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Une fois n'est pas coutume, cette critique se fera en musique (lien en bas de page)…
…mais je ne vous parlerai pas ici d'Alexandre Gand… les forums spécialisés en musique électronique underground sont là pour ça…
« Grotesque », variation des cabinets de curiosités, freak show, recluses et béguines…

Ne partez pas… ce livre n'est pas une compilation d'horreurs sans queue ni tête… c'est simplement un chef d'oeuvre, impossible à décrire, et c'est bien cela qui le rend exceptionnel…

C'est un « bredouillis de réalité », pour citer Volodine, qui le place parmi ses livres préférés.
C'est une plongée éprouvante dans une maison aux dimensions impossibles, peuplée de sorcières sans pouvoirs, hantée par un narrateur pas du tout fiable, prétendument sourd-muet, dans un déroulé éclaté, rythmé par une écriture magnifique, opérant peu à peu comme un maléfice.

Ce pourrait être un roman gothique; on pourrait parler de réalisme magique; il est baigné d'un syncrétisme religieux; c'est aussi une réflexion sur la normalité supposée; la liste pourrait se prolonger longuement…
L'image de couverture de la 1ère édition française au Seuil en propose une bonne synthèse : un sac de vilaine toile de jute en clair-obscur, dont le sens ne se révèlera qu'à la fin.

La ré-édition en 2019 chez Belfond Vintage permet à tous de découvrir cet ouvrage antichronique, bien que je m'interroge toujours sur le sens esthétique de cette maison (et le rachat par Editis ne devrait pas améliorer le bazar…).
Mais ce morceau en est pour moi le meilleur résumé:

« de cette humanité,
« sans humilité,
« qui ne voit plus qu'un tas de cadres
« fétides et sans âmes.
« de l'immondice,
« indicible puanteur
« de vos peurs;
« être ce qui doit paraitre,
« faire ce qui doit être.
« créer son image
« à l'image de Dieu.
« sans avoir conscience
« bien trop loin des cieux,
« qui va tourner la page
« en fermant les yeux.
« monstruosité de vos âmes, crasses et infâmes.
« monstruosité de vos âmes, crasses et infâmes. »

De Frontanel - « Grotesque »
Lien : https://youtu.be/2mDlwHa3knk
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Extraordinairement labyrinthique !


Versez dans un chaudron des « vieilles » que les agissements secrets pourraient bien faire passer pour des sorcières, abritées dans un couvent latino-américain. Ajoutez-y une plume interactive qui possède tour à tour chaque personnage et situation - ou est possédée par eux : Vous obtenez une mixture de 640 pages des plus étranges ! Ce récit onirique, qui laisse planer le mystère, m'a immédiatement rappelé Les Sorcières d'Eastwick : Si j'avais préféré encore la plume de John Updike, j'ai peut-être préféré cette histoire, au procédé narratif impressionnant. Elle paraît d'abord contenir au moins deux récits miroir entremêlés, un passé et un présent. On les mire en reflet dans de longues phrases qui semblent mêler les temporalités, être commencées par un narrateur et finies par un autre, alors que c'est le même qui ressent tout, entend tout. Comment est-ce possible ?


« Tout vit dans ma tête, le prisme de Peta Ponce réfracte et confond tout et crée des plans simultanés et contradictoires, tout sans jamais arriver à la feuille de papier, car j'entends toujours les voix et les rires qui m'enveloppent et me retiennent ».


En réalité, c'est un délire fiévreux que ce roman, dans lequel se mêlent non-seulement présent et passé, mais aussi les rêves, fantasmes et peurs irrationnelles du narrateur. Qui est ce narrateur, vous demanderez-vous tout au long de ce récit ? le sait-il lui même ? Est-il fou ou malade ? Muet ou Sorcière ? Secrétaire ? Amant ? Monstre ? Ecrivain…? Ses complexes personnels sont aussi exploités que le contexte économique et de légendes de cette société latino-américaine, où tentent de cohabiter l'aristocratie et le peuple, les gens normaux et les monstres, les reclus et les gens libérés. Au sens propre, ou au figuré ? Sont-ce les mêmes personnes que le délire paranoïaque du narrateur, et les déformations inhérentes aux histoires racontées, font passer de réelles à fantasmées, ou s'agit-il de deux récits séparés par les années, que les circonstances, similitudes ou conséquences font se superposer dans ce récit, montrant leurs lien et ressemblance ? le doute vous habitera jusqu'à la fin, tant l'auteur distord l'espace et le temps, et même les caractères physiques et moraux de ses personnages jusqu'à l'extrême. Comme ces photos déformées en fin de négatif, ou biens celles que l'on prend avec un objectif bien particulier de déformer la réalité pour, peut-être, mieux la montrer, amplifier un élément que l'on juge important, révélateur de ce qu'on voit, vit, ou ressent.


