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sur 1280 notes
Ce roman, l'un des plus célèbres de son auteur, a connu une genèse atypique. Diderot et Grimm souhaitaient faire revenir à Paris l'un de leurs amis, le marquis de Croismare. Comme ce dernier s'était beaucoup intéressé à l'histoire de Marguerite Delamarre, une jeune religieuse qui souhaitait être relevée de ses voeux, ils ont imaginé de lui écrire des lettres en provenance d'une jeune femme dans une situation proche, qui lui demandait son aide. le fin marquis ne s'est pas laissé prendre, et les lettres se sont arrêtées. Mais Diderot a repris cette situation, et en a fait un roman. Ce dernier paraît entre 1780 et 1782 dans Les Correspondance littéraires, une sorte de revue pour quelques happy few, constitués essentiellement de souverains. C'était la seule possibilité de faire publier l'ouvrage, qui n'aurait jamais passé la censure. le livre ne sera publié en volume qu'en 1796, après le Révolution et la mort de son auteur, et connaîtra un certain succès.

Le roman est à la première personne, Suzanne Simonin, la narratrice s'adresse à un certain marquis C… pour lui demander son aide. Pour l'intéresser à sa situation, elle lui fait le récit de sa vie. le roman à proprement parlé est suivi d'un post-scriptum, dans lequel Suzanne met quelque peu en cause son texte, et enfin par une préface, dans laquelle l'auteur explique la supercherie originale à l'origine du roman (les lettres au marquis de Croismare).

La trame narrative du roman est connue. Suzanne est destinée par sa famille au couvent, alors que ses deux soeurs sont richement dotées pour se marier. Elle n'a aucune vocation religieuse, résiste et refuse une première fois de prononcer ses voeux. Revenue dans sa famille, elle subit de très fortes pressions, sa mère finit par lui avouer qu'elle née d'un adultère. Sa mère ne veux donc pas que la fortune de son mari lui revienne, et aimerait qu'elle puisse en quelque sorte lui permettre d'expier par la prière son péché. Suzanne finit par accepter plus ou moins son destin, prononce ses voeux dans un état second. Pendant quelques temps, la bienveillance et l'humanité de la mère supérieure de son couvent rendent son sort plus supportable, mais à la mort de sa protectrice, elle se retrouve en butte à l'hostilité de la nouvelle supérieure, et décide de demander l'annulation de ses voeux. Elle est alors persécutée de toutes les manières possibles dans le couvent. Elle perd son procès, mais obtient de changer de lieu de réclusion. A Saint-Eutrope elle devient une sorte de favorite de la mère supérieure, mais cette dernière éprouve pour elle une attirance sexuelle et la poursuit de ses assiduités. Suzanne s'y refuse, et la supérieure sombre dans la folie. Suzanne s'échappe du couvent, mais sa situation est des plus précaires et elle écrit donc au marquis, en espérant une aide dans une situation sans issue, où elle peut être reprise à n'importe quel moment.

Il s'agit d'un roman philosophique et pathétique, qui dénonce une situation inhumaine et lutte pour l'émancipation. C'est une critique des couvents, qui sont présentés comme des institutions qui coupent l'être humain de la société et prohibent la sexualité, les deux étant présentés comme contre nature. le roman montre ce que devient une personne placée dans cette situation et joue sur le pathétique, sur l'émotion. Suzanne est traitée d'une manière très cruelle, elle subit des sévices physiques, une pression morale. Il s'agit de toucher le lecteur, en présentant des tableaux d'une suite d'horreurs sans fin.

Mais le livre comporte une indéniable composante érotique : Suzanne est vue comme séduisante, attirante, elle est souvent décrite comme telle par des tierces personnes. Certaines des scènes à Saint-Eutrope sont très suggestives, les scènes mêmes des sévices qu'elle subit peuvent avoir un aspect d'exhibitionniste. Diderot interroge d'ailleurs la nature de la confession de Suzanne : s'agit-il de toucher le destinataire de la lettre par le récit pathétique et faire appel à la vertu, la probité, ou aussi séduire, éveiller un intérêt qui ne serait pas uniquement charitable ?. de même Diderot interroge l'intérêt du lecteur : s'émeut-t-il au récit de malheurs terribles, d'une personne innocente et naïve, ou prend-t-il aussi un certain plaisir à assister à des scènes qui mettent en présentent une jolie jeune personne, dans des situations dont certaines sont pour le moins équivoques ?. Enfin la préface (placée tout à la fin du récit) met un second degré, une ironie dans le texte : il s'agissait à la base d'une supercherie, d'une tentative de mystification.

