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sur 1282 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Bien-sûr, ce récit est une fiction, puisque le témoignage de Soeur Ste Suzanne, alias, Suzanne Simonin, est destiné à être lu par un certain marquis de Croismare dans le but de l'attendrir et le faire revenir de Normandie afin d'égayer la bonne société parisienne.
Toutefois, comme le signale l'auteur de la préface, Robert Mauzi, « que de patrimoines furent sauvés par une vocation opportune ; et que d'enfants naturels refoulés dans le néant des cloîtres ! » Cette pauvre Suzanne Simonin rassemble à elle seule, les deux conditions, enfant naturel devant expier les fautes de sa mère, et bien gênante pour la succession. En lisant les horreurs perpétrées par les soeurs de Longchamps, j'ai été tentée de me dire qu'il ne s'agit que d'une fiction, et que Diderot ajoute du sensationnel au témoignage de Suzanne, mais en fouillant un peu, on apprend que ce récit est inspiré de l'histoire de Marguerite Delamarre, religieuse qui alimenta les conversations vers 1750, et que Diderot a pu s'inspirer de sa propre soeur, entrée au couvent et devenue folle.
Si je m'en tiens au roman sans trop me poser de question, je peux affirmer que cette lecture m'a fait passer par des sentiments de pitié, de révolte, de colère, de tristesse. La mère supérieure de Longchamp est un monstre. certes, au XVIIIème siècle, on ne parle pas de psychologie, toutefois on était capable d'empathie et de compassion. Rien n'excuse donc le comportement de tels tortionnaires. le tort de Suzanne, ce fut de ne pas se sentir appelée au affaires religieuses pour son plus grand malheur, car quel être humain est capable de résister aux souffrances physiques et morales qu'elle se voit infliger ? de ce point de vue, ce roman est marquant et ne peut laisser indemne.


Faut-il y voir des prémices de rébellion contre la religion ? La révolution française approche, les philosophes remettent en question le fait religieux et s'élèvent contre l'oppression générée par l'Eglise. Oppression plus qu'évidente dans le roman de Diderot, le couvent y devient un microcosme de l'Eglise, avec sa hiérarchie, les croyances quelle insinue, le contrôle des pensées des individus, l'austérité, l'abus de pouvoir lié à cette hiérarchie.


le personnage de Suzanne est très intéressant, Jeune femme cultivée, intelligente, certaine de son « non engagement », résolue à défendre ses idées contre vents et marée, argumentant finement pour le plus grand plaisir du lecteur, résistante et parfois ingénue, elle constitue à elle seule toute la trame du roman.


Ce récit, s'il peut parfois heurter la sensibilité d'un lecteur, n'en demeure pas moins un roman incontournable bien qu'il ne soit pas toujours de lecture facile, certaines tournures de phrases pouvant sembler ambiguës au gens du XXIème siècle que nous sommes, et le vocabulaire propre au cloître et à la pratique religieuse difficile à assimiler.


Je ne regrette pas ce moment de lecture édifiant renfermant d'intéressantes notions de philosophie ainsi que des dialogues très riches et intéressants.

Challenge multi-défis

Lien : https://1001ptitgateau.blogs..
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Au milieu du 18ème siècle, une jeune fille, Suzanne Simonin est obligée de rentrer au couvent.
Ses parents évoquent des difficultés financières pour assumer son avenir mais en réalité, Suzanne est une enfant illégitime et sa mère désire expier son "péché".
La première mère supérieure se montre compréhensive mais meurt bientôt au grand malheur de Suzanne qui sera dirigée par une véritable harceleuse.
Pour la future nonne, c'est un vrai calvaire.
Elle intente un procès contre son sort injuste, est transférée au couvent saint-Eutrope où c'est encore pire.
La mère supérieure tente de la séduire et sombre dans la démence.
La jeune soeur continue sa lutte et espère être délivrée par le marquis de Croismare.
A travers les mémoires de Suzanne, on lit évidemment les réflexions de Diderot sur la vie cloîtrée des religieuses et leurs déviances.
Etonnant qu'il ait pu se permettre une telle publication pour l'époque.
Il faut dire qu'il tirait son inspiration d'un cas qui avait soulevé des discussions dans les salons parisiens.
Avant de lire le livre, j'avais vu le film du Belge Guillaume Nicloux, paru en 2013. Pour moi, un film remarquable qui arrive à nous faire vivre en empathie avec la victime d'un tel traitement.
Le livre est accessible à la lecture pour nous en 2017 ( en édition folio). Il faut que je tire cela au clair. Peut-être a-t-il été simplifié, remis à jour?

