Je n'ai jamais lu ce livre avant aujourd'hui. Oui, je sais que beaucoup de lecteurs ont découvert ce livre durant leur enfance, durant leur scolarité, ce ne fut pas mon cas. L'ai-je lu avec des yeux d'adultes ? Oui, mais pas avec des yeux de professeur, parce que, parfois, cela peut gâcher largement le plaisir de lecture.
Je dois dire cependant qu'en lisant ce livre, unique incursion de
Maurice Druon dans la littérature jeunesse, j'ai pensé que les auteurs qui n'étaient pas spécialisés dans la littérature jeunesse, les auteurs de la génération de
Maurice Druon, versent nettement moins dans la morale convenue. En effet, beaucoup (trop) de livres de littérature jeunesse des années 50 à 80 étaient essentiellement porteurs du message suivant : il faut se conformer à ce que veulent les adultes, ils ont toujours raison, quoi qu'ils te fassent subir. La littérature jeunesse était alors conçue plutôt pour les parents. Il existait des exceptions, elles sont cependant rares – comme était rare la diversité dans la littérature jeunesse.
Ici, Tistou (diminutif de François-Baptiste) a de la chance. Fils unique d'une famille aisée, il grandit en ne manquant strictement de rien. Jusqu'à l'âge de huit ans, il étudie avec sa mère.Envoyé à l'école, il a beau faire tous les efforts possibles, il s'endort. Il est donc rapidement renvoyé, très rapidement, et Monsieur Père lui trouve donc des professeurs particuliers. Monsieur Moustache, le jardinier, lui fait découvrir son don, ces fameux « pouces verts ». Avec monsieur Trounadisse, il découvre l'ordre. Il comprend surtout ceci : « Les grandes personnes ont, sur toute chose des idées toutes faites qui leur servent à parler sans réfléchir. Or, les idées toutes faites sont généralement des idées mal faites. »
Les idées toutes faites, les adultes que rencontre Tistou en ont plein la tête. Les idées toutes faites contenues dans ce texte sont hélas toujours en vigueur de nos jours : il suffit d'allumer sa télévision et d'écouter une chaine d'info en continue pour s'en rendre compte. Alors que faire pour changer la vie des gens ? Faire pousser des fleurs, c'est à dire embellir la vie, être attentif aux choses simples, se dire qu'il faudrait peu de choses pour être en paix. Si, de nos jours, l'usage du mot « guerre » est galvaudé, il prend tout son poids à cette époque, et plus encore avec le métier de monsieur Père, dont l'auteur relève le paradoxe : Monsieur Père était bon, je vous l'ai déjà dit. Il était bon et il était marchand de canons. A première vue, cela ne paraît pas compatible. Il adorait son fils et fabriquait des armes pour rendre orphelins les enfants des autres. Cela se voit plus souvent qu'on ne croit.
Bien sûr, l'on peut qualifier
Tistou les pouces verts de conte, conte qui ne s'arrête pas là où l'on pourrait s'y attendre, conte qui choisit un dénouement inattendu, qui n'en finit pas de questionner, pour ne pas dire simplement d'émouvoir, un peu comme le dénouement de cet autre monument de la littérature jeunesse, le petit Prince. Je dirai simplement que ce récit nous amène à nous questionner sur ce que nous trouvons importants, essentiels, « ordonnés » – et à nous demander si cela l'est vraiment. Quelle idée reçue allez-vous combattre aujourd'hui ?