C'est donc un texte complexe, qui peut permettre des lectures et des interprétations très différentes, selon les lecteurs et l'angle privilégié.
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J'avais mal saisi, lycéenne, toute la portée philosophique de cette oeuvre.
Je l'avais lue alors comme un incontournable de la littérature classique (à l'instar du film "Thérèse" qui m'avait passablement ennuyé). Je devrais un jour relire ce livre à tête reposée...
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Avec La Religieuse, Diderot s'attaque aux institutions de la religion, sans critiquer cette dernière directement et sa dimension spirituelle. C'est à travers la figure de Suzanne Simonin, jeune femme qui est forcée d'entrer au couvent et de prononcer ses voeux, que l'auteur fait de son roman une oeuvre anticléricale. Mais bien plus que cela, il condamne les couvents, lieux, selon lui, qui écartent les individus de la société et pervertissent les sentiments naturels sans cesse écrasés et refoulés par ce système. Entiché de liberté, le personnage demande de retourner dans le monde, mais on lui refuse l'accès. Foudroyé par sa communauté et sa mère supérieure, parce qu'elle renie ses voeux, elle se voit transférée dans un autre couvent après un combat judiciaire, dans lequel sa nouvelle mère supérieure lui porte une tendresse exacerbée et des plus ambiguë.

Pour ce roman, Diderot s'est inspiré d'une mystification, celle de l'histoire de Marguerite Delamarre, une religieuse ayant été la victime de la cupidité de la famille et des couvents. Il a eu vent de cet événement par le biais d'un de ses amis, le marquis de Croismare, qui s'était intéressé au sort de la jeune femme. Diderot a eu la plaisanterie de lui adresser des lettres soi-disant écrites par la religieuse qui lui demandait du secours pour l'aider à sortir de ce cloître. Tombé dans le piège, une correspondance s'est entamée et pris par son propre jeu, l'écrivain à dévelfopper son histoire où ce joue un jeu complexe entre la vérité et la fiction, entre l'illusion et l'ironie. En travaillant de façon malléable son sujet d'origine, il met en vigueur toute sa conception de décanter le mélange trouble du réel et de la fiction, et de créer une fiction prépondérante qui fait un trait sur les pouvoirs artificiels de l'illusion. On pourrait y voir une farce cruelle où se mêlent humour et colère, pathos et cynisme, sadisme et tendresse, philosophie et érotisme. Et, en effet, Suzanne vit une réelle passion christique, cette dernière, à travers ses mémoires (du moins le récit nous est donné comme tel) transmet sa douleur, sa souffrance, ses privations, ses châtiments et ses injures. A travers la voix de Suzanne, c'est bien Diderot lui-même qui parle et impose dixit l'auteur : « Une effrayante satire des couvents ». Satire donc, mais aussi le livre est la voix d'une vérité engagée contre la complaisance carcérale et exigeante des familles et de l'Église.

Mais n'oublions pas que ses mémoires servent à vouloir attendrir le marquis, montrer qu'elle est une victime exemplaire au milieu de ces scandales chaotiques. Ce sont des mémoires subjectives, il se loge alors au sein de l'oeuvre cette ambiguïté entre l'objectivité d'une chronique et un plaidoyer écrit par intérêt. le personnage est plein d'illusions et d'ignorances, comme sa naïveté à ne pas comprendre ce que peuvent faire les femmes entre elles et à croire que l'extase sexuelle est un symptôme physiologique. Mais fait-elle exprès de ne pas savoir ce que c'est pour prouver son innocence idéale afin de mieux attendrir le marquis ? Est-elle rusé ou est-elle si crédule qu'elle veut le montrer ? Là se trouve toute l'ambiguïté provenant de son ignorance volontaire ou non, face à des cas comme l'homosexualité féminine.

