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3,88

sur 255 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
L'avalée des avalés est un roman dont la sombre histoire nous parvient par le biais d'une écriture très originale, à la fois joueuse et mystérieuse.
D'abord le temps n'y est jamais donné tel quel. On devine les passages que fait Bérénice de l'enfance vers l'adolescence et la vie adulte sans repères temporels précis, uniquement en lisant ce qui se produit devant nous.
Ensuite, bien que les évènements rapportés par Bérénice montrent bien qu'elle grandit, son écriture n'évolue pas vraiment. Au départ elle est bien trop brillante et cultivée pour la Bérénice enfant, mais elle finit par mieux coller à sa réalité à partir de l'adolescence. J'ai donc trouvé en commençant ma lecture que l'écart de maturité entre l'âge du personnage et celui de l'écriture étaient plutôt déroutants. Si on tient, comme moi, à ce qu'il s'agisse bien du récit d'une jeune femme qui soit possible dans la réalité, les premiers chapitres doivent donc être considérés comme rétrospectifs.
Enfin et surtout, j'y ai trouvé le récit d'une existence abandonnée au désespoir frénétique. Pourquoi ne pas tout simplement dire d'une existence désespérée?
Parce que le désespoir réel, concret, total, absolu, fait ressortir de l'existence où il s'incruste deux types d'états opposés, selon les caractères.
Certains se laisseront aller aux hasards de ce qui les entoure, indifférents et insensibles, comme des barques abandonnées, qui ballottent aux grés des vents et des marées, pendant que le temps achève, imperceptiblement, et d'autant plus sûrement, son oeuvre. C'est la désespérance apathique.
D'autres, au contraire, explosent en tourbillons d'une rage qui n'en démordra jamais. Chez eux, toute accalmie est tourbillon latent, toute apparence de beauté, de bonté, de bonheur, n'est qu'un vague et bref interlude, dont l'arrêt se fera brusquement, sauvagement. C'est la désespérance frénétique.
Les deux stades peuvent aussi, évidemment, alterner chez certains, mais pas dans ce roman.
Nous trouvons ainsi les caractères opposés de Christian et de Bérénice, du catholique et de la juive, du garçon et de la fille.
Pourquoi toute cette désespérance chez ce frère et cette soeur?
Est-ce la faute de leurs parents? Ces parents dont les différences d'âge, de culture, de religion, de caractère, de taille, de classe sociale, bref, dont leurs différences d'à peut près tout les avait attirés l'un à l'autre. Est-ce leur faute? Les contraires s'attirent, comme on dit et c'est comme ça. C'est tout.
Mais pour s'assembler, il faut se ressembler, comme on dit aussi, et c'est aussi comme ça, c'est tout. Leur mariage est donc tout aussi nécessairement devenu une guerre où on se négocie un enfant pour le tourner vers l'autre, où le moindre geste est une insulte, une attaque, pour que l'autre disparaisse. Leur monde, issu d'une attirance qui s'est transformée en dégoût, devient un territoire stérile à tout espérance.
Ce n'est donc pas la faute des parents, mais de la vie, de la mort, de tout et de rien.
C'est le destin de Bérénice et de Christian, mais c'est aussi le relativisme culturel, l'indifférente tolérance et l'indifférence tolérante à tout sens, dont on finit par perdre tous souvenirs. C'est aussi l'intolérance implacable envers ce qui ne nous détermine pas dans notre horizon dénué de sens : « Je ne m'oppose pas à ce qu'on haïsse les Grecs! Ce à quoi je m'oppose, c'est qu'on se croie, sincèrement, justifié de haïr les Grecs. C'est un vice de raison. ... Mes amis haïssons d'emblée! »(375)
Absence de sens, liberté sans horizons, c'est tout le creux de la post-modernité multiculturelle dans laquelle nous baignons tous plus ou moins.
Il y a certains caractères qui réagissent plus fortement que d'autres à cette ambiance de fin de monde, qui restent irréductiblement inaccessibles, qui détruisent les restes toujours vivants avec une cruelle innocence et c'est bien là ce que représente Bérénice. On pourra bien la détester, on s'y attachera difficilement, mais elle est beaucoup trop loin de tout ça pour être touchée : « J'ai atteint la dernière profondeur de ma solitude. Je suis là où la moindre erreur, le moindre doute, la moindre souffrance ne sont plus possibles. Je suis là où, dépourvue de tout lien, de toute assise, de tout air, ma vie, par son seul fleurissement miraculeux, m'enivre de puissance. »(350)
Elle n'a plus de chaleur dans son monde. Elle vit au « Soir d'hiver » de Nelligan (qu'elle aime tant à citer) :

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j'ai, que j'ai!

Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire: Où vis-je? Où vais-je?
Tous ses espoirs gisent gelés:
Je suis la nouvelle Norvège
D'où les blonds ciels s'en sont allés.

Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
À tout l'ennui que j'ai, que j'ai!...
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En rangeant les étagères, je tombe sur l'Avalée des avalés, de Réjean Ducharme. C'est un livre sur lequel je tombe souvent en rangeant les D. Parce que c'est un livre qui malheureusement, ne sort quasiment pas. Quel dommage… je tiens (et je ne suis pas la seule) Réjean Ducharme pour un très très grand auteur et je trouve son roman, un roman d'enfance, époustouflant. Son héroïne Bérénice est une jeune adolescente précoce qui souffre de la séparation houleuse de ses parents. Elle se met à détester les adultes et le monde qui l'entoure. Pleine de fureur et de lucidité, révoltée contre la "vacherie de vacherie", c'est un personnage génial ("La vie ne se passe pas sur la terre, mais dans ma tête. La vie est dans ma tête et ma tête est dans la vie. Je suis englobante et englobée. Je suis l'avalée de l'avalé.")