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La Religieuse est un ouvrage qui m'a toujours émerveillé car en effet ,comment tant de libre pensée , de liberté d'écrire et de réflexion de manière publique? La publication fut possible alors que l'église était souveraine et que le pouvoir était absolutiste .
Offrir des portraits vitriolés et nuancés de Mères supérieures à la sensualité débordante et entrainante, ou bien tellement ascétique que au-delà de toute humanité ou encore cupide vénale et jalouse . Ces motifs sont emblématiques mais les personnalités sont beaucoup plus globales et baignent dans un questionnement très fin à plusieurs niveaux. Les études des personnages sont portées par beaucoup de finesse. Par ailleurs je précise que les films qui furent tirée de ces pages remarquables , interdiction ou non, sont des oeuvres hautement recommandables.
Sur ce texte il faut dire ce qu'il n'est pas , d'abord et avant tout . Il n'est pas un brulot endiablé contre l'institution monastique. le personnage principal , la religieuse n'a rien d'hystérique ou de vindicatif mais s'enracine dans l'expérience . La force du raisonnement de l'auteur vient de son questionnement et de ses arguments. Dans ce cadre herméneutique très net personne n'est diabolisé ou encore victimisé . Les défauts de moralité et le statut de victime n'ont pas besoin de pathos pour être éloquents et pour enrichir la réflexion autour de l'institution monastique. Pour réfléchir aussi sur la nature humaine quand elle se dévoue à la persécution ou quand les comportements comme les environnements créent des victimes malgré l'indéniable intégrité de certains ecclésiastiques .
Je préfère discuter des racines qui permettent ce climat autorisé de critique ouverte de l'univers monastique , car le texte de la Religieuse est déjà commenté ailleurs. Quelles sont donc les racines de la liberté de penser qui est la nôtre ? Il ne faut pas être naïf et s'imaginer qu'un jour un courageux quidam lève l'étendard de la liberté. Fondamentalement même quand c'est interdit , si l'étendard se lève ,c'est que la société l'autorise ou bien l'a rendu possible.
Le christ dit à Pilate : « Mon royaume n'est pas de ce monde » dès le début l'espace laïc est posé en chrétienté . Lorsque le pouvoir chrétien fait son apparition le princeps (roi , empereur … ) tire sa légitimité de Dieux par le sacre et si le pouvoir politique a la responsabilité de protéger l'Eglise et que l'église a en charge les âmes .Tous le monde doit néanmoins se conformer aux obligations coutumières ou législatives laïques. Et de fait à la sensibilité du Siècle. Aux obligations qui concernent donc, ce qu'on appelle le Siècle. L'âme du fait de sa nature individuelle est dotée (en chrétienté) par le protestantisme du libre arbitre . La contradiction de ce postulat (par la contre-réforme catholique) repends bon gré mal gré l'idée que l'âme comprend dans sa nature une liberté ontologique à choisir et une capacité à connaitre (et donc a être responsable) .La notion de justice est d'origine aristotélicienne , elle repose sur l'idée que le comportement juste et la finalité de la justice , reviennent à s'assurer que tous les êtres reçoivent justement ce qui leur revient du fait de leur nature. dont découle de fait leur statut de justiciable et le fondement de leur droits et nullement une égalité des âmes . Cependant alors que l'âme s'étoffe, ses droits s'étoffent en proportion et la justice (sa nature conceptuelle) s'élargit également en proportion, bien au-delà des nécessitées morales minimales inspirées au départ par la religion et la philosophie aristotélicienne.
Le pouvoir politique très décentralisé dans les faits sous l'ancien régime, doit nécessairement tenir compte des émotions populaires qui sont dictées par des nécessités qui ne sont pas seulement alimentaires ou matérielles , mais aussi qui relèvent de l'idée que l'obligation du Bien Gouverner autorise les justiciables à s'emparer de la quête de justice en cas de défaillances ou de détournement du politique. Enfin et historiquement , toute institution ecclésiastique est Inspirée par nature , mais la société et le pouvoir politique ,ont en charge avec la hiérarchie ecclésiale, de s'assurer que ces institutions chrétiennes soient conformes aux exigences morales qui sont façonnées par les principes théologiques mais par le Siècle aussi . C'est ainsi que nait un concept de Sens commun et de liberté ontologique qui autorise les concepts directeurs qui portent le juste et la vie en collectivité. Les Fabriques villageoises , anciennement légitimes ,traditionnelles en milieux rural incitent originellement la liberté à se formuler et à s'exprimer dans la vie politique locale sur des problématiques assez circonstanciées concernant la viabilité des terroirs et territoires. Ces problématiques assez vastes néanmoins encouragent aussi au file de l'histoire, l'idée de la nécessité de respecter une égalité proche du sens où nous l'entendons aujourd'hui . C'est ainsi que nait en partie de la pratique séculaire du monde rural , le concept d'un droit naturel individuel et le droit de l'exprimer, de l'exiger et de le réfléchir par le débat et le consensus. Les origines de la liberté de Diderot se nichent en partie dans ces fabriques rurales et elle finira de plus en plus étendue à un large public .
Je m'arrête ici en espérant avoir contribué à favoriser la compréhension sur le contexte et dans quelles dynamiques sociales et historiques s'enracinent le cri du coeur, très raisonné , même si grandement émotionnel de Diderot et sur les circonstances qui l'autorise à être libre.
En effet émotionnel car le texte s'inspire du parcourt notoire d'une none qui a existé véritablement et l'auteur a vu une de ses soeurs perdre sa raison en milieu monastique. Les réflexions de l'auteur ne portent pas seulement sur l'éthique et la morale, mais aussi la question tour autour des logiques institutionnelles et de leurs effets qui découlent des aspects structurels des institutions conventuelles.
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Voici un livre où l'expression cloîtrer quelqu'un prend tout son sens ! Un livre qui prouve également que la liberté individuelle est souvent conditionnée par l'indépendance financière - et donc en l'occurrence par la condition des femmes dans la société. Soeur Suzanne est d'une époque où naître adultérine vous expédiait au couvent pour éloigner les ragots mondains, ne pas utiliser l'argent des enfants dits légitimes, et même expier la faute de la mère. Reniée par sa famille qui lui refuse dot et asile, elle est contrainte de prononcer ses voeux : Contrainte moralement, par les mots très durs de sa mère et les us de l'époque ; mais aussi contrainte physiquement. Etrange, pour un état qui dit en appeler aux vocations. Or Suzanne n'a tellement pas la vocation qu'elle hurle « NON » lorsqu'on lui demande de jurer fidélité à Dieu. Il faut dire qu'elle n'a pas grand chose à faire dans un couvent, elle qui aspire à un mari plus réel.


