Dans le bain moussant
de la métaphore
Extrait 3/3
du flux et de la bande passante, et tremblotante, et
chuchoteuse, et murmurante ! Car tout cela n'est pas
seulement frais, cinétique et visuel, mais aussi, sonore
et sensoriel ! Car tout cela, le courant, l'eau qui court,
le cours d'eau, s'accompagne aussi, et dans le même
temps, de déplacements d'air, de fines gouttelettes
en suspension, qui se diffusent et retombent, alors
que tout recommence, alors que tout toujours re-
commence. Car cette agitation est aussi une cogitation,
une pensée qui se pense, et qui se pensant, passe à
la pensée suivante, et encore, à la suivante, qui jamais
ne s'épuise. Car un fleuve est un flux, comme son nom
l'édicte, le dévide, le distille, un flux ininterrompu d'eau,
et de « sensation de l'eau », et de trémulations de l'eau
dans l'eau, et de perpétuation de l'eau par l'eau : l'indéfini
du flux infini ! Car un fleuve est un flux qui se dissout dans le flux et dans le mot FLEUVE et dans le RHÔNE et dans son nom.
Dans le bain moussant
de la métaphore
Extrait 2/3
…
Fixer la surface bleu-vert, piquée d'écume minuscule.
La surface, l'effet de surface. Son relief mouvant en
constante formation, déformation et reformation.
Forcer sans succès l'opacité relative, hormis à faible
distance et profondeur. Être fleuve, c'est-à-dire, à
cet instant et en cet endroit, irisations, stries éphé-
mères, irritations et bulles passagères, éclosions
contiguës et continues de métamorphoses, aussitôt
absorbées, disparues, évanescentes. Relief lié, délié,
dévié, en permanente recomposition. Être fleuve,
ondoiements, vaguelettes multiples à multiples fa-
cettes, qui s'effacent, s'entrechoquent, disparais-
sent, au fur et à mesure que d'autres apparaissent,
s'effacent et réapparaissent ; s'effacent et réappa-
raissent constamment, continûment ; dans l'agitation
sans fin du flux qui va, va de l'avant, va, plein d'allant ;…
Dans le bain moussant
de la métaphore
Extrait 1/3
Passer les arbres, le rideau d'arbres. Trouver
une sente récente, disons récemment défrichée.
Un passage pratiqué dans les taillis par les pê-
cheurs ou les employés de la Compagnie. Des-
cendre de quelques mètres, entre les espèces
arbustives, et aussi, les ronces, les fleurs, les
orties, les invasives. Être tout près, être au bord,
suivre des yeux les mouvements du fleuve.
Être fleuve, écrire serré, en plans serrés et en
gros plans. Tailler dans la masse fuyante. Suivre
le mouvement. Être le mouvement, c'est-à-dire,
n'être rien que ce qui fuit, que ce qui vit, que la
fuite avant, que la suite toujours réamorcée de
l'instant, des instants passants. Être dans le bain,
le bain des sens et l'immersion complète du poème….