En lisant ce roman, cette aberration au sens photographique du terme devient aberration littéraire, au point que certains pourront s'emmêler les pinceaux. Et pourtant tout est là. Toutes les clés de lecture sont dans le récit, on en trouve une nouvelle à chaque page qui servira à ouvrir la suivante et ainsi de suite jusqu'à la fin, jusqu'à ce que méli-mélo de sensations, textures, faits avérés ou fantasmés nous soit totalement livré, dans un drôle de paquet. Pour autant, chaque propos semble contredit par la suite du discours, constamment remis en question. On se demande si notre narrateur est fiable. On lui trouve de multiples personnalités contradictoires… A moins que ce qu'il raconte ait un sens, finalement ? Ce que vous vivrez en lisant ce bouquin est surréaliste et fantasmagorique. Une satire sociale sous forme de rêves puis de cauchemars, une sorte de légende qui se forme, une rumeur, parfois crédible, parfois fantaisiste. Mais toujours dosée afin qu'on y croit assez pour vouloir essayer d'en comprendre le sens, comme lorsque vous avez plusieurs sons de cloche d'une même histoire et que vous tentez d'y voir claire, de démêler la légende du témoignage, le passé du présent, la réalité du rêve. Sans garantie aucune d'y parvenir à la fin. Qui peut vraiment dire L Histoire ?


En chaque personnage d'une éminente banalité sommeille un monstre extraordinaire et, dans chaque destin possible, dans chaque variante inventée, un fantasme merveilleux. On tente de fuir la banalité par l'imagination, la réinvention de nos vies. On fuit nos hontes, nos peurs, nos paranoïas et notre ennui, l'injustice et l'incompréhension ou encore l'impuissance (…!) en se réfugiant dans une version réécrite, en modifiant les rôles, en vivant les vies des autres, en rêvant, en étant eux : tous ces gens en nous qui s'expriment comme autant d'acteurs, de doubles maléfiques, de miroirs magiques. Une vérité à plusieurs facettes, qui se reflète dans chaque personnage en modifiant l'image qu'on s'en fait à chaque fois, selon chaque version, chaque « ON-DIT ». « On dit » que cette histoire serait née lorsque l'auteur aurait vu un bébé déformé dans une voiture, et qu'il lui aurait inventé cette vie romanesque peuplée autant de rêves parmi les monstres, que de cauchemars réalistes. Mais on referme ce livre en ayant aussi l'impression d'avoir expérimenté grandeur nature le pouvoir des « on dit » sur L Histoire, la vérité ; sortant de là avec la certitude qu'il n'y a finalement pas de vérité mais bien autant de réalités parallèles que de personnes qui voient, ressentent et racontent ; et la plume de DONOSO les embrasse et les exprime toutes en une, qui les relie, enfle jusqu'à devenir elle aussi un monstre d'irréalités, une fantasmagorie entre cauchemar et vécu. Bien malin qui saura distinguer le vrai du faux, comme dans tout récit oral où des souvenirs naissent d'avoir été inventés, et des personnes existent d'avoir été racontées. Qui saura distinguer les vrais monstres des gens normaux - s'il en existe, puisqu'il y a tant de façons d'être un monstre. S'agit-il d'un enchantement, une malédiction ? D'une perception brouillée par les brumes d'une conscience perturbée ?