« Jésus-Christ a-t-il institué des moines et des religieuses ? L'Eglise ne peut-elle absolument s'en passer ? Quel besoin a l'époux de tant de vierges folles ? Et l'espèce humaine de tant de victimes ? (…) Dieu qui a créé l'homme sociable approuve-t-il qu'il se renferme ? (…) Toutes ces cérémonies lugubres qu'on observe à la prise d'habit et à la profession, quand on consacre un homme ou une femme à la vie monastique et au malheur, suspendent-elles les fonctions animales ? Au contraire ne se réveille-t-elles pas dans le silence et l'oisiveté avec une violence inconnue aux gens du monde, qu'une foule de distraction emporte ? (…) Où est-ce qu'on voit cet ennui profond, cette pâleur, cette maigreur, tous ces symptômes de la nature qui se languit et se consume ? »


Supportant ses malheurs sous l'empire d'une mère supérieure digne de ce nom, dont elle était la favorite, elle succombe rapidement au désespoir à l'arrivée de celle qui la succède, une jésuite qui fait de Suzanne son souffre-douleur. Et le mot est faible, tant les faits racontés s'apparentent à de la maltraitante et de la torture. Très franchement, en tant que lectrice, j'ai même trouvé le trait un peu forcé pour être crédible : Si de telles choses existent vraiment, comment croire que Dieu n'est qu'amour - ou plus exactement, comment ceux qui se prêtent à de tels actes peuvent prétendre représenter ou servir un Dieu d'amour ? Je sais pourtant, d'un autre côté, de quoi l'humain est capable et surtout en groupe enfermé. le récit, qui s'éloigne rapidement de Sister Act pour basculer dans la folie, ira d'ailleurs jusqu'au procès… Qui faute de lui rendre sa liberté, la fera changer de couvent.


