littérature sans prétention : de l'amour, de la haine, de la trahison, du sexe (ancestrale recette depuis les Grecs,
Shakespeare ou autres
Georges Lucas) et un gros gros travail exploratoire pour faire revivre Rome ou Venise au 16ème siècle..
On entrevoit d'ailleurs un peu trop le travail préparatoire sur graphiques et fiches : un bristol pour chaque héros, un tableau avec flêches (chaque page tournée, une aventure nous attend au tournant pour nourrir sans cesse le lecteur d'aujourd'hui (biberonné aux images qui changent pratiquement à chaque seconde)
Et malgré cette maladie moderne des romans grand public, il faut le reconnaître : ça fonctionne.
Notamment parce que chaque personnage est particulièrement ciselé (notamment les méchants) que ces événements qui s'enchaînent sont notablement bien imbriqués les uns dans les autres, façon Dumas (pour les mésaventures) ou
Maurice Leblanc (s'agissant de "l'existence" des protagonistes)
Et qu'il y a surtout une autre certitude : certaines personnes n'ont aucun don quand d'autres sont doués pour raconter des
histoires. Celles ci, rares, malgré les scories, les habitudes, les obligations modernes du roman, réussissent à nous emporter dans leur récit. Et Luca di Fulvio est un conteur d'
histoires.
On se laisse prendre par la main dans ces dédales sordides, la façon d'envisager le monde à cette époque, les moeurs et superstitions, la description de différents corps de métiers... on sent que l'auteur de ce côté ne s'est pas fichu du lecteur !
Côté relances du scénario, c'est plein pas juste de rebondissements mais d'inventivité, manque juste un brin de ce qu'il manque dans tout ce qui se fait à notre époque : l'audace.
Par exemple celle de ne pas proposer aux lecteurs une fin attendue. Quelque soit l'érection de cathédrale que peuvent être certains bons romans, au moment du dénouement la peur de "perdre le lecteur" (certains lecteurs, ceux qui sucent encore leur pouce en ne pouvant envisager que l'histoire racontée par maman ne se finisse pas par un happy end walt dinesque)
Au nom d'adultes qui au font n'ont jamais cessé d'être ces enfants qui ne veulent pas être dérangés, secoués, qu'on leur donne à réfléchir à une autre construction que celle qui leur sert de fondations et de murailles protectrices, une autre pensée que la petite maison de banlieue avec papa et maman (même si leur vie réelle elle n'élude ni la complexité ni les peurs de l'existence)
Dans le cas de l'enfant, une nécessité pour se construire.
Dans le cas d'adultes, une volonté puérile ,farouche de revenir dans ce lit chaud où l'on est bercés par la voix conteuse de maman... Avec des méchants qui ont un goût exquis, mais dans un scénario où TOUJOURS les gentils gagnent à la fin.
De l'aventure mais façon parc d'attractions, le frisson mais dans un cadre parfaitement délimité et rassurant.
C'est au nom de cette majorité recroquevillée au fond du lit que la littérature populaire est devenue si frileuse, si peu surprenante, audacieuse.
Ces
histoires sont au final des contes de fées, non pas les contes de fées originaux tels qu'ils ont été inventés un jour lointain, mais ce que notre ère moderne en a fait (un produit sans aspérité à seule destination des enfants que l'on pense trop fragiles pour les confronter à la réalité du monde)
De fait, on y parle rarement à l'intelligence du lecteur ou de l'auditeur..
Encore une fois : tant pis pour les autres.
Au moment de conclure, cette peur du vide, de l'inconnu, refait surface. Et sans doute qu'en plus des lecteurs, l'auteur s'adresse à lui-même, lui aussi tapis dans le noir...
Il y avait pourtant là de quoi faire un super roman d'aventures, populaire, quand cette frilosité aboutit à juste une honnête production.
Dommage...