C'est ce qui fait tout le charme de ce roman d'un nouveau genre. Sous ses airs farfelus, une grande finesse d'esprit et une plume hors pair, qui a dû demander à cet auteur chilien de se mettre dans une sorte de transe où est son narrateur pour le rendre crédible. J'imagine qu'il a dû « vivre » ce qu'il écrivait. Quelle plume, quel délire, quelle fièvre s'empare du lecteur : fièvre de comprendre, fièvre d'arriver au bout, fièvre de ressentir le personnage, de vivre ses transes et délires, ses complexes, ses fantasmes ; ne pas lutter, ne pas vouloir aller plus vite, ni arriver avant que sa logique nous mène au bout de son cheminement, nous ait livré tous les éléments pour comprendre. Faire confiance ; se laisser porter par la plume et s'envoler loin, très loin de notre terre-à-terre habituel, étriqué, étiqueté. S'abandonner à ce vent de folie qui nous porte, ce charabia sous morphine qui menace de nous rendre fou, distord l'histoire jusqu'à, parfois, nous la faire perdre de vue - mais toujours pour être plus fier de l'apercevoir de nouveau, plus nette encore, au tournant d'une phrase, d'une vision, d'un mot. La vérité est là, tout près, vous le sentez ; vous pouvez presque la toucher du doigt. Encore un effort, là, voilà, vous l'avez presque. Mais, au fait, existe-t-il une vérité absolue ? Ou y-a-t-il autant de vérité que de point de vue, de personnages, de moment où la regarder…? Une expérience qui tient de la magie, et que l'auteur tente peut-être de nous expliquer à travers son narrateur dans certaines de ses fulgurances :


« Il avait commencé par parler de cela, mais ensuite tout se déforma beaucoup. Humberto n'avait pas vocation à la simplicité. Il éprouvait le besoin de chantourner les choses normales, une espèce de propension à se venger, à détruire, et tant de choses vinrent déformer et compliquer son projet initial que tout se passa comme s'il s'était perdu pour toujours dans le labyrinthe qu'il inventait, plein d'ombres et de terreurs plus consistantes que lui-même et que ses autres personnages, toujours fumeux, fluctuants, jamais un être humain, toujours des déguisements, des acteurs, des maquillages qui fondaient… oui, ses obsessions et ses haines étaient plus importantes pour lui que la réalité qu'il avait besoin de refuser… »


Son expérience d'écriture semble se refléter dans l'expérience du narrateur qui tente de raconter une histoire qui fasse sens auprès de ses lecteurs, en manipulant la matière comme une pâte à modeler ou du caramel mou, jusqu'à voir ce qui prend forme sous nos mains. Sois prévenu, lecteur :


« Tu verras, des choses plus complexes qui se passent à l'envers de ce que tu vois des biseaux qui réfractent le temps et les images, nous te montrerons comment t'en servir car tu as été comme nous dépouillé de tout et tu as la puissance des dépossédés et des misérables, des vieux et des oubliés, viens jouer avec nous, mais non, on te dit que ce ne sont que des jeux innocents, mais tu verras bien ce qui peut arriver quand nous prenons les commandes, les liturgies que nous savons créer, les rites innocents mais stricts. »