Mais pouvez-vous imaginer ce qu'elle trouvera dans le suivant ? Si vous êtes naïfs comme moi, vous ne pouvez pas ! le récit prend donc un tournant que je n'attendais pas, et Soeur Suzanne ne pourra compter que sur un hypothétique bienfaiteur pour la sortir de là. Ce roman, anticlérical et libertin s'il en est, est le réquisitoire qu'elle lui écrit pour le convaincre de l'aider. C'est le récit de la dernière chance pour faire entendre sa voix cloîtrée trop longtemps et, pour Diderot peut-être, faire entendre toutes les autres voix qui s'élèvent silencieusement, en prières et sans porte-parole, vers des cieux souvent sourds. « Il n'est pire aveugle », vous vous rappelez ? Mais au-delà de la peinture des moeurs et déviances que l'on retrouve dans tout groupement humain, et même si les femmes aujourd'hui ont l'indépendance financière nécessaire pour choisir leur voie, c'est un récit qui continue d'interroger, comme tout classique digne de ce nom : Même en ayant la vocation, et après les scandales que l'on connaît, est-il humainement possible et souhaitable de vivre reclus ? Ce récit, au même titre que le roman de John Boyne "Il n'y a pas pire aveugle", ou que la série TV "Ainsi soient-il", sur la prêtrise actuellement en France et dans l'Eglise catholique, contribue à poser la question de la nécessité de l'instauration de telles restrictions institutionnelles, qui n'ont pas été instaurées par Dieu mais par les hommes…


Mon édition est intéressante qui raconte comment cette fable est née d'une blague de l'auteur à un ami. Dès lors, j'aimerais croire que tout cela n'est qu'imagination… On sait cependant que beaucoup de vocations ont été « forcées » par les événements ; et l'auteur ayant connu lui-même une éducation religieuse chez les Jésuites, on peut craindre qu'il n'y ait plus de réel dans cette histoire que l'on ne voudrait croire. Ce qui explique également sa volonté de publication posthume.


« On ne sait pas l'histoire de ces asiles, disait l'avocat dans son plaidoyer, on ne la sait pas ».


Vous qui la voulez savoir, elle vous est ici contée : accrochez-vous ! Une lecture moderne, autant dans ses idées que dans son ton et dans son rythme, même si répétitive du fait du récit de sévices en huis clos.
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Diderot, c'est pour moi l'écrivain aventurier, l'écrivain de la liberté pure, toujours en mouvement, toujours vif et brillant. Il joue dans l'écriture avec une liberté admirable, toujours rempli de surprises, il aborde tout avec la même légèreté triomphante.
Il va de soi qu'un individu de ce type est très difficile à saisir car sa liberté l'entraîne toujours à explorer de nouvelles possibilités d'existences. Il a ainsi la réputation d'avoir été un matérialiste athée alors qu'il me paraît généralement plutôt comme un déiste préromantique à la Rousseau et qu'il se montre ici comme un authentique chrétien anti-clérical dans un écrit dont le bouillant Martin Luther lui-même se serait probablement délecté. L'institution clérical est en effet exposée d'une manière très réaliste par Diderot dans La religieuse sans que la foi chrétienne authentique y soit attaquée d'aucune manière, bien au contraire.
Tout le roman tient dans cette phrase : « Ah! Monsieur, si vous avez des enfants, apprenez par mon sort celui que vous leur préparez, si vous souffrez qu'ils entrent en religion sans les marques de la vocation la plus forte et la plus décidée. »(91)
Du début à la fin du roman, l'institution cherchera à s'imposer à la petite fille qui deviendra malgré elle soeur Sainte-Suzanne et cette dernière résistera irréductiblement, car elle a besoin d'exister librement. Elle résistera, bien que son coeur appartienne véritablement au Dieu chrétien avec qui elle a une relation personnelle. C'est même dans les vérités de cette religion qu'elle trouvera le courage et les raisons de résister à l'institution :

« Ce fut alors que je sentis la supériorité de la religion chrétienne sur toutes les religions du monde; quelle profonde sagesse il y avait dans ce que l'aveugle philosophie appelle la folie de la croix. ... Je voyais l'innocent, le flanc percé, le front couronné d'épines, les mains et les pieds percés de clous, et expirant dans les souffrances; et je me disais : « Voilà mon Dieu, et j'ose me plaindre!... » Je m'attachai à cette idée, et je sentis la consolation renaître dans mon coeur ».(99)