L'écriture de Ducharme est une poésie brute et vivante, pleine de formidables images : "On aimerait avoir aussi soif qu'il y a d'eau dans le fleuve. Mais on boit un verre d'eau et on n'a plus soif", ou encore: "Je suis seule. Je n'ai qu'à me fermer les yeux pour m'en apercevoir. Quand on veut savoir où on est, on se ferme les yeux. On est là où on est quand on a les yeux fermés: on est dans le noir et dans le vide."

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Quelques amies proches m'avaient conseillé de lire Ducharme, je ne me rappelle plus lequel, mais avec Ducharme, on a l'embarras du choix, j'ai donc lu l'avalée des avalés, mais Ducharme c'est aussi le nez qui voque, L'hiver de force, L'océantume, à chaque fois des torsions de la langue. Je ne sais pas pourquoi, je croyais que Ducharme était un amuseur qui faisait des jeux de mots. Les jeux de mots, ce n'est pas tout à fait la même chose. Les jeux de mots, c'est léger, désinvolte; les torsions, c'est un travail pénible, sérieux. Après avoir lu les premières pages, je me suis aperçu que sérieux, voulait aussi dire, se prendre au sérieux. Ce n'est pas toujours évident de se mettre dans la tête d'une enfant, surtout l'une qui porte en elle un univers des plus particuliers. C'est risqué, casse-cou, ça peut paraitre surfait, comme un enfant qui fait du théâtre.

L'univers de Bérénice, qui n'existe que dans sa tête, c'est ce qu'elle nous répète sans cesse, nous plonge dans le tiraillement incessant d'une jeune fille qui devient peu à peu adolescente. Bérénice est sur la brèche, en équilibre, telle une somnambule qui devient funambule. La ligne est mince, mais Ducharme s'y tien. On y croit, même dans l'excès. Bérénice est une enfant révoltée, un peu comme Bandini de Fante, cherchant la confrontation avec tout le monde. À cela, s'ajoute qu'elle est sadique. Elle aime faire mal. C'est presque existentiel pour elle. La douleur comme preuve qu'on existe. Elle prône une révolte égalitaire, contre tous : la famille, les amis, la religion, la guerre, les animaux... et surtout, contre elle-même. Personne n'est épargnée. Elle déborde de fureur. Elle se fait un plaisir à en distribuer, de la fureur, à tous ceux et celles qui croisent sa route. Et principalement à ceux qui s'entêtent à chercher à la ramener dans le droit chemin. Droit chemin pour qui ? qu'elle nous dirait.

Le tour de force de Ducharme est qu'on s'aperçoit que cette colère, violence, ce fanatisme cache en réalité une douceur mal contenue. Toute cette frivolité, cet acharnement, cette violence ne sont là que pour masquer sa fragilité, sa candeur. C'est d'ailleurs grâce à ce procédé que Bérénice nous est si attachante, si émouvante. Comme Ducharme le fait dire à Bérénice : « Je ne joue pas sur les mots, même si je me donne l'air de le faire. J'ai besoin de tendresse. » Bérénice tord les mots jusqu'à leur faire mal, tout ça, pour s'empêcher de pleurer.
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Bérénice Einberg, 11 ans, est une jeune adolescente juive, précoce qui souffre de la séparation brutale de ses parents. Elle déteste les adultes et le monde dans lequel elle vit d'où elle essaye de s'échapper. Entre colère et lucidité, révoltée contre tout c'est une jeune fille étonnante qui essaye de se sortir d'une ambiance toxique.
L'écriture est intense au vocabulaire très riche et imagé et j'ai relu certains passages plusieurs fois tellement ils m'ont interpellé. Il y aurait beaucoup à dire sur ce roman aux multiples références littéraires, très soutenu, aux métaphores vivantes, aux sonorités et jeux de mots, fresque d'une époque qui dénonce également une certaine société.
J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre découvert lors du confinement, merci Radio-Canada pour les livres à lire en ligne, très belle découverte pour moi de la littérature québécoise et de l'auteur Rejean Ducharme que je ne connaissais pas. J'irai explorer d'autres de ces romans.
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Le récit est un foisonnement d'images très vivantes, et servit d'une remarquable lucidité. Ducharme forme sous les yeux du lecteur un paysage intérieur, en bouleversement permanent. On ne quitte pas un moment les pensées versatile de Bérénice, aux prises avec des conflits familiaux ― le père est juif, la mère est catholique ―, avec sa brûlante sensibilité. Elle devient sauvage, et il faut dire qu'elle et le récit forme un seul et même corps. Les autres personnages sont en elle, elle les dévore ou se fait dévorer par eux. La conscience d'être aimée (ou méprisée) et partant, que les autres fassent d'elle leur chose ; qu'elle-même, ne fait qu'aimer des idées, des projections et non des êtres. Elle devient une aventurière à la poursuite de quelque chose d'indéfinissable. le récit, avec ses redondances, provoque une sorte d'épuisement, mais contient des moments de poésie assez unique. Très emporté.
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