Nous pouvons découper le roman en trois parties : la première se concentre sur le drame familial de Suzanne. On apprend que ses parents la méprisent au profit de ses deux soeurs, ils se comportent en bourreaux contre elle. La malheureuse apprend que sa mère culpabilise d'un péché qui pèse dans la balance de son cheminement. Cette dernière a eu Suzanne avec un autre homme, elle est donc une enfant illégitime dont le soi-disant père n'est finalement qu'un étranger la détestant. La mère veut absolument mettre sa fille dans un couvent afin de nettoyer égoïstement son péché, mais aussi pour éviter de partager l'héritage entre les soeurs. le protagoniste devient alors la victime expiatoire de la famille, elle se sacrifie sans que jamais elle n'accepte réellement ce sacrifice.

La deuxième partie est celle du séjour dans le monastère de Longchamp. Elle qui était déjà dans une prison au sein de sa famille, elle subit le même sort où les religieuses mettent en oeuvre leurs missions de manière glaciale. L'auteur instaure une angoisse profonde dans l'acceptation forcée des voeux du personnage, notamment par le corps qui se libère dans des symptômes morbides. Entre évanouissement, démence, folie, séquestrations, violences, crises nerveuses, colère ou encore idées noires sur le suicide et ses tentatives, l'auteur développe sur des sujets tabous tout au long du roman. C'est progressivement et dans un bel équilibre que Diderot instaure ces sujets explicites, car la partie débute d'abord comme l'idée d'une capture qui deviendra ensuite persécution. Protégé au début par la mère supérieure Moni, une femme plein de bonté et d'indulgence (mais qui reste un monstre de voyance et de prophétie), avec qui elle tient une union harmonieuse, cette protection sera temporaire, suite au décès de celle-ci. Il découle à partir de là un enfer ténébreux pour Suzanne où elle sera tenue à l'écart, emprisonnée, exécutée symboliquement, comme si elle avait Satan en elle. Mais les persécutions ne pas sont gratuites, car elles sont les réponses aux initiatives qu'entreprend Suzanne pour briser ses voeux. Elle se révolte contre la méchanceté des soeurs, mais on y retrouve une certaine complaisance et une forme de contentement à se délecter dans la faiblesse, pour on imagine, mieux toucher le marquis. Cela fait sentir une contradiction entre la façon qu'à la femme de s'élever spirituellement et son sacrifice chrétien, et son obsession de vouloir s'évader, tiraillé entre vouloir vivre et mourir. le personnage de Diderot devient de ce point de vue un vrai sujet dramatique et passionnel.

Le transfert de Suzanne au couvent de Saint-Eutrope, près d'Arpajon, peut être vu comme la troisième partie. Ce couvent se veut comme le contraire de Longchamp où tout était sinistre, austère et froid, car celui-ci est plus aimable, sensuel et confortable. Dans ce lieu, on joue, on rit, on fait de la musique et de la broderie, on mange et on boit, on s'épanouit dans un bien-être. Mais pourtant, le cauchemar continue, car la nouvelle mère supérieure, qui succède à une mère supérieure illuminée (Moni) puis une mère supérieure, cruellement sadique et superstitieuse (Sainte-Christine), est une maniaque sexuelle et complètement névrosée. C'est dans cette partie que Suzanne joue de sa soi-disant innocence et qu'elle est prompte à jouer la comédie. Finalement, elle arrive à s'enfuir, mais sa vie continue dans une misère déchirante, presque admise à l'hôpital et violée par un moine, elle devient une pauvre lingère. Ses mémoires se terminent sur un appel à l'aide où elle fait un subtil chantage au suicide, démontrant encore l'ambiguïté de ce personnage qui pour conclure se dit un peu coquette, mais naturellement et sans artifice.