Sur le plan de l'écriture, j'ai beaucoup aimé le fait que Diderot fasse écrire ce roman par la religieuse elle-même, et qu'il la fasse interpeller fréquemment son lecteur, « vous l'avouerai-je, monsieur? », « dont vous jugerez, monsieur, comme il vous plaira », « sauf votre meilleur avis », etc. Cela donne une tournure militante au roman. Il est vraiment dommage que Diderot se mette à lui faire apostropher une personne précise à partir du milieu du roman (« Vous fûtes de ce nombre »(93)). Évidemment, il s'agit d'une histoire vraie arrivée dans le cercle de ses amis, mais il aurait pu donner une portée universelle à cette histoire particulière si il avait simplement su tenir le cap qu'il a si bien tenu dans la première partie du roman.
Il arrive aussi assez souvent qu'en cours de récit, la simplicité de ton de la religieuse laisse place à un discours d'une précision philosophique qui ne colle absolument pas au personnage. Et comme la religieuse est elle-même narratrice, il n'est pas possible à Diderot d'intercaler un « dit-elle à en termes plus simples » ou un « voilà, en résumé, ce qu'elle fit comprendre à sa supérieure » pour bien faire passer ces incongruités d'expression.
Le roman comporte donc quelques défauts, mais ces défauts peuvent être pardonnés si on considère qu'ils n'existeraient pas si l'excellence du reste ne les ferait pas remarquer. Et, peut-on exiger de la liberté pure qu'elle se conforme totalement à la position qu'elle s'amuse à prendre?
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Voilà un autre de ces classiques qu'on ne présente plus et que je n'avais pourtant jamais ouvert jusqu'à présent. Hélas, c'est loin d'être un cas isolé. À tel point que je n'ose plus paraître en ville dans les dîners de profs de lettres, tant mes lacunes en la matière sont inavouables. Fort heureusement, je fréquente d'autres gens que des profs de lettres. Des profs d'histoire, par exemple.
J'ai d'abord été intrigué par le parcours pour le moins singulier de ce texte avant qu'il ne devienne roman : au départ, il ne s'agit pour Diderot et quelques complices que de ramener à Paris un de leurs amis, le marquis de Croismare, qui s'est retiré à leur grand dam sur ses terres normandes. Le brave homme s'étant ému quelques années auparavant du sort d'une religieuse retenue dans son couvent contre sa volonté, Diderot imagine une mystification susceptible de le faire sortir de sa retraite. C'est ainsi que naît le personnage de Suzanne Simonin, fille adultérine que sa famille rejette, condamnée au couvent par ses parents comme la justice condamne au bagne. L'enfermer, c'est dissimuler la faute à défaut de la réparer, et c'est surtout le moyen de l'écarter d'un héritage dont elle n'est pas jugée digne. Dissimulation, insensibilité et avarice : voilà déjà le caractère bourgeois planté par l'auteur.
À la fin du livre, une postface reproduit la correspondance entre le marquis et ses mystificateurs. On découvre au fil de ces courriers comment Diderot a développé la première version des malheurs de la religieuse, dans des lettres où il se fait directement passer pour elle ou pour sa protectrice. La machination est très élaborée et ne manque pas d'intérêt, bien qu'elle puisse faire tiquer sur le plan moral. La fiction est un mensonge consenti, dit-on. Ici, il ne l'est pas : le véritable marquis correspond sans s'en douter le moins du monde avec des êtres fictifs. Pour ma part, je trouve que cela rend l'entreprise encore plus fascinante, et que cette façon d'ancrer des personnages dans le réel peut être vue comme un aboutissement de la fiction. Il est vrai, cela dit, que je ne suis pas quelqu'un d'une grande moralité.
Quoiqu'il en soit, lire le roman a bouleversé mes idées toutes faites à son sujet. Je n'y ai vu Diderot à aucun moment comme un athée. Suzanne, qui est l'innocence incarnée, est aussi sincèrement croyante. C'est même en gage de la fidélité à sa foi qu'elle rejette un état religieux dont elle ne veut pas, dans une sorte d'horreur face à l'hypocrisie que cette situation lui impose. En revanche, le texte est incroyablement anticlérical : la hiérarchie de l'Église n'apparaît que furtivement, mais c'est une institution indifférente et sans âme. Quant au secret des cloîtres, il est le réceptacle de toutes les perversions et les souffrances. le récit du calvaire de Suzanne au couvent de Longchamp est proprement glaçant. Je ne vais pas y insister, c'est sans doute la partie la plus connue et commentée du livre. En la lisant, on se dit que les régimes totalitaires n'ont pas inventé grand chose en matière de torture psychologique, et que le harcèlement managérial d'aujourd'hui y a peut-être puisé quelques idées pratiques. le ton change lorsque Suzanne est enfin transférée au couvent d'Arpajon. L'établissement est en effet dirigé par une supérieure saphique, qui vit entourée de ses jeunes favorites dans un désordre échevelé et au mépris bien sûr de tout règlement conventuel. Suzanne, par sa beauté, devient aussitôt l'objet de convoitises que sa candeur lui interdit de comprendre. Il me semble que Diderot s'est quand même accordé certains plaisirs dans l'extravagance alanguie des tableaux qu'il brosse ici... Mais cela ne dure guère, car le confesseur de la jeune religieuse l'instruit de l'esprit maléfique qui préside à ces ébats. Transie de désir et de frustration, dévastée de voir son amour repoussé, la supérieure bascule peu à peu dans l'obsession, la folie puis la mort. Par la bouche de sa narratrice, Diderot fait certes mine de condamner l'homosexualité féminine. Difficile bien sûr de ne pas surinterpréter depuis mon petit point de vue du XXIème siècle, mais mon sentiment est plutôt que l'auteur s'attaque à l'absurdité, à l'artificialité et au caractère criminogène de règles que la société impose malgré eux aux individus. La perversion, semble-t-il dire, ne réside pas dans telle ou telle inclination de l'être humain, mais dans la contrainte sociale condamnant les aspirations qui osent s'écarter de la norme. C'est ce que je retiens surtout du livre : dans ce lieu clos qu'est le couvent, organisé selon des règles inflexibles qui n'expriment plus aucun élan mystique et ne répondent à aucune finalité sociale, Diderot met à nu le caractère fondamentalement artificiel de la norme. En condamnant la loi de fer si particulière de la communauté religieuse, l'auteur n'a peut-être pas l'intention de contester partout l'existence des normes, mais il insiste sur la nécessité de ne pas oublier ce qu'elles sont dans tous les cas : des constructions collectives. Discours qui n'a évidemment jamais cessé d'être actuel.
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Suzanne la narratrice a seize ans, deux soeurs, un père avocat avec "plus de fortune qu'il n'en fallait pour les établir solidement".
Problème, son père n'est pas son père, les deux soeurs auront chacune la moitié de la fortune et Suzanne se retrouvera dans un couvent pour expier le péché de sa mère.
le souhait de ses parents n'est pas le sien et elle tentera tout pour sortir de ces couvents qui lui réserveront des moments cruels.

