Les éditions Harper Collins Noir ont été créées en avril 2016 en France et ont pour vocation la publication de thrillers ou de suspense psychologiques le plus souvent traduits de l'anglais.
Et c'est cet automne qu'ils ouvrent le bal avec
Les jumelles, premier roman de
Claire Douglas que j'ai eu la chance de recevoir en avant-première.
En premier lieu un grand merci à l'éditeur et à Babelio pour ce livre qui, avant même de raconter une histoire, a le simple mérite d'être beau en tant qu'objet. La couverture ( et notamment le choix des couleurs ) est magnifique et attire naturellement le regard, le papier est d'une texture si agréable au toucher que je me permets d'en souligner la qualité, la pagination est réfléchie également.
Et sans pouvoir vraiment juger de la qualité d'une traduction, j'ai l'impression qu'il y a eu un gros travail de Florence Guillemat-Szarvas pour restituer la finesse de l'écriture de l'américaine
Claire Douglas, à la fois accessible et toute en subtilité. En voici deux exemples parmi tant d'autres :
"La tête appuyée contre la vitre éclaboussée de pluie, je regarde reculer la ville de brique blonde, comme une aquarelle dont la peinture s'écoulerait en traînées."
"En passant devant le grand miroir ciselé du palier, j'aperçois mes yeux bouffis, ma bouche rouge et enflée. Je n'ai jamais su pleurer en beauté."
Après avoir salué l'énorme soin apporté à cette édition, il est temps de passer au contenu en lui même.
L'héroïne du roman, Abi, 29 ans, journaliste free-lance est en grande souffrance émotionnelle depuis la mort de sa soeur jumelle un an auparavant. Stress post traumatique, culpabilité du survivant, paranoïa, tentative de suicide, séjour en établissement psychiatrique, antidépresseurs : Sa fragilité suite à la perte accidentelle de sa moitié ne laisse aucun doute.
Dans ce contexte, elle se liera d'amitié avec la richissime Béa ( "Tous ceux qui voient Béatrice pour la première fois tombent sous le charme. Elle est belle, drôle, douée, intelligente." ) qui l'invitera à vivre avec elle et ses amies dans une "immense demeure géorgienne pleine d'oeuvres d'art et d'objets prétentieux". Chacune a un talent artistique : photo, sculpture, peinture ... Béa crée quant à elle ses propres bijoux sertis de pierres précieuses.
Dans cette maison vit aussi le jumeau de l'hôtesse, Ben. Ce lien de parenté fait de Ben et Béa deux êtres dépendants, à la relation exclusive. Ils sont très possessifs avec leur jumeau.
Mais l'arrivée d'Abi sera comme un grain de sable qui va venir enrayer la belle mécanique de cette maisonnée. Dans laquelle tout le monde semble avoir des secrets plus ou moins inavouables.
Des sentiments vont naître entre Abi et Ben et les relations entre tout ce petit monde - particulièrement entre Abi et Béa - vont devenir un étrange ballet d'attraction / répulsion.
Davantage que la gémellité, le thème principal de ce roman ce sont les rapports humains, et notamment
de force, au sens psychologique du terme.
Nous ne sommes pas ici dans un thriller à proprement parler mais il y en a bel et bien quelques codes ainsi qu'une énigme à éclaircir. Parce qu'il se passe des évènements inexplicables.
"Les paroles d'Abi tournent dans ma tête comme les morceaux d'un puzzle qui se bousculeraient pour qu'on les mette dans le bon ordre afin que l'image se précise".
C'est Abi qui est la principale victime de ces évènements.
Mais qui croire ? Sachant à quel point notre principale narratrice est perturbée ? Pourquoi lui voudrait on du mal à ce point ?
Dans les faits, on n'est pas loin des romans "
Juste une ombre" de
Karine Giebel ou "
N'éteins pas la lumière" de
Bernard Minier. Quelqu'un semble jouer avec la fragile santé mentale d'Abi. Des lettres, des médicaments ou des bijoux disparaissent, elle reçoit pour son anniversaire un bouquet offert par sa soeur morte, son visage est lacéré sur une photo, elle retrouve un oiseau mort sur son lit ...
"Quelqu'un joue avec ma raison depuis que j'habite ici."
"Je continue à croire qu'elle est cinglée"
Qui a raison ? Pourquoi de telles manipulations ?
Mais tout cette intrigue soignée, si elle encourage le lecteur à s'interroger, ne suffit pas à faire des jumelles une réussite à part entière. La tension n'est pas à son comble. Quelqu'un semble souhaiter le départ d'Abi mais ça n'est pas comparable en terme de suspense à un sociopathe qui en aurait après sa vie. En outre il m'a fallu personnellement une centaine de pages avant d'entrer vraiment dans l'intrigue et je ne me suis pas beaucoup attaché aux personnages quels qu'ils soient ( une légère empathie pour l'héroïne mais c'est tout ). Sans être un roman sentimental l'étrange relation de couple Abi / Ben a une importance considérable et donne parfois un côté fleur bleue très dispensable ( "Les yeux noisettes de Ben me hantent. Je les vois chaque fois que je ferme les miens.", "Quand il relève la tête, un élan de désir parcourt mon corps", "Comme il se met à retirer mes vêtements, je lui demande s'il est sûr de ce qu'il fait et il répond que oui." ).
En réalité, je pense peut être ne pas faire partie du public ciblé pour ce type de littérature, ce qui ne m'a pas empêché d'en apprécier le suspense, la psychologie des personnage ( et notamment des jumeaux abordés sous un angle inédit ) et l'écriture. Mais selon mes critères, il manque encore un petit quelque chose pour faire de ce livre un incontournable, même s'il s'agit déjà d'une belle réussite pour un premier roman.
Je m'intéresserai cependant à l'éventuelle sortie française du suivant : Local Girl Missing.