Pour conclure, La Religieuse, à travers sa fiction pathétique et son argumentation passionnelle, fait une critique satirique des couvents, lieux chers aux institutions de la religion où derrière son apparat de lieu sacré, se loge les haines les plus abjectes. Un endroit également qui était pour les familles bourgeoises et de la haute noblesse un moyen de faire disparaître des enfants considérés comme indignes. Diderot veut démanteler le confort moral et hypocrite (souvent tourné autour de la question de l'argent) entre le pouvoir, l'Église et la famille. C'est également une oeuvre philosophique mettant en exergue la question de l'être humain (et spécifiquement de la femme dans ce cas) contraint à vivre contre sa nature et la nature humaine dans un lieu infernal et clos où l'humanité ne peut pas y entrer. Pour Rousseau, ce monde clos et protégé de l'extérieur serait une aubaine, car pour lui, l'humain n'est pas un être social (il a une idée métaphysique de l'Homme et de sa nature) tandis que pour Diderot, qui pense tout le contraire, cette vision close du monde est un cauchemar. Lui ne voit que les contradictions, car l'Homme prend sens seulement dans sa relation avec autrui. S'il cherche à s'enfermer, il se détruit inéluctablement, traversant les pires étapes de l'existence : la mélancolie, l'obsession du suicide, la diffamation, la haine, la cruauté, la frénésie sexuelle... Et si même dans l'oeuvre les femmes ne sont pas cruelles comme à Longchamp, elles sont des êtres sans substances comme à Saint-Eutrope. Diderot reproche alors à la religion d'avoir ignoré la nature sociable de l'Homme au profit du salut individuel qu'elle a forgé comme un mythe.

Enfin, le plus passionnant est le cas ambigu de Suzanne, personnage pathétique qui touche lorsqu'elle demande à Dieu sa libération, mais aime jouer sur sa Passion christique (pour probablement attendrir le marquis), comme si malgré elle, l'esprit du cloître l'avait gangréné ou parce que sa coquetterie naturelle lui forme une falsification mystique. Elle représente une victime comme tant d'autres que l'on trouve dans le roman et pas forcément celles qui ont été contraintes d'y être amenés. À travers ces mères supérieures ou les soeurs proches d'elle, l'auteur fait le répertoire des névroses de ses femmes, dépassées par leur vocation, qui s'exorcise par l'aliénation morbide du cloître. Nous pouvons dire que La Religieuse est une oeuvre à la violence profondément tragique et funèbre, mais qui garde toujours sa pincée satirique et ironique, rhétorique et philosophique, afin de toujours nuancer un propos visionnaire.
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Une claque avant-gardiste et réfléchie! Je m'attendais à quelque chose d'intéressant mais un peu longuet sur les bords, en raison de l'ancienneté. Mais l'actualité à laquelle fait écho La Religieuse de Diderot mérite bien plus que mon attention de lecteur qui veut lire des classiques.

Ce qui m'étonne le plus, avec cette oeuvre, c'est qu'elle soit vraisemblable et cohérente alors que c'est un auteur masculin faisant la narration du point de vue d'une femme.

Malgré son manque d'action qu'on ne lui reprochera jamais, le roman est si "léger", d'un style si fin; que vous l'achèverez en moins de deux soirées.
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J'ai récemment vu le film de Guillaume Nicloux avec la superbe Isabelle Huppert incarnant la mère supérieure… j'ai donc été curieuse de connaître l'ouvrage dont il était tiré, sachant être de Diderot des Lumières!

Je n'ai pas été déçue, ce roman est une vraie dénonciation d'un sujet peu documenté, tabou: les abus dans l'Eglise (au XVIIIe, certes, mais toujours actuel, que l'on retrouve notamment dans des documentaires Arte). Finalement qu'est ce que le personnage de la bonne-soeur, que l'on ne connaît pas, que l'on fantasme ou caricature, vivant dans un monde parallèle fait de spiritualité et de vivre ensemble communautaire? N'est-ce pas le personnage le plus respectable et le plus mystérieux vivant parmi les hommes? N'est-elle pas liée à Dieu et à la spiritualité métaphysique, d'une façon inaccessible pour nous communs des mortels?