Pour écrire ce livre, Diderot est parti d'un fait réel. "Ouvrage d'une utilité publique et générale car c'était la plus cruelle satire qu'on eut jamais faite des cloîtres".
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La Religieuse, relate l'histoire sous forme de témoignage, inspirée à Diderot par des faits réels, d'une jeune fille qui va rentrer dans les ordres malgré elle.
Suzanne, pour permettre à sa mère d'expier son péché d'adultère ( et aussi pour permettre à ses deux soeurs de toucher tout l'héritage de ses parents ) va se retrouver dans un couvent.
Bien malgré elle, elle prononce des voeux qui vont la vouer à une vie entière dans un couvent et consacrée à la prière et autres dévotions.
Elle va essayer d'intenter un procès pour pouvoir rompre ses voeux. Malheureusement, nous sommes encore à une époque où l'Eglise et l'Etat ne sont pas encore séparés .
De plus, le fait qu'elle veuille quitter la vie monastique la stigmatise au yeux de ses paires et surtout d'une de ses mères supérieures.
On ne peut s'empêcher d'être frappée par la dureté de ce qui arrive à cette jeune fille, qui bien que très pieuse, ne se sent absolument pas faite pour cette vie.
Un petit livre qui se lit très vite, et qui bien que témoignant de moeurs passées de mode, laisse une impression durable...

