Michel Leiris a écrit "Traduire, c'est avoir l'honnêteté de s'en tenir à une imperfection allusive."
Et quitte à prendre une position tranchée là ce n'est plus une imperfection allusive, mais une imperfection explicite,. Pourquoi me dire direz-vous ?
Et bien, je dois dire que de prime abord j'ai eu un peu de mal à comprendre pourquoi avoir sacrifié la traduction du titre original (La ragazza che toccava il cielo) par sa traduction littérale et certes plus poétique " pour une traduction plus passe-partout : "
Les Enfants de Venise".
Pourquoi ce titre italien "La fille qui a touché le ciel" est devenu "
Les Enfants de Venise". Mystère.....
On ne peut pas reprocher à ce titre français de coller à la réalité du livre car il s'agit bien d'une histoire d'enfant dans la Sérénissime, mais autant ce titre d'une platitude navrante cache un petit bijou de littérature.... Et ne lui rend pas service....
Revenons à l'histoire et ses protagonistes, nous voilà immergé dans un kaléidoscope de vies parallèles...
D'un côté Mercurio (le mercure ou le Mercure), Zolfo (le souffre), Ercole et Benedetta
De l'autre Yits'aq da Negroponte et Yeoudith qui deviendront Isacco da Negroponte et sa fille Giuditta.
Sans opposition leurs destins s'entrecroisent, s'entrechoquent. Ce sont des personnages qui comprendront qu'ils ont en eux les armes pour s'élever, pour améliorer leur propre condition, mais pas au détriment des autres.
"La vie est simple. Quand elle devient compliquée, ça veut dire qu'on se trompe quelque part. Ne l'oublie jamais. Si la vie devient compliquée, c'est parce que c'est nous qui la compliquons. le bonheur et la souffrance, le désespoir et l'amour sont simples. Il n'y a rien de difficile. "
Le fond historique est là aussi : la rivalité entre Rome la religieuse et Venise l'indépendante.
Nous sommes loin de la splendeur de la Cité des Doges et de ses palais de marbre, l'auteur italien
Luca di Fulvio fait revivre avec maestria un milieu violent, à l'ombre du Rialto, fréquenté par de vils personnages aux noms qui semblent tout droit sortis d'un conte macabre.
Voici comment l'auteur à l'entame du chapitre 36 relate ce qui va tout changer, le premier soir où les portes du Ghetto de Venise vont se fermer :
"« Fermez ! », commanda une voix.
Les gonds grincèrent. Les deux battants claquèrent avec un bruit sourd. On entendit crisser les cadenas, fer contre fer.
« Fermé ! », dit une voix.
« Fermé ! », dit une autre voix en écho.
Puis ce fut le silence.
La communauté juive était réunie au grand complet sur le campo del Ghetto. Il n'y avait pas eu de programme, de rendez-vous concerté. Ils s'étaient simplement retrouvés là. Et tous avaient cette expression ahurie peinte sur le visage.
C'était la première fois qu'ils étaient enfermés. Ce soir était le premier soir.
Dans le silence qui suivit la fermeture des deux grandes portes, personne ne savait que faire. Les yeux de tous étaient fixés sur les battants cadenassés de l'extérieur.
« Comme des poules dans un poulailler, fit soudain une vieille femme, d'une voix rauque. Quelle horreur. »
Et dans ce silence, tous l'entendirent.
« Tu aurais pu trouver un autre exemple », lui dit un homme à côté d'elle.
Et tous l'entendirent lui aussi.
« Comme une poignée de punaises dans une tabatière, dit alors la vieille femme. Comme une tribu de cafards dans un pot de chambre. Tu veux que je continue ? »
Une autre voix dit : « Non ».
Le silence se fit à nouveau.
Alors, l'idiot de la communauté, un gamin qui avait toujours la bouche grand ouverte et la bave au menton, commença à entonner, de sa voix disgracieuse, un vieux refrain que l'on chantait aux enfants pour les faire s'endormir : « Dans le noir il y a une lumière… elle est à l'intérieur de toi… ferme les yeux, tu la verras… »
Une petite fille de cinq ou six ans, qui se frottait les yeux de sommeil, tendit sa petite main et la mit dans celle de l'idiot.
« Ferme les yeux, tu la verras… c'est celle de l'ange qui veille sur toi… c'est la lumière du jour de demain… »
Le père du garçon, ému, prit l'autre main de son fils et la serra fort. Sa mère, à son tour, prit celle de son mari et posa la tête sur son épaule. « Chante, mon enfant, dit-elle doucement.
— … C'est la lumière du jour de demain… qui sera ton jour, mon trésor… parce que le noir est déjà une lumière à l'intérieur de toi…
— … Parce que le noir est déjà une lumière à l'intérieur de moi… », répétèrent les enfants sur le campo del Ghetto, comme le voulait la chanson.
Et les parents leur firent une caresse et les prirent par la main pendant que l'idiot chantait la fin de la chanson : « … Parce que le noir est déjà une lumière à l'intérieur de nous… parce que l'agneau a retrouvé son troupeau… Dors, mon amour, dors… n'aie pas peur, mon ange… parce qu'il n'y a pas de peur dans la lumière ».
L'un après l'autre, en silence, dans ce nouveau silence, tous les membres de la communauté se prirent par la main, sans se soucier de savoir qui était leur voisin et sans détacher leurs yeux des grandes portes barrées, et ils formèrent une chaîne qui n'avait ni début ni fin.
Alors la voix du rabbin s'éleva, émue et grave : « Demain, à l'aube, quand ils ouvriront, nous serons de nouveau une multitude. Mais ce soir nous ne sommes qu'un."
Un grand moment d'Histoire servi par une grande plume.....
Un grand moment de noirceur servi par une écriture lumineuse.....
Un grand moment de douleur qui devient poésie mélancolique....
Bref ce fut une beau moment passé avec
les Enfants de Venise....
Mais ce fut encore plus beau avec l'idée de cette fille qui a touché les étoiles.....
Et je retiens ces mots de Reina la magicienne "L'amour nourrit et engraisse. La haine consume et creuse. L'amour enrichit, la haine soustrait"