Diderot pose la question de la prise du voile forcée ou sous pression, contraire au dévouement entier de l'individu à l'institution. Au delà du scandale familial, c'est une grave incrimination pour l'Eglise.
De plus, l'auteur décrit, inspiré par des faits réels, les tourments psychologiques, physiques et sexuels pouvant être infligés par des soeurs, sur des soeurs. La communauté joue un grand rôle, par le conformisme, à l'exclusion et le lynchage d'un individu. Ainsi, le couvent semble être une métonymie du fonctionnement de la société…

Finalement, ce roman nous permet de relativiser sur les couvents, lieux du meilleur de l'Humanité, mais pouvant en certains cas permettre le pire.

Ce livre m'a surtout permis de découvrir Diderot, à l'écriture fluide, claire et intrigante. Pour un ouvrage des Lumières, il représente tout à fait ses valeurs! Je vous le conseille donc, livre juste et toujours actuel dans sa relation à l'autre, ou plutôt de ce que l'Homme peut faire à l'autre…
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Si le XVIIIè siècle m'était conté … tel était le thème de novembre chez les classiques c'est fantastique. Pour illustrer le propos, j'ai choisi « La Religieuse » de Diderot, un roman-mémoires édité à titre posthume en 1796. Je n'en avais lu que quelques extraits au cours de mes études puis j'ai oublié de le lire.

Que dire de ce roman sinon qu'il est extraordinaire tant il est moderne dans sa construction et outrecuidant par sa liberté de penser, d'écrire et de réflexion sur la société de l'époque. Suzanne Simonin est une jeune fille de très bonne famille, peut-être noble, belle et éduquée comme il convient : elle joue du clavecin, elle sait lire les partitions musicales, a une très belle voix et est cultivée. Elle a tout pour plaire, un peu trop car, pour éviter qu'elle ne fasse de l'ombre à ses soeurs, ses parents s'empressent de la destiner au couvent, la réclusion à perpétuité pour se débarrasser des rejetons encombrants. On apprend très vite qu'elle est une enfant adultérine et qu'elle est donc promise au couvent pour expier la faute de sa mère. Suzanne, passeport pour la rédemption de sa mère ? le problème est que Suzanne n'a pas la vocation, bien qu'elle croie en Dieu, et refuse son enfermement. Elle sera d'abord envoyée au couvent de Longchamp où elle sera sous la tutelle de deux Mères Supérieures : Mère de Moni, la bienveillance incarnée dont le seul défaut est d'être un peu trop mystique, elle parvient à adoucir la réclusion de la jeune fille ; Soeur Sainte-Christine succède à Mère de Moni et l'atmosphère du couvent change radicalement. Très vite la nouvelle Mère Supérieure prend en aversion les favorites de sa prédécesseur qui subissent maltraitance physique et morale. Suzanne vit un calvaire sous la houlette brutale de Soeur Sainte-Christine assistée de nonnes, dont elle encourage tous les bas instincts, au point de frôler la folie. Comme Suzanne a porté plainte contre son couvent, tout au long du procès, elle subira moult violences et humiliations. Certaines nonnes prennent, sans état d'âme, l'habit du bourreau pour torturer mentalement et physiquement la jeune rebelle. Las, pour notre héroïne, elle perd son procès. Cependant, elle obtient la grâce de changer de couvent et est envoyée au cloître d'Arpajon où elle sera accueillie avec chaleur et bienveillance. La Mère Supérieure peut être aussi libérale que soudainement austère, elle a un caractère changeant et des humeurs étranges. Après les tortures subies sous les ordres de Soeur Sainte-Christine, Suzanne se voit comblée de caresses, souvent languides, par la Mère Supérieure de Saint-Eutrope, et aussi jalousée par une ancienne favorite. Toujours désireuse de quitter l'état de religieuse, Suzanne n'aura de cesse d'appeler à l'aide les personnes l'ayant assistée dans son procès, des personnes éclairées par les idées nouvelles des Lumières, des personnes portées par une philosophie de tolérance et de bienveillance envers les abus de l'Eglise. Un soir, elle s'évade et s'enfuit pour Paris où elle cherche une condition pour subvenir à ses besoins, une condition autre que dans une maison de tolérance. Suzanne est confrontée à la dure réalité que vivent les femmes loin de toute protection juridique.