Challenge ABC 2015/2016
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Au XVIII ° siècle, comme il n'y a pas si longtemps : quand une famille, un mari ou autre voulait se débarrasser d'une jeune femme : c'était le couvent ou l'asile de fous !
En effet, dans ce pamphlet anticlérical de Denis Diderot, Marie-Suzanne a 16 ans, elle est belle, intelligente mais elle est une enfant adultérine de la famille Simonin, et sous des prétextes financiers sa mère veut éloigner celle qui lui rappelle sa faute en la poussant contre son gré à prendre le voile !
Elle commence son noviciat au Couvent de Lonchamp et informe sa Soeur Supérieure de son intention de retrouver sa liberté mais cette dernière est cupide et soutient les désirs de la mère de Marie-Suzanne ! Après le décès de cette dernière : c'est une Supérieure illuminée qui va lui pourrir la vie, d'autant qu'elle sait que ses mémoires ont été déposés chez Me Manouri ! Elle va subir les pires sévices physiques et morales, des humiliations, des mortifications de cette Mère, mais aussi de ses " favorites ". Blessée, affamée, isolée, rejetée : elle va continuer de se battre pour éviter le voile et être déchargée de ses voeux arrachés contre son gré ! Mais, le roman de Diderot prend une autre dimension quand la Supérieure de Saint-Eutrope, ou son avocat a pu la mettre à l'abri des exactions de Lonchamp s'éprend d'elle et profite de la naïveté de la novice pour donner libre cours à son lesbianisme !
Diderot, le zélateur de l'Encyclopédie a tout aimé, tout étudié : de la philosophie jusqu'aux arts mécaniques sans oublier les Lettres..il a mis 22 ans pour écrire ce pamphlet qui n'a été publié qu'en 1796 après sa mort ! Certes il a voulu dénoncer les conditions de vie dans les couvents, d'autant que sa soeur Angélique en est morte folle, mais aussi l'atmosphère perverse de ces religieuses qui auraient du se vouer aux prières et à Dieu et qui se déchiraient comme des mantes ( religieuses ) ...
Un roman d'une grande modernité dans un style brillant, simple et incisif ! A lire ou à re-lire pour apprécier la langue française du siècle des Lumières..
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Nous sommes au 18ème siècle, Suzanne fait partie de ces nombreuses jeunes filles qui entrent au couvent, non par vocation, mais forcées par leur famille. Dans son cas, c'est sa mère qui lui impose de rentrer dans les ordres pour en quelque sorte l'aider à expier sa faute, la naissance de Suzanne étant extra-conjugale.
Malgré ses efforts, la jeune fille se rend bien compte qu'elle n'est pas faite pour cet état et va chercher alors, par différents moyens, à rompre ses voeux. Ses déboires vont l'amener à résider dans trois couvents successifs où elle vivra à chaque fois des rapports compliqués avec ses supérieurs, apportant leurs lots de brimades, de tortures et autres persécutions...

«La Religieuse» prend sa source dans des circonstances assez anecdotiques. Un fait divers sur une religieuse qui cherche à rompre ses voeux, une plaisanterie à un ami, qui fut touché par cette histoire, sous forme de fausse correspondance (jeu littéraire qui passionne l'ami Denis)... voilà la matière dont va s'approprier l'auteur pour aboutir à ce roman une vingtaine d'année plus tard.
Roman enrichi par sa connaissance du milieu ecclésiastique (sa soeur était religieuse et est morte folle en couvent) et par diverses inspirations qui nourrissent ses nombreux sous-entendus (merci les annotations!), j'ai pour ma part retrouvé avec plaisir et à plusieurs reprises quelques clins d'oeil à l'oeuvre «Histoire de Clarisse Harlove» de Samuel Richardson dont il a fait la célèbre éloge.

A travers cet ouvrage, Diderot nous fait clairement un réquisitoire contre l'église et ses pratiques. S'il ménage le bon chrétien, mettant en relief la foi d'une jeune fille pure, naïve et innocente, l'ami Denis ne se gêne aucunement par contre pour dénoncer le fanatisme et les diverses violences physiques et morales pratiquées discrètement entre les quatre murs des couvents.

«Faire voeu de pauvreté, c'est s'engager par serment à être paresseux et voleur. Faire voeu de chasteté, c'est promettre à Dieu l'infraction constante de la plus sage et de la plus importante de ses lois. Faire voeu d'obéissance, c'est renoncer à la prérogative inaliénable de l'homme, la liberté. Si l'on observe ces voeux, on est criminel ; si on ne les observe pas on est parjure. La vie claustrale est d'un fanatique ou d'un hypocrite.» D.Diderot
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