Roman incroyable, magistralement cousu à l'image du fameux "imbuche" dont vous ferez connaissance au fil de cette lecture passionnante. A découvrir absolument si vous n'avez pas peur de l'étrange ni de vous perdre, si vous appréciez les plumes qui sortent des sentiers battus et les histoires qui n'ont pas forcément une seule explication cartésienne. Merci Bobfutur, d'avoir ouvert mes horizons ;-)
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Comment apprécier, commenter, ou tout simplement noter une lecture qu'on aura tour à tour «détesté aimer» et «aimé détester» ?!!?
Trop baroque au point de paraître franchement clinquante, trop labyrinthique et «sur-travaillée» pour ne pas avoir l'air quelquefois lourde et artificielle, trop longue et répétitive au point de devenir pesante et fastidieuse, trop volontairement déconstruite au risque de frôler par moment dangereusement le brouillamini gratuit et indigeste. Et pourtant quel génie littéraire indéniable! Et quel gâchis, ce roman! - me suis-je écrié en le refermant d'un coup sec, soulagé, j'avoue, de l'avoir terminé… S'il y a au moins une qualité que je ne pourrais en aucun cas remettre en question à L'OBSCENE OISEAU DE LA NUIT, voyez-vous, c'est celle de m'avoir totalement déconcerté!!
«Et pour cause…», pourraient retorquer d'autres lecteurs et fans (salut Paul!), détenteurs sans doute de nerfs plus solides que moi pour pouvoir l'apprécier à sa juste valeur… Car le roman monolithique de José Donoso embrasse trop radicalement les arcanes et les codes propres aux mécanismes délirants et hallucinatoires des états dits psychotiques, s'en sert à outrance, au risque, à mon sens, de s'y dissoudre complètement : suppression systématique des frontières spatio-temporelles entre moi et non-moi, entre le passé et le présent, ainsi que de tout principe logique de non-contradiction, abolition des limites corporelles, morcellement et dédoublement de la personnalité, possession et scopophilie, fusion et vol d'identité, usurpation d'organes…et j'en passe!
Est habituellement considéré comme «obscène» ce qui revêt un caractère cru, immoral, indécent, ordurier, sale. Ce n'est pas dans ce sens, toutefois, que L'OBSCENE OISEAU DE LA NUIT m'aura gêné, bien que dans sa logique transgressive par rapport à la normalité, l'érigeant en éloge de la monstruosité («la monstruosité est le sublime»), de nombreux passages du roman pourraient être considérés comme étant de véritables morceaux scatologiques de choix au regard d'une certaine esthétique «freaks». C'est avant tout dans un deuxième et hypothétique sens attribué quelquefois au mot «obscène», moins couramment admis par les linguistes, que ma gêne trouve sa vraie origine, à savoir, celui de «ob-scaena» : ce qui est mis "devant la scène", (trop) en avant, (trop) voyant, «exhibé» sans retenue devant un public. Voilà ce qui m'a surtout contrarié ici : un ton franchement au-dessus, en trop, excessif, un usage superlatif et abusif des codes littéraires de la folie et du réalisme magique sauce latino-américaine, ce qui, à force, avait fini par me perdre. José Donoso surenchère, en fait trop, et c'est dommage : un «gâchis », disais-je…. Et c'est sans doute, donc, grâce par ailleurs à sa très belle plume, d'une indiscutable qualité, que j'aurai tout de même réussi à m'en sortir à peu près indemne de ce bourbier trop poisseux, trop long…
Héraut et cinquième chevalier de la révélation au monde du nouveau phénomène littéraire provenant du continent latino-américain dans les années 60-70, avec le mexicain Fuentes, le colombien García Marquez, le péruvien Vargas Llosa et l'argentin Cortázar, l'oeuvre du chilien Donoso a connu un retentissement cependant moins important que celle du célèbre quatuor de base, une reconnaissance qui semblerait aussi plus consensuelle du côté de la critique littéraire que du public lecteur, ce qui expliquerait certainement le fait que l'oeuvre du chilien soit restée plus confidentielle et très peu rééditée, y compris en Amérique Latine.
Pourtant, dans L'OBSCENE OISEAU DE LA NUIT la bonne recette est bien là au départ : Humberto Peñaloza, le narrateur du roman, est mandaté pour écrire la chronique de la famille de l'aristocrate chilien Jerónimo Azcoitía. L'ancêtre de ce dernier, fondateur de la lignée des Azcoitía, riche propriétaire terrien d'origine basque, avait fondé à la fin du XVIIIe siècle une chapellenie et, en même temps, fait bâtir la Maison de l'Incarnation de la Chimba, à la seule fin de clôturer à vie sa fille unique, Inés , âgée de 16 ans à l'époque et suspectée d'avoir été, avec sa gouvernante, à l'origine d'actes manifestes de sorcellerie. le couvent abritera ensuite une congrégation importante de soeurs. Au fil des siècles, déserté progressivement par les religieuses, le site s'était métamorphosé en lieu d'hébergement pour vieilles femmes isolées. L'histoire de la petite Inés, quant à elle, en un récit édifiant ponctué d'épisodes miraculeux. Une procédure de béatification sera même entamée auprès du Vatican. À présent, la Maison de l'Incarnation tombe en ruines, quelques vieilles et une poignée d'orphelines y vivotent encore, en attendant la démolition décidée par l'Archevêché, à qui la propriété revient désormais. En effet, le dernier des Azcoitía, Jerónimo, dont le seul et unique enfant, atteint d'une difformité physique monstrueuse, avait été à son tour soustrait au regard des « normaux » par son père, vient de léguer définitivement la chapellenie à l'Église.