« La Religieuse » de Diderot est un véritable procès contre l'enfermement conventuel auquel les familles aisées obligeaient leurs filles ou leurs fils. Dans le monde de la clôture, les Supérieurs ont tous les pouvoirs ce qui peut amener certains à laisser s'exprimer leurs pires instincts. La cruauté mentale, les tortures physiques, les humiliations font sombrer dans la folie celles qui n'ont pas l'heur de plaire. Il y a une scène terrible, celle où Suzanne interdite de messe attend, épuisée, à la porte, elle s'est couchée sur le dallage et quand les soeurs sortent, la Supérieure les invite à marcher sur le corps de la jeune fille.

« J'étais couchée à terre, la tête et le dos appuyés contre un des murs, les bras croisés sur ma poitrine, et le reste de mon corps étendu fermait le passage ; lorsque l'office finit, et que les religieuses se présentèrent pour sortir, la première s'arrêta tout court ; les autres arrivèrent à sa suite ; la supérieure se douta de ce que c'était et dit :

« Marchez sur elle, ce n'est qu'un cadavre. »

Quelques unes obéirent et me foulèrent aux pieds ; d'autres furent moins inhumaines ; mais aucune n'osa me tendre la main pour me relever. » (p 294)

C'est vivre un enfer dans un lieu consacré à Dieu que d'être privé de tout : linge de toilette, eau, nourriture, rosaire, bible, accès aux cabinets d'aisance, absence de literie et de vêtements de rechange et vivre dans la plus grande solitude.

Diderot dénonce une autre part d'ombre observée dans les couvents : les tendresses dites contre nature. La Supérieure de Saint-Eutrope s'entiche de ses moniales, les aiment plus que de raison. Suzanne est désarçonnée par ce comportement sans pour autant penser à mal, elle qui ne fut pas aimée de sa mère et fut torturée par Soeur Sainte-Christine. Elle ne peut rejeter la tendresse intrusive de sa nouvelle supérieure.

« La Religieuse » est un réquisitoire envers la violence faite aux moniales qui n'ont pas choisi leur état. L'enfermement des personnes provoque des dérives allant du mysticisme au sadisme le plus odieux en passant par les amours contre nature, autrement dit l'homosexualité. La religion et les dogmes peuvent couper les plus croyants de la vie réelle. Or, en enfermant le corps, n'emprisonne-t-on pas l'esprit au point qu'il n'ait plus accès à son libre-arbitre ? Perdre sa liberté individuelle est une catastrophe pour Diderot pour qui elle est sacrée. Osa-t-il franchir le pas, avec « La Religieuse », de dire que la religion est un moyen d'aliéner l'esprit ? S'il ne l'exprime pas de manière explicite, certains passages invitent à le penser d'autant que chaque débordement de la part des mères supérieures les conduisent à la mort, teintée de folie.

Il n'empêche qu'au-delà des accusations envers une société fermée aux bruits et aux évolutions du monde intellectuel et scientifique, « La Religieuse » est un roman, un vrai roman, qui se lit facilement grâce aux émotions que les mots et le style de Diderot font passer. Les personnages sont bien incarnés, on éprouve de l'empathie ou de la détestation pour eux, alors que le roman en est à ses prémices, les dialogues rondement menés, le tout est doté de la force d'évocation des mots et du rythme des phrases. J'étais abasourdie devant la cruauté, j'en suis sûre à peine exagérée, de Soeur Sainte-Christine digne d'un démon officiant dans un goulag ou un camp de concentration.

« La Religieuse » a scandalisé, forcément, à sa sortie au même titre que le film de Rivette, en 1966, qui fut censuré. C'est qu'il y a dans ce brillant texte beaucoup de vérités qui dérangent.
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Livre libertain au sens premier du terme, il s'agit d'une critique acide de l'institution monacale.
La jeune Suzanne Simonin est une enfant naturelle qui pour expier la faute de sa mère va se retrouver cloîtrée de force et entrer dans les ordres.
Le livre est rude, certaines scènes sont à la limite du supportable, en particulier la partie avec la deuxième supérieure qui confère à des scènes de torture.
Un texte qui remet en question le rôle social du couvent, l'hypocrisie de la religion, une odde à la liberté individuelle.
Cela paraît très gros, mais vu le niveau de connaissance du sujet par l'auteur, on n'imagine que la réalité était probablement pire que la fiction.
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La Religieuse est un ouvrage qui m'a toujours émerveillé car en effet ,comment tant de libre pensée , de liberté d'écrire et de réflexion de manière publique? La publication fut possible alors que l'église était souveraine et que le pouvoir était absolutiste .
Offrir des portraits vitriolés et nuancés de Mères supérieures à la sensualité débordante et entrainante, ou bien tellement ascétique que au-delà de toute humanité ou encore cupide vénale et jalouse . Ces motifs sont emblématiques mais les personnalités sont beaucoup plus globales et baignent dans un questionnement très fin à plusieurs niveaux. Les études des personnages sont portées par beaucoup de finesse. Par ailleurs je précise que les films qui furent tirée de ces pages remarquables , interdiction ou non, sont des oeuvres hautement recommandables.
Sur ce texte il faut dire ce qu'il n'est pas , d'abord et avant tout . Il n'est pas un brulot endiablé contre l'institution monastique. le personnage principal , la religieuse n'a rien d'hystérique ou de vindicatif mais s'enracine dans l'expérience . La force du raisonnement de l'auteur vient de son questionnement et de ses arguments. Dans ce cadre herméneutique très net personne n'est diabolisé ou encore victimisé . Les défauts de moralité et le statut de victime n'ont pas besoin de pathos pour être éloquents et pour enrichir la réflexion autour de l'institution monastique. Pour réfléchir aussi sur la nature humaine quand elle se dévoue à la persécution ou quand les comportements comme les environnements créent des victimes malgré l'indéniable intégrité de certains ecclésiastiques .
Je préfère discuter des racines qui permettent ce climat autorisé de critique ouverte de l'univers monastique , car le texte de la Religieuse est déjà commenté ailleurs. Quelles sont donc les racines de la liberté de penser qui est la nôtre ? Il ne faut pas être naïf et s'imaginer qu'un jour un courageux quidam lève l'étendard de la liberté. Fondamentalement même quand c'est interdit , si l'étendard se lève ,c'est que la société l'autorise ou bien l'a rendu possible.
Le christ dit à Pilate : « Mon royaume n'est pas de ce monde » dès le début l'espace laïc est posé en chrétienté . Lorsque le pouvoir chrétien fait son apparition le princeps (roi , empereur … ) tire sa légitimité de Dieux par le sacre et si le pouvoir politique a la responsabilité de protéger l'Eglise et que l'église a en charge les âmes .Tous le monde doit néanmoins se conformer aux obligations coutumières ou législatives laïques. Et de fait à la sensibilité du Siècle. Aux obligations qui concernent donc, ce qu'on appelle le Siècle. L'âme du fait de sa nature individuelle est dotée (en chrétienté) par le protestantisme du libre arbitre . La contradiction de ce postulat (par la contre-réforme catholique) repends bon gré mal gré l'idée que l'âme comprend dans sa nature une liberté ontologique à choisir et une capacité à connaitre (et donc a être responsable) .La notion de justice est d'origine aristotélicienne , elle repose sur l'idée que le comportement juste et la finalité de la justice , reviennent à s'assurer que tous les êtres reçoivent justement ce qui leur revient du fait de leur nature. dont découle de fait leur statut de justiciable et le fondement de leur droits et nullement une égalité des âmes . Cependant alors que l'âme s'étoffe, ses droits s'étoffent en proportion et la justice (sa nature conceptuelle) s'élargit également en proportion, bien au-delà des nécessitées morales minimales inspirées au départ par la religion et la philosophie aristotélicienne.