Ce qui devait constituer le fil et l'objet d'écriture de Humberto Peñaloza se transformera néanmoins en une totale impossibilité de construire un récit dimensionné et cohérent. L'histoire se déploiera dans une constante distorsion du temps et de l'espace, excluant de manière définitive toute éventualité de pouvoir décrire une seule et même réalité à la fois. On ne fait, en fin de compte, qu'en ramasser des bribes, des fragments du réel, sans jamais pouvoir discerner complètement ce qui est faux de ce qui est vrai, ce qui relève du pur phantasme ou du factuel : tout devient pluriel, discontinu, morcelé, déconstruit. le récit, lui aussi, à l'image des murs délabrés des vieux bâtiments labyrinthiques du couvent, s'effrite inéluctablement…

L'OBSCENE OISEAU DE LA NUIT, sous son exotisme apparent et son langage richement ouvragé et bariolé, n'est en réalité qu'un long cauchemar, une plongée en apnée dans les terreurs les plus archaïques, là où toute temporalité a été abolie, où le temps aura cessé de s'écouler. Un roman hanté par la dissociation mentale et la folie, habité par la monstruosité, par une crasse omniprésente, par des images grotesques et terrifiantes, dont par exemple celles, issues du folklore chilien, de «la chonchon», oiseau formé d'une tête humaine qui se détache du corps, ou encore ces nombreuses déclinaisons présentes dans le récit autour du processus de transformation d'un humain en mort-vivant, «l'imbuche», par l'obturation de tous les orifices de son corps.

Comment conclure un billet sur un roman aussi étrange et déroutant, par certains côtés virtuose, mais dont la lecture peut être aussi rébutante, laborieuse et pénible ? (Dans tous les cas, sa rédaction semble avoir été infiniment plus éprouvante à l'auteur qu'à sa simple lecture par nous autres, ses lecteurs occasionnels : selon ses biographes, José Donoso aurait subi plusieurs hospitalisations en psychiatrie à l'époque de sa rédaction, et durant la seule étape de finalisation du manuscrit, avant sa remise à l'éditeur, aurait perdu 25 kilos (!))
En citant peut-être ce passage du roman, où l'un des personnages commentant l'incapacité de Humberto Peñaloza à rendre sa chronique biographique sur la famille Azcoitía, m'a fait drôlement songer à José Donoso lui-même et à son entreprise littéraire :
« Il éprouvait le besoin de chantourner les choses normales, une espèce de propension à se venger, à détruire, et tant de choses vinrent déformer et compliquer son projet initial que tout se passa comme s'il s'était perdu pour toujours dans le labyrinthe qu'il inventait, plein d'ombres et de terreurs plus consistantes que lui-même et que ses autres personnages, toujours fumeux, fluctuants, jamais un être humain, toujours des déguisements, des acteurs, des maquillages qui fondaient….oui, ses obsessions et ses haines étaient plus importantes pour lui que la réalité qu'il avait besoin de refuser».
Pour les étoiles, enfin, et pour être tout à fait honnête vis-à-vis de moi-même, je ne peux que couper la poire en deux!
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Parmi tous les grands romans parus en Amérique hispanique pendant les fertiles années appelées le Boom latino-américain, il en est un particulièrement étonnant qui est passé quasiment inaperçu à sa sortie à côté des autres grands (Marelle, Conversation à la cathédrale, Peau neuve, Cent ans de solitude), aussi discrètement que son auteur entre les "phares" (Julio Cortázar, Mario Vargas Llosa, Carlos Fuentes, García Márquez) qui leur donnèrent vie. Je me réfère bien sûr à L'Obscène oiseau de la nuit du chilien José Donoso, un roman superbement proustien dans lequel il nous donne une histoire aussi séduisante qu'abyssale. - Jorge Eduardo Benavides
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Humberto, issu d'une famille humble, voue une admiration sans borne à Jeronimo Azcoitia. Cette attraction poussera Humberto à donner le meilleur de soi-même pour décrocher le poste de secrétaire auprès de Jeronimo. Commence alors un long changement de personnalité de la part d'Humberto, pour ressembler au plus près à la personne qu'il idolâtre tant.

C'est un bien maigre résumé et peu représentatif du cheminement tortueux de l'intrigue que je vous livre ici, tant la densité de ce roman est inouïe. Je ne suis pas spécialement au fait de la littérature de José Donoso, et je dois bien dire que j'ai du aller me renseigner à son sujet, tant j'ignorais quasiment tout de cet écrivain. Et pour cause, inexplicablement, ce roman est passé quelque peu inaperçu à l'époque de sa sortie.

La première de couverture nous annonce qu'il s'agit là de l'un des meilleurs romans hispanophones de tous les temps. Évidemment, il ne m'en fallait pas plus. Et mon rendez-vous avec la plume de cet auteur est passé par toutes les étapes possibles et imaginables. En effet, j'ai ressenti la peur de ne pas savoir apprécier la juste valeur de ce récit, le commencement d'un attachement unique avec ce style particulier, pour finalement finir conquise par l'univers proposé. Mais que de chemin parcouru pour en arriver, là, je dois bien le dire.

Ce roman est véritablement une expérience de lecture comme je n'en ai jamais eue. Il faut impérativement qu'en tant que lecteur, vous acceptiez de vous laisser porter par ce récit et que vous acceptiez le fait de ne pas tout maîtriser, voire comprendre. C'est ce que j'ai essayé de faire au départ et j'ai eu énormément de mal à rentrer dans l'univers proposé par Donoso. C'est parfois si irréel, si onirique, que je me suis demandée si réellement cela valait le coup de poursuivre cette lecture. La réponse est un grand oui, pour peu que j'ai accepté de me laisser porter.

Au travers de la narration de Mudito, l'auteur égrène une intrigue compliquée, particulière, d'une rare densité. Je ne sais pas si j'ai toujours compris ce que voulait faire passer l'auteur, ou si simplement il a laissé plus d'une fois discourir ses pensées au gré du papier. Malgré tout, l'histoire est remarquable et réellement complexe. On ne peut pas reprocher un manque de profondeur ici, loin de là.

La plume m'a paru vraiment belle, poétique même par moments. Elle est très en accord avec les autres romans hispanophones de l'époque contemporaine de Donoso. Ce n'est pas une plume compliquée, ce sont plutôt les cheminements que prend Donoso qui le sont, rendant cette lecture peu aisée, il faut bien le dire.

Un roman d'une rare densité qui constitue une réelle expérience de lecture. Il ne faut pas être pressé pour lire ce récit, et surtout, il faut accepter de se laisser porter, sinon il vous sera impossible d'apprécier ce livre. Même s'il est âpre à la lecture, il en vaut vraiment la peine, et c'est dommage de ne pas le découvrir.
Lien : https://mavoixauchapitre.hom..
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L'OBSCÈNE OISEAU DE LA NUIT de JOSÉ DONOSO
La famille Aizcoitia est composée d'une dizaine d'enfants dont Inès est la seule fille. Une série d'événements laisse à penser aux paysans qu' Inès est à l'origine des problèmes et elle est perçue comme une sorcière. Gros propriétaires terriens, ils ne peuvent se permettre cette rumeur et vont éloigner Inès dans un couvent, recluse jusqu'à sa mort. Bien des années plus tard, le couvent « la maison » est occupée par sept vieilles femmes dont on ne sait plus trop qui elles sont. Don Jeronimo, le dernier des Aizcoita, n'arrivant pas à avoir de descendant va demander de l'aide à une sorcière. Il va avoir un fils difforme, Boy, hideux, un monstre. Il va l'isoler dans une maison, La Rinconada, et recruter autour de lui des hommes et des femmes également monstrueux. C'est Humberto, secrétaire entièrement dévoué à Jeronimo qui est le narrateur de cette histoire fantastique passant tour à tour de Inès dans le passé à la vie mouvementée du monstre actuel. Parallèlement, il passe du je au nous, du Humberto à El Mudito, serviteur sourd et muet( ou pas) pour s'incarner en femme, peut-être une des sorcières de la « maison », la septième sorcière qui semble omniprésente au fil des années.
Un récit hallucinatoire qui nous embarque dans des contes fantastiques entre rêves, fantasmes et réalités, un récit en forme de huis clos que ce soit le couvent ou la maison du monstre, les deux inaccessibles à une présence extérieure. Je ne suis pas certain d'avoir tout saisi dans ce roman qui m'a fait penser à un tableau de Jerôme Bosch par sa difficulté de déchiffrage et par sa monstruosité.
Fascinant, un auteur assez peu connu mais qui mérite sa place près de Marquez ou Onetti entre autres.
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Quelle étrange expérience que celle de la lecture de "L'obscène oiseau de la nuit" !

Vous pénétrez dans un univers à la texture indéfinissable, emportés par le narrateur dans le tortueux dédale de son esprit. Ce narrateur, c'est El mudito, un soi-disant sourd et muet au physique ingrat et malingre, sorte d'homme à tout faire de la Maison, vaste demeure labyrinthique dans laquelle se côtoient de vieilles servantes à la retraite, quelques bonnes soeurs et une poignée d'orphelines.