Le pouvoir politique très décentralisé dans les faits sous l'ancien régime, doit nécessairement tenir compte des émotions populaires qui sont dictées par des nécessités qui ne sont pas seulement alimentaires ou matérielles , mais aussi qui relèvent de l'idée que l'obligation du Bien Gouverner autorise les justiciables à s'emparer de la quête de justice en cas de défaillances ou de détournement du politique. Enfin et historiquement , toute institution ecclésiastique est Inspirée par nature , mais la société et le pouvoir politique ,ont en charge avec la hiérarchie ecclésiale, de s'assurer que ces institutions chrétiennes soient conformes aux exigences morales qui sont façonnées par les principes théologiques mais par le Siècle aussi . C'est ainsi que nait un concept de Sens commun et de liberté ontologique qui autorise les concepts directeurs qui portent le juste et la vie en collectivité. Les Fabriques villageoises , anciennement légitimes ,traditionnelles en milieux rural incitent originellement la liberté à se formuler et à s'exprimer dans la vie politique locale sur des problématiques assez circonstanciées concernant la viabilité des terroirs et territoires. Ces problématiques assez vastes néanmoins encouragent aussi au file de l'histoire, l'idée de la nécessité de respecter une égalité proche du sens où nous l'entendons aujourd'hui . C'est ainsi que nait en partie de la pratique séculaire du monde rural , le concept d'un droit naturel individuel et le droit de l'exprimer, de l'exiger et de le réfléchir par le débat et le consensus. Les origines de la liberté de Diderot se nichent en partie dans ces fabriques rurales et elle finira de plus en plus étendue à un large public .
Je m'arrête ici en espérant avoir contribué à favoriser la compréhension sur le contexte et dans quelles dynamiques sociales et historiques s'enracinent le cri du coeur, très raisonné , même si grandement émotionnel de Diderot et sur les circonstances qui l'autorise à être libre.
En effet émotionnel car le texte s'inspire du parcourt notoire d'une none qui a existé véritablement et l'auteur a vu une de ses soeurs perdre sa raison en milieu monastique. Les réflexions de l'auteur ne portent pas seulement sur l'éthique et la morale, mais aussi la question tour autour des logiques institutionnelles et de leurs effets qui découlent des aspects structurels des institutions conventuelles.
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Au XVIII ° siècle, comme il n'y a pas si longtemps : quand une famille, un mari ou autre voulait se débarrasser d'une jeune femme : c'était le couvent ou l'asile de fous !
En effet, dans ce pamphlet anticlérical de Denis Diderot, Marie-Suzanne a 16 ans, elle est belle, intelligente mais elle est une enfant adultérine de la famille Simonin, et sous des prétextes financiers sa mère veut éloigner celle qui lui rappelle sa faute en la poussant contre son gré à prendre le voile !
Elle commence son noviciat au Couvent de Lonchamp et informe sa Soeur Supérieure de son intention de retrouver sa liberté mais cette dernière est cupide et soutient les désirs de la mère de Marie-Suzanne ! Après le décès de cette dernière : c'est une Supérieure illuminée qui va lui pourrir la vie, d'autant qu'elle sait que ses mémoires ont été déposés chez Me Manouri ! Elle va subir les pires sévices physiques et morales, des humiliations, des mortifications de cette Mère, mais aussi de ses " favorites ". Blessée, affamée, isolée, rejetée : elle va continuer de se battre pour éviter le voile et être déchargée de ses voeux arrachés contre son gré ! Mais, le roman de Diderot prend une autre dimension quand la Supérieure de Saint-Eutrope, ou son avocat a pu la mettre à l'abri des exactions de Lonchamp s'éprend d'elle et profite de la naïveté de la novice pour donner libre cours à son lesbianisme !
Diderot, le zélateur de l'Encyclopédie a tout aimé, tout étudié : de la philosophie jusqu'aux arts mécaniques sans oublier les Lettres..il a mis 22 ans pour écrire ce pamphlet qui n'a été publié qu'en 1796 après sa mort ! Certes il a voulu dénoncer les conditions de vie dans les couvents, d'autant que sa soeur Angélique en est morte folle, mais aussi l'atmosphère perverse de ces religieuses qui auraient du se vouer aux prières et à Dieu et qui se déchiraient comme des mantes ( religieuses ) ...
Un roman d'une grande modernité dans un style brillant, simple et incisif ! A lire ou à re-lire pour apprécier la langue française du siècle des Lumières..
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Diderot fait toujours preuve d'ironie et de mesquinerie avec ses personnes. Ce sont des mémoires fictifs de Suzanne Simonin, dit Sainte-Suzanne.
Tout est bien mener du début à la fin !
Lecture vraiment agréable, c'est aussi une lecture assez rapide.
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