Lecteur, pour préparer ton incursion au coeur de l'insolite roman de José Donoso, il te faudra laisser derrière toi tous tes a priori, et ton éventuel besoin de certitudes et de repères. Car tu vas faire connaissance avec un monde de réalités interchangeables, qui s'emboîtent les unes dans les autres, et qui se nourrissent des obsessions, des fantasmes et des terreurs du personnage central de ce récit. Ce dernier revêt d'ailleurs lui-même de multiples identités, devenant "je", puis "nous", puis "il", s'oubliant pour se faire tantôt vieille femme, tantôt nouveau-né, à moins qu'il ne soit écrivain, ou secrétaire particulier d'un célèbre sénateur sous le patronyme d'Humberto Penaloza...
Son incapacité à adopter une personnalité bien définie semble liée au dessein qui depuis toujours le torture : celui de devenir "quelqu'un", de sortir de la foule des anonymes sans visage à laquelle son statut social le rattache. Et cette idée fixe se cristallise sous la forme d'une rivalité qui l'oppose à Jeronimo Azcoitia, le sénateur précédemment mentionné, qui représente tout ce qu'Humberto aspire à devenir. Lié par une sorte de pacte diabolique à cet homme, il lui voue tour à tour haine et admiration, crainte et mépris.

Déroulant un long monologue qui mêle, en vrac, ses pensées, des bribes de dialogues auxquels il assiste ou participe, des souvenirs dont on ne sait s'ils sont réels ou inventés, ou encore la relation d'événements dont il n'a physiquement pas été témoin, le narrateur semble être le centre d'une spirale nourrie de son délire paranoïaque et démentiel. le monde qu'il dépeint est peuplé de créatures à la fois humaines et monstrueuses, d'enfants à la fois malfaisants et innocents, de vieilles à la fois pathétiques et perverses. C'est une véritable cour des miracles dont les fondements s'inspirent des rêves, des légendes, et surtout de l'imagination fertile issue de l'esprit malade du héros.

On est constamment dans l'ignorance quant à la véracité des faits qu'il relate, et quant à la véritable nature des personnages qui l'entourent et de ses relations avec eux. Et peu importe après tout, puisque l'écriture hallucinée de José Donoso, qui réinvente les codes narratifs, remet l'évidence en question, parvient à rendre cet univers fantasmagorique palpable, et surtout beaucoup plus envoûtant qu'une quelconque et triviale réalité.

La lecture de "L'obscène oiseau de la nuit" est une expérience fascinante et troublante, qui vous emmène au-delà des frontières de la normalité en effaçant les fragiles barrières qui nous protègent de la folie, dans une atmosphère baroque et délétère. Plus qu'il ne se lit, c'est un roman qui vous happe, vous englue, vous ensorcelle, et qui surtout ne ressemble à aucun autre.

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Un livre déroutant. Une découverte pour moi fan des éditions vintage Belfond. J'étais très intriguée par ce livre et ce sentiment ne m'a pas quitté durant la lecture. J'étais complètement déroutée par une sorte de jeu avec le narrateur homme qui se féminise et devient la 7ème sorcière qui occupe la maison de la famille Azcoitia. Un narrateur muet mais qui est aussi parfois sourd  ou aveugle, un narrateur omniprésent auprès de la galerie de personnages, un narrateur qui m'a parfois répugnée. La famille Azcoitia, en pleine décadence qui cherche désespérément à avoir un héritier 

Et je ne pourrai pas résumer le livre car je dirai forcément une bêtise. Je dois avouer ne pas avoir tout cerner.. Je crois que j'ai été perdue dans l'histoire très souvent ne sachant plus qui me la racontait. 

Heureusement certains points essentiels pour mon plaisir de lecture étaient là. Une ambiance, une maison où règne le surnaturel, un style très sensuel. Une lecture (très) exigeante , perturbante… un peu à l'image du livre. 


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Un chef d'oeuvre magistral : baroque, oppressant, surréaliste, c'est un un véritable cri dans l'obscurité face à l'absurde et aux terreurs du soi et de celui des autres. Des personnages inoubliables et surtout un anti héros protéen, un pantin tragique, qui nous entraîne à la frontière d'une angoisse existentielle et d'un monde qui rejette, gâche, perd, oublie, salit et délaisse. Je n'ai rien jamais rien